trahison 3
***Quelques heures plus tard.
Le plancher craque sous notre poids quand nous entrons. Sans un mot nous avançons. Ma longue jupe gris-bleutée balaie le plancher, je pense que je dois le visage de la même couleur que mon chemisier. A ce moment là, je pose ma main gantée sur l’épaule de mon mari. Je viens d’apprendre l’épouvantable nouvelle. Sa mère a été retrouvée morte dans la chambre, à l’étage. Joe vient de nous prévenir, après avoir fait le nécessaire auprès du sheriff et du fossoyeur.
*****même jour, en fin d'après-midi.
Virginia city, derrière la maison chapelle, réservée au culte, un espace ombragé par des pins dans lequel reposent tous ceux qui ont cessé de vivre. Hoss et Joe, pelle à la main, terminent de creuser une fosse pour le cercueil de la défunte. Ils ont pris soin d'ôter leur veste; qu'ils ont laissé dans le chariot. Mon mari s’avance. Redingote noire, pantalon rayé, chemise claire à fines rayures blanches et grises, gilet gris cintré sur lequel pend une chaîne en argent, la chaîne d'une montre rentrée dans la petite poche sur la droite du vêtement. Ses yeux sont gonflés, cernés, un peu vides aussi. Vestiges des nuits sans sommeil.
Derniers coups de pelle, poussière qui s'envole au dessus du monticule sous lequel repose Mme Dexter. Je qui dépose des fleurs, un bouquet de marguerites, chaque pétale comme une larme blanche sur un coeur en or. Et Henry qui s'avance avec, dans ses mains, un panneau de bois sur lequel sont gravés ces simples mots :
Ici repose Eugénie Sue Dexter, décédée le 23mars 1857.
« Hoss; Joe, allez remettre les pelles dans le chariot; murmure Ben à ses deux fils, en sortant de sa poche sa bible, avant de commencer à lire.
- oui pa... »
Il y a un temps pour tout et un moment pour toute chose sous le soleil.
Il y a un temps pour naître et un temps pour mourir, ...
Il y a aussi un temps pour pleurer et un temps pour rire, un temps pour se lamenter et un temps pour danser, ...
Il y a un temps pour chercher et un temps pour perdre.
Henry joint ses mains devant lui, tandis qu'Adam dresse le panneau, au bout de la tombe. Les coups de son maillet troublent le silence quelques instants. Puis le calme revient. Adam frotte ses mains l'une contre l'autre et rejoint ses frères.
Je réponds par un signe de tête à tous les signes de sympathie, à toutes les condoléances de la congrégation.
« Je tenais à être présent. J'ai eu l'occasion d'échanger quelques mots avec votre mère; quelle femme charmante. Vraiment, quel drame affreux. Mais qui a pu faire une chose pareille; une dame d'une telle qualité. Le shériff n'avait pas mentionné la trace de quelques bandes de desperados. Il n'a pas de piste ? »
Mon mari fait non de la tête. Il fixe la tombe sans vraiment écouter les paroles de Mr Peterson.
« Vous savez, Mr Dexter je garderai toujours en mémoire l'image de votre mère. Charmante, je la revois encore me demandant de lui indiquer l'Hôtel le plus proche, elle souhaitait y réserver une chambre. « je ne tiens pas à déranger mon fils et sa jeune épouse. » avait-elle insisté.
Après avoir salué Ben et ses fils, Ned repart. Il repose son chapeau et prend la direction de son office qu'il avait momentané femé, le temps de venir jusqu'au cimetière. Je me retourne et me dirige vers le chariot. Henry me rattrape en deux grandes enjambées.
« Joan, attendez. Où allez-vous ?
- Benjamin et ses fils m'attendent. Je rentre avec eux.
- Ne me laissez pas; Joan, je ne veux pas être seul dans cette maison, avec le sang de ma mère sur le plancher... »
Je pose ma main sur l’épaule de mon époux.
« Je comprends; prenez une chambre à l'hôtel et essayez de dormir. Je vous promets de réfléchir et nous nous reparlerons. »
Je rejoins Benjamin et ses fils.
***** quelques semaines plus tard. Au ranch.
Benjamin rentre avec énergie, il pose son chapeau, se débarrasse de son colt et de sa veste.
« pff qu'il fait lourd. Oh la là, on va avoir un fameux orage.
- Le ciel va se fâcher. Il vaut mieux être prudent. Je me suis permise d'entrer dans les chambres des garçons, pour y fermer les fenêtres et j'ai aussi rentré les draps du lit de Joe. Comme ça, il dormira au sec ce soir.
- Joan, vous êtes trop bonne. Je ne veux pas que vous fassiez le lit de Joe, il peut le faire tout seul. Ce n'est pas lui rendre service.
- Je sais Ben, mais vous savez; cela ne me dérange pas et puis, cela m'occupe l'esprit.
- Je comprends, mais vous n'êtes pas ici pour vous occuper de l'intendance. Vous me promettez de ne plus faire le lit de ce grand paresseux ?
- Promis Benjamin. »
Tendrement, il pose sa main sur mon épaule et me sourit.
Un peu plus tard...
L'orage que Benjamin pressentait s'abat actuellement sur le ranch, un rideau de pluie tombe inlassablement du ciel, de grosses gouttes s'écrasent sur le sol poussiéreux et contre les vitres qu'Hop Sing s'est empressé de fermer.
- Vent êtle tlès folt, Hop Sing pas aimer ça. Vent enlever encole les tuiles sul abli à poules et poules pas pondle pendant tlois jouls. Mistel Hoss va pas êtle content, lui pas aimer êtle plivé d'oeufs poul petit déjeuner.
- oui et bien mister Hoss, il s'en remettra. Tiens, je ferai bien d'aller vérifier la porte de la grange; il me semble qu'elle tape.
Benjamin coiffe son chapeau et enfile sa veste avant de se précipiter hors de la maison, direction la grande batisse de bois dans laquelle Buck attend ses congénères.
***quelques minutes plus tard
Benjamin, en trombe, pousse la porte et rentre se mettre à l'abri.
« saleté de temps. Je suis trempé d'avoir été jusqu'à la grange.
- oh oh, d'habitude c'est mistel Joe qui fait soltil la polte de ses gonds; mistel Caltwlight jamais faile ça.
- Désolé Hop Sing, c'est exceptionnel; mais je n'ai plus un poil de sec.
- Oh alors Mistel Caltwlight va vite enlever ça et plendle un bon bain. Je clois que Hop Sing va faile chauffer beaucoup de bassines, poul les bains des Caltwlight qui vont tous alliver tlempés comme des soupes.
Ben achève de faire passer le dernier bouton à travers le trou de la boutonnière et écarte rapidement les pans de sa chemise, qui colle à sa peau. Le gros drap de son pantalon lui, supporte quelques gouttes, il décide de le conserver. Il attrape la serviette blanche que Hop Sing lui tend et commence à s'essuyer le dos et la poitrine. C'est alors qu'il s'arrête, muet de stupeur. Je pose mon pied sur la marche et détourne la tête.
« Pardonnez-moi, je… »
- Il n’y pas de mal, Benjamin. »
Heureusement Hop Sing est déjà là pour lui tendre une chemise sèche qu'il s'empresse de boutonner.
- Non non, restez Joan. Me voilà décemment vêtu.
Il dit ça d'un air léger... et légèrement ironique.
- L’orage ne vous fait pas peur ? Je suis surpris, je connais bien des dames qui auraient déjà la tête sous un coussin, en attendant que ça se calme. Je me souviens que Marie n'aimait pas du tout l'orage. Inger, elle, au contraire, adorait ça; je l'ai même vu sortir et danser sous la pluie, les jours d'orage. Et moi j'essayais de faire rentrer Adam. Mais comme il la voyait dehors, il n'avait aucune envie de se mettre à l'abri. Et ils s'avançaient tous les deux sous les gouttières du saint Esprit.
- Les Paiutes m’ont appris à ne pas redouter les colères du Tout Grand, à identifier l'oiseau-tonnerre comme celui qui apporte la pluie; les éclairs surgissent de ses yeux et le tonnerre de ses battements d'aile. D'après le mythe, les Oiseaux tonnerre vivent dans la forêt de cédres à l'extrémité ouest de la Terre où ils construisent leurs nids et bourrent leurs pipes avec des aiguilles de cèdre. Lors d'un orage, les oiseaux-tonnerre s'envolent et déclenchent la tempête.
- C'est une très belle vision; Joan.
- Le monde d’harmonie qui inspire nos croyances religieuses est constitué de la terre, de l’eau, des nuages, du vent, des végétaux, des minéraux et bien sûr des animaux. C'est ainsi que, pour les Paiutes, la Voie lactée est le chemin des âmes regagnant l'au-delà et à son extrémité se trouve le pays des morts.
- C'est une jolie façon d'accompagner ainsi ceux qui nous ont quitté. Et quelle preuve de douceur et de paix dans votre croyance, Joan. J'aime beaucoup l'image de la voix lactée; moi j'ai longtemps vu le visage de mes proches disparus dans une étoile.
- Et bien, vous voyez Ben, vous avez l'âme d'un Paiute. Vous êtes si près de la terre et de la nature, Ponderosa est votre déesse à vous, et cela se voit que vous lui portez une dévotion sans borne.
- C'est vrai que Ponderosa occupe une place immense dans mon coeur. C'est la terre de mon rêve.
- On m'a enseigné que le coeur de l'homme éloigné de la nature devient dur. Il faut apprendre à contempler la terre et la nature, et se rappeler que rien ne nous appartient.
- C'est certain, ma chère amie.
- C'est d'ailleurs pour cela que les vieux Indiens se tiennent à même le sol plutôt que de rester séparés des forces de vie. S'asseoir ou s'allonger ainsi leur permet de penser plus profondément, de sentir plus vivement. Ils contemplent alors avec une plus grande clarté les mystères de la vie et se sentent plus proches de toutes les forces vivantes qui les entourent
- Souhaitons qu'il en soit toujours ainsi, ici et ailleurs. Hum, Joan, pardon de me montrer curieux, mais que comptez-vous faire en ce qui concerne Henry ? Envisagez-vous de retourner vivre auprès de lui ?
- Franchement, je ne sais pas. Je n'en ai pas très envie. Je crois que je vais demander réparation. Je dois pouvoir obtenir une annulation de mon mariage, quand même. Je me suis rendue compte de quelque chose, ce pourrait presque être risible. Je suis une ancienne Paîute; j'ai été élevée par un peuple qui autorise les siens à multiplier les épouses et l'homme blanc, pour lequel j'ai fait de nombreux sacrifices, se marie deux fois.
- C'est ma foi très juste.
- Quant à retourner vivre là-bas, je ne crois pas que j'y parviendrai. Dormir dans une maison dans laquelle un crime a été commis; je ne pourrai pas. Je ne peux pas déplacer mon habitation pour aller ailleurs et je ne peux pas effacer les traces de l'ignominie qui y a été commise.
- Je comprends , je comprends. Sachez que je ne vous chasse pas. Vous pouvez rester ici aussi longtemps que vous le désirez. »
Je m’approche encore et me blottit contre lui.
-Oh Benjamin, je prends juste un peu de votre tendresse; comme un cataplasme sur un coeur blessé. »
Il me serre contre lui, et me caresse lentement les cheveux.
********
ranch de Ponderosa déjeuner. Hop Sing apporte sur la table une grande marmite de laquelle s'échappe un délicieux fumet.
« Hop Sing, qu'est-ce que c’est ? », demande Hoss d’un air gourmand.
« Hop Sing avoil plépalé Poule au pot, lecette flançaise que Missis Caltwlight avoil lamené de beau pays à elle."
- Carotte, navet, rutabaga, céleri, oignon, des clous de girofle, des poireaux, du sel, du poivre et du riz ! », annonce Hoss. « Je me souviens quand M’man cuisinait ça ! »
-Hop Sing, vous nous gâtez, ça sent tellement bon."
J’ai les yeux qui brillent. Et bien vite, plus un mot à table, seules les mâchoires et les papilles sont entrées en action.
***au ranch , vers 16h
« Adam n'est pas encore rentré; c'est étrange, fort étrange. Je n'aime pas trop ça. Il devrait être là depuis un petit bout de temps."
Benjamin est sur le porche, les mains dans les poches; faisant les cent pas devant la porte; les yeux incessamment cloués vers le lointain, vers la piste qui fait le tour de la grange. Rien, rien, rien, les minutes passent. Le jour décline.
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