Madame Welby

de Image de profil de Nathalie GuillaumeNathalie Guillaume

Avec le soutien de  Guillaume Loriaux 
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Image de couverture de Madame Welby

Pour les habitués, ma grand-mère n’était pas madame Monard, encore moins bobonne : elle était madame Welby. De 1975 à 1979, juste après le tintement des clochettes de la porte d'entrée du magasin, j’entendais sur tous les tons possibles un Bonjour madame Welby.

De 1975 à 1979, juste après le tintement des clochettes de la porte d'entrée du magasin, j’entendrais sur tous les tons possibles un Bonjour madame Welby.

Quand quelqu’un entrait et que j’étais seule à faire du tricycle dans mon labyrinthe de bacs d’eau, de bière ou mes nuages de papier toilette, je stoppais net et je criais, d’une voix que je voulais sérieuse, maaaadame Weeeeeelby, et ma grand-mère arrivait en riant. Je la faisais rire et ça me faisait rire que ça la fasse rire. Dans ces moments-là, je n’aurais jamais pensé à l’appeler bobonne parce que je savais que les clients venaient voir madame Welby, pas ma bobonne.

Ma grand-mère allait être veuve quand elle avait pris la gérance du petit magasin de quartier. Les patrons voulaient un couple. Mon grand-père suffoquait de silicose, mais il avait fait le fort pour signer les papiers. Pendant son agonie, puis après sa mort, elle avait travaillé pour deux. Aujourd’hui, je crois qu’on dirait d’elle qu’elle était hyperactive. Sans doute. Quinze ans plus tard, elle devait s’occuper de moi. En plus. Et cela ne l’empêchait pas de rire à grands éclats.

Ma grand-mère ne manquait pas d’astuce pour nous embellir la vie. Quand le boulanger arrivait déposer ses marchandises, elle pesait les pains et prenait le plus beau pour nous deux. Quand de la famille venait en visite, le dimanche, elle nous réservait la tarte brésilienne avec le plus de crème fraîche.

Elle gardait aussi les petits cadeaux offerts à certaines occasions par les fameux Welby que je n’avais jamais vus. Je me souvenais que, pour les fins d’année, par exemple, avec une livre de café, le client pouvait repartir avec une petite douceur. Mais, passées les fêtes, les Welby envoyaient quelqu’un reprendre leur précieux butin.

Je ne comprenais pas pourquoi les petites douceurs restaient si longtemps en place dans les rayons sans que personne n’ait envie de les avoir. Je pensais — Achetez-les, sinon les Welby vont les prendre pour eux. Ma grand-mère m’avait expliqué que c’était gratuit. Je comprenais encore moins : c’était bizarre de dire non à un cadeau. Il me faudrait encore quelques années pour apprendre qu’en fin d’année, comme en fin de mois, l’argent se faisait rare chez les gens.

Mais ma bobonne était maligne : elle achetait tout le café avec ses sous et elle avait toutes les douceurs. Pas pour elle, elle aurait été malade avec tout ça. Pour les gens. Qui, début janvier, auraient eu leur quinzaine et viendraient alors chercher leur livre de café. Les patrons du Welby et les clients du Welby n’avaient juste pas le même mois de décembre. Mais comme ils ne se voyaient pas, ils ne pouvaient pas savoir.

L’armoire de notre pièce à vivre, derrière la boutique, était petite : un fauteuil relax, une table ronde, quatre chaises et trois meubles de rangement. Dans celui du milieu, les petites douceurs attendaient patiemment les jours de paie.

L’année de mes 4 ans, la dernière passée au magasin avant la faillite, les douceurs étaient brunes avec un bouchon rouge. On ne voyait pas bien ce qui se cachait à l’intérieur. J’étais bien décidée à le découvrir. J’avais ouvert une bouteille. C’était un bouchon métallique, comme sur les bouteilles d’eau, mais en plus petit, juste à la taille de mes doigts. J’avais dévissé sans souci. J’avais senti avant de goûter. Trop bon. J’avais pris une gorgée. Et j’avais remis le capuchon. On ne voyait presque pas qu’il avait été ouvert. Tous les soirs, j’avais poursuivi le rituel. Je savais confusément que cela n’aurait pas vraiment de conséquence.

Un Cora avait ouvert pas très loin l’année de ma naissance. Quatre ans plus tard, les Welby avaient dû mettre la clé sous le paillasson. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus, mais comme je ne les connaissais pas, ils ne m’avaient pas manqué.

Nous avions dû déménager. C’était en 1979. En vidant les trois armoires de rangement, ma grand-mère avait découvert les petits cadavres. J’avais tout bu.

Elle avait ri.

Moi aussi.

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Madame WelbyChapitre1 message | 2 jours

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