Le tournoi

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Une grande fête était organisée ce jour-là à la cour du roi de France, pour célébrer l’adoubement de nombreux jeunes hommes. Ceux-ci, tout exaltés de leur nouvelle gloire, s’appliquaient à démontrer qu’il la méritait bien, en s’affrontant aux joutes. Les hourvaris étaient à leur comble. Une foule chamarrée avait pris place dans les gradins pour assister aux assauts et encourager les belligérants. Parmi cette assemblée, une jeune damoiselle s’impatientait.

– Quand arrive mon frère ?

La dame à ses côtés posa une main apaisante sur celle de sa fille.

– Tu le reconnaîtras sans peine, Florie : il portera nos armes.

– Vous avez fait long voyage pour le venir voir, fit remarquer le roi qui oyait leur conversation. Vous ne le regretterez pas, je l’espère : votre fils s’est montré excellent écuyer et je ne crois pas qu’il vous fera honte maintenant qu’il est chevalier.

– Le voilà ! s’exclama la damoiselle toute fébrile d’excitation.

En effet, au bout de la lice venait d’apparaître un cavalier arborant des lions sur toute son armure et sur le carapaçon de son cheval. Le héraut confirma de sa voix de stentor :

– Le chevalier Silence, fils du comte et de la comtesse de Cornouailles !

Des acclamations s’élevèrent chez les jeunes gens. Florie battit des mains. En face du jeune jouteur se présenta son adversaire, aux armes vertes. Il fut annoncé de la même manière et récolta plus d’applaudissements encore parmi les assistants plus âgés.

– Ce seigneur n’est pas un débutant, fit remarquer le comte Cador. Vous mettez notre fils à rude épreuve, Sire.

– Où serait sa gloire sinon, mon ami ? Il met à bas ses camarades par trop facilement.

Florie poussa un cri : les deux cavaliers venaient de s’élancer. Dans un fracas terrible, les lances percutèrent les boucliers ; la jeune fille laissa échapper une exclamation de désarroi, car Silence avait failli vider les étriers. Mais le jeune chevalier rétablit promptement son assiette et les adversaires firent tourner leur cheval pour s’affronter de nouveau. Les lances éclatèrent, Florie laissa jaillir sa joie : cette fois, le cavalier vert était tombé à terre.

– Que vous ai-je dit ? fit le roi au milieu des applaudissements. Juste assez de difficulté pour faire battre le cœur de ses admirateurs – et même le soupçonné-je d’avoir joué cette presque chute : votre fils a le sens du spectacle.

Le chevalier triomphant avait amené sa monture de leur côté : il ôta son heaume et sa chevelure blonde cascada sur ses épaules. Il sourit à ses parents et leva son épée à hauteur de sa sœur : toute euphorique, celle-ci y fit glisser une couronne de fleurs blanches.

– Il m’est avis que bien des damoiselles doivent vous envier ce geste, glissa le monarque à la jeune fille tandis que le cavalier repartait ainsi honoré. Peut-être ne sera-ce pas toujours à vous qu’il tendra son épée.

– Mais mon frère n’aime que moi, répliqua Florie d’un ton hardi, comme je n’aime que lui.

La répartie amusa le souverain, qui adressa un regard de connivence au comte ; celui-ci grimaça un sourire en réponse.

***

Les jours de fêtes, les tournois, les joutes ; toute cette foule, cette liesse bruyante, avait épuisé Silence. Il se sentait encore étourdi de ce tourbillon qui retombait à présent. La mélancolie se mêlait à sa joie et sa fatigue, car sa famille était partie retraverser la mer pour rejoindre leur domaine le matin même. Il balançait à rejoindre ses camarades, mais aspirait tant au repos qu’il ne souhaitait plus que s’allonger jusqu’à ce que quelqu’un ou quelque chose le tirât du lit de force.

Ce qui survint bien trop tôt à son goût et bien différemment qu’il s’y attendait.

Alors qu’il s’assoupissait sur sa couche, une pression douce sur son visage le fit cligner des yeux. Il mit quelques secondes à ajuster sa vision sur la silhouette au-dessus de lui qui s’était reculée aussitôt qu’il avait cillé. C’était un jongleur… non…

– Florie !

Abasourdi, Silence se redressa avec vivacité, tout à fait éveillé. C’était bien sa jeune sœur sous l’habillement d’un baladin.

– Mais… ? Que fais-tu là ? N’es-tu pas repartie avec nos parents ?

– Si… mais je me suis déguisée et j’ai quitté discrètement leur train pour te rejoindre.

– Pourquoi donc, par nos aïeux ?!

L’incompréhension et un début de colère empourprait le visage du jeune homme. Florie se recroquevilla insensiblement.

– Ne crie pas contre moi… je me suis enfuie pour échapper à un sort injuste. Nos parents veulent me fiancer.

– Ah ! Et à qui donc ?

– Au fils du seigneur de Kingsbridge.

– Gavelin ? C’est un garçon de ton âge. Nos parents auraient pu vous accorder plus mal.

– Je n’en veux pas ! Il est sot et prétentieux. Il me dégoûte ! Je ne veux pas me marier ! Ni avec lui, ni avec un autre.

– Tu peux exprimer ton désaccord quant au choix de ton promis, ma sœur, mais il te faudra te marier un jour ou l’autre, et nos parents seraient bien fols de n’y point songer.

– Nous sommes nées de même, Silence ! Pourquoi ne puis-je être aussi libre que toi ?

Le silence tomba comme un couperet. Florie soutint bravement le regard de son frère, prête aux récriminations, à la dispute. Mais, quoique l’ire couvait dans son regard, Silence répondit calmement :

– Libre ? Au moins peux-tu te marier, Florie. Ne comprends-tu pas que je suis voué, quant à moi, à une éternelle chasteté, à la solitude ?

– Echangerais-tu nos places ?

Silence baissa les yeux et s’abîma une fois de plus dans une réflexion qu’il avait déjà longuement ressassée.

– Sans doute pas, admit-il. Quoi qu’il en soit, tu as été bien folle de t’enfuir ainsi. Je vais te reconduire auprès de nos parents avant qu’ils n’aient rejoint la mer.

Les larmes apparurent dans les yeux de la jeune fille.

– Non ! M’abandonneras-tu ainsi, Silence, alors que tu viens d’admettre que mon sort n’est pas enviable ?

– Te rends-tu compte que nos parents te croient enlevée peut-être ! Que tu places le roi de France dans une position bien délicate si on s’aperçoit que tu es demeurée chez lui ? Il n’est pas en mon pouvoir de te garder ici. Mais je t’ai entendue, ma sœur. Je parlerai à nos parents et tâcherai de les convaincre de t’accorder un fiancé de ton goût. Après tout, je crois bien qu’eux se sont mariés par amour et ils ne voudraient pas refuser une telle chance à leur fille.

Florie baissa la tête et les pleurs coulèrent silencieusement sur ses joues. Attendri par ces larmes, Silence les essuya du doigt et attira doucement sa sœur à lui. Elle se jeta dans ses bras et le serra avec force ; il lui rendit son étreinte.

– Dire que je croyais avoir enfin la paix, soupira-t-il.

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