La chasse

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Voilà trois ans déjà que Silence était élevé à la cour du roi de France, qui l’avait pris en affection d’abord par amitié pour son père Cador, ensuite car le jeune homme avait su le séduire par lui-même. Il l’appelait son chevalier-ménestrel, car il aimait autant les arts guerriers que ceux de la musique. Il s’attirait bien des faveurs par le doux son de sa voix et s’amusait parfois à conter fleurette à ses auditrices, mais ne semblait jamais donner sa préférence ni donner suite aux avances qu’on lui prodiguait. Cette attitude lui valait parfois quelques quolibets, mais il avait la répartie vive et savait rabattre le caquet des railleurs. En bref, le jouvenceau distrayait fort le roi : il ne lui manquait qu’un petit grain de sagesse qui lui viendrait avec la maturité, estimait-il.

Ce jour-là, le bois résonnait des éclats de la chasse royale. Le souverain avait, pour les honorer, pris quelques-uns des quelques chevaliers récemment adoubés dans sa suite – vous devinez bien qui en fut. Les chasseurs débusquèrent un cerf d’une ramure qui leur sembla digne d’un roi ; aussi le monarque s’excita-t-il fort dans sa poursuite, si fort qu’il s’aperçut à la fin qu’il s’était éloigné de ses gens et se trouvait seul. Il entendait au loin l’aboiement des chiens, mais ceux-ci se réverbéraient dans le val de telle sorte qu’il ne pouvait deviner leur origine. Au moment où il s’apprêtait à sonner du cor pour appeler à l’aide, un cavalier apparut : il reconnut le fils de son ami le comte de Cornouailles. Celui-ci s’écria :

– Sire, vous m’avez fait peur, j’ai bien cru vous avoir tout à fait perdu : vous meniez un train d’enfer que j’ai eu du mal à suivre.

– Tu l’as suivi pourtant, bon cavalier. Allons, sais-tu où est la troupe ?

– Sire, je l’ai quittée presque en même temps que vous, mais je crois pouvoir vous en approcher, si elle ne s’est pas trop déplacée.

– Soit, j’ai perdu le cerf ; espérons qu’ils ont eu plus de chance que moi.

Ils s’étaient éloignés plus qu’ils l’escomptaient, tant leur course avait été rapide. En cette partie du bois, de mauvaises rencontres pouvaient survenir. Si la tenue de chasse du roi était richement parée, il n’arborait pas sa couronne et son escorte assurément était mince : ils ne savaient pas, les marauds qui s’en prirent aux deux cavaliers, qu’ils attaquaient le roi de France.

Une corde se tendit brusquement devant les deux chasseurs, interrompant le trot de leurs chevaux ; aussitôt, des figures pouilleuses se jetèrent sur eux. Ils les prirent au dépourvu, mais pas sans défense : le roi en abattit un de son épieu comme un vulgaire sanglier ; deux autres assaillirent Silence, qui en repoussa un d’un coup d’épée, mais le second parvint à enfoncer son couteau dans sa cuisse, espérant le faire tomber de cheval. La douleur enragea le jeune homme : d’un coup presque aveugle, il navra son ennemi à mort. Le cor du roi retentit ; on entendit des clameurs en réponse. Les derniers larrons, comprenant que la partie était perdue, prirent les jambes à son cou.

Quelques instants plus tard, répondant à l’appel du cor, les compagnons du roi apparurent. Ils trouvèrent leur souverain indemne, deux malandrins occis, et un jeune chevalier mal en point : le sang coulait le long de ses chausses et il était déjà fort pâle.

Dès qu’ils furent de nouveau au château, le roi, qui s’émouvait d’un jeune compagnon qui avait combattu à ses côtés, ordonna d’aller quérir son médecin personnel. Il lui abandonna son protégé en disant :

– Soignez-le bien, mire, j’ai grande affection pour ce jeune homme.

On installa Silence, à demi pâmé, dans une chambre isolée. Le mire ordonna qu’on ne le dérange point ; mais à peine eut-il commencé ses soins qu’il les interrompit. Rouvrant la porte, il commanda à un domestique d’aller chercher sa fille, habituée à l’assister dans ses œuvres. Quand celle-ci parut :

– Mélisande, tu vas t’occuper de ce chevalier.

La jeune femme ouvrit de grands yeux.

– Seule ? Mais père, le roi ne vous a-t-il pas expressément confié…

– Je te fais aussi confiance que si je le soignais moi-même. Tu seras même bien plus indiquée que moi pour cette tâche.

Se penchant vers son oreille, il murmura rapidement :

– Quoique tu voies surtout, garde-le pour toi.

Puis il s’éloigna avant qu’elle eût le temps de répliquer un mot, la laissant abasourdie.

Mélisande entra non sans timidité dans la chambre, où son père avait déjà disposé tout l’attirail nécessaire aux soins. Le chevalier était aussi quiet que son nom ; à son entrée, il ouvrit à demi les paupières et la considéra sans un mot. Elle s’efforça par ne pas se laisser troubler par ce regard et déclara :

– Je suis la fille du mire, messire. Rassurez-vous, je vous soignerai bien.

Elle releva le bas de la cotte de maille qui couvrait la blessure, qui courait presque jusqu’à l’aine. Son père avait entamé la coupe des braies pour mettre la plaie à jour. Tout devint clair pour Mélisande. Sans rien dire, elle acheva de découper le tissu jusqu’à ce que l’entaille sur la cuisse lui fût complètement accessible. Elle la nettoya avec soin avant de commencer sa tâche. De temps à autre la jambe sursautait sous un soin un peu plus douloureux ; mais le chevalier autrement resta presque parfaitement immobile et son travail fut aisé. Quand ce fut fini, elle osa dire :

– Vous êtes très courageux. Vous guérirez vite, si Dieu le veut.

Le chevalier lui adressa un mince sourire.

– Pourrais-je de nouveau marcher ? Monter à cheval ?

– Il faudra du temps pour cela, vous ne devrez pas vous forcer trop tôt. Mais je crois que vous pourrez vous rétablir presque complètement.

– Presque ?

– Il est possible que vous boitiez un peu.

Silence crispa brièvement le visage mais se rasséréna aussitôt.

– Si Dieu le veut, répéta-t-il. Soyez remerciée pour vos bons soins, damoiselle. Quel est votre nom ?

La jeune miresse hocha la tête avec un rien d’embarras :

– Je ne suis pas une damoiselle. Mon nom est Mélisande. Reposez-vous, je reviendrai plus tard, ajouta-t-elle en esquissant le geste de partir.

– Damoiselle Mélisande, attendez…

Mélisande se retourna : le chevalier n’osait exprimer sa pensée mais son visage affichait un air de prière fort clair.

– Votre secret est bien gardé avec moi, messire. Soyez en paix.

Puis elle s’éclipsa avant que le jeune homme ait rien trouvé à répondre.

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