Silence n’eût pas le loisir de rejoindre d’abord Cornouailles, comme il l’aurait désiré, afin d’embrasser sa mère et sa sœur ; dès qu’il eut posé le pied sur le sol d’Angleterre, on lui fit savoir qu’il était attendu immédiatement sur le front de guerre à Chester.

L’affrontement du roi contre le comte Conant s’y enlisait. La ville originellement appartenait à ce comte ; le roi l’avait reprise, puis Conant l’assiégeait de nouveau. Pour l’heure, les citadins terrorisés refusaient d’ouvrir leurs portes à l’un comme à l’autre. Les armées du roi étaient venues encercler les forces rebelles, les assiégeants devenant assiégés. Quelques escarmouches éclataient de temps en temps, mais aucune bataille qui fût décisive. La situation s’éternisait, car les hommes du comte, bien qu’emprisonnés entre les murs de la cité et les armées du roi, bénéficiaient d’une eau courante qui traversait leur position et ainsi ne souffraient pas de la soif ; par ce biais ils parvenaient aussi à se faire discrètement acheminer des vivres et pouvaient donc tenir longtemps.

Silence et la trentaine de chevaliers français qui l’accompagnaient arrivèrent au milieu de cette étrange immobilité. Leur survenue claironnante secoua quelque peu l’ennui des soldats. Silence retrouva, avec fortes effusions, son père, quelques compagnons de son enfance, et le roi Ebain, qui l’accueillit avec plus d’honneur qu’il ne s’y attendait.

– Ce renfort est le bienvenu assurément, quoiqu’il soit petit, mais un homme valeureux vaut mieux que dix couards, et je vois que vous avez amené là de fiers compagnons, ami Silence. Vous semblez pleins de sève et impatients à la bataille ; cela me décide à lancer un assaut que je repousse depuis trop longtemps. Installez-vous dans le camp, prenez des forces : demain peut-être sera le jour de notre victoire.

Les hommes acclamèrent ces propos ; le camp se ranima. Tous se préparèrent à la bataille.

***

Comme elle l’avait annoncé, Mélisande s’était mêlée à la suite de Silence ; elle fut présentée au roi avec ses autres compagnons. « Une femme mire ? s’étonna le monarque. Ma foi, il y aura trop d’ouvrage demain pour faire la fine bouche ; toute main sachant soigner sera la bienvenue. »

Mélisande constata rapidement qu’elle n’était pas la seule femme dans le camp : des serviteurs des deux sexes entouraient le roi et les hauts seigneurs ; certaines nobles dames avaient accompagné leur époux, quoiqu’elles fussent installées loin de la ligne de front et ne comptaient certes pas prendre les armes. La jeune miresse parla particulièrement avec l’une d’entre elle, Aënor, la jeune épouse d’un ami d’enfance de Silence, le chevalier Ernout. Elles se lièrent d’amitié avec la hâte particulière qui précède les grands évènements qui peuvent voir tout basculer. Auprès d’elle, Mélisande trouva le réconfort qu’elle ne pouvait espérer auprès de Silence, étant lui-même l’objet de son angoisse et trop pris de cette fièvre qu’elle ne comprenait pas.

– Pourquoi nos hommes sont-ils si excités à l’idée de se meurtrir, dites-moi, dame ? Tous ces gens jeunes et joyeux, un grand nombre ne verront pas une deuxième fois le soleil se lever, d’autres seront peut-être estropiés à jamais. Moi et les mires devront travailler jusqu’à épuisement pour tâcher de rattraper tout le dol qui aurait pu ne jamais être infligé.

– Je vous comprends, Mélisande douce amie, répliqua Aënor. Mon anxiété est pareille à la vôtre ; pourtant gardez-vous d’émousser l’ardeur de votre compagnon en lui exprimant ces plaintes, car si le doute naissait dans son cœur la mort le frapperait plus sûrement. Demain nous prierons ensemble pour le retour de ceux qui nous sont chers pour qu’ils nous reviennent sains et saufs ; l’attente me paraîtra moins longue de la partager avec une sœur.