Episode 1 - Partie 1 : D'Ombres et de morts

4 minutes de lecture

 Son sourire.

 Voilà la première chose qui me vint à l’esprit.

 Lorsque mes doigts encore meurtris par le fouissage d’une terre froide et récalcitrante – si indignes d’Elle - lui caressaient la joue,

 Après m’avoir embrassé,

 Quand je mitraillais de râles autant le tout que le rien,

 Dès qu’Elle me regardait... me parlait,

 À chacune de mes lamentables tentatives pour la faire rire…

 En tout instant en fait, Elle m’en offrait un.

 En ce moment même, son sourire m’éclairait. J’attendais avec impatience le baiser qui allait lui succéder. Déjà mes pensées s’attachaient au délice du contact de ses lèvres contre les miennes. Son rire envahissait toute la pièce, une mélodie à laquelle mon cœur cédait sans peine chaque fois. D’ailleurs, je le sentais s’emballer dans ma poitrine fébrile. Elle était là, au dessus de moi, à peine vêtue d’un drap blanc traversé par les éclats d’un jour serein. Soudain, Elle ouvrit grand ses bras pour découvrir ses seins magnifiques. La perfection venait d’accoucher d’une lumière surnaturelle plus éblouissante encore. Et lentement, tel un tsunami de tendresse, elle fondit sur moi. Je ne pouvais résister. Mais en avais-je le désir ? En ces simples moments passés à ses côtés résidait le seul intérêt d’une existence rythmée par le vide et un morne espoir.

 Juste un baiser, encore un…

Pardonne-moi !

 La réalité m’extirpa brusquement à ma rêverie de son haleine méphitique.

 La fin avait commencé comme ça. Sans que je sache que c’était mon tour d’y passer. Peut-être avais-je trébuché ? Peut-être avais-je été jeté à bas au moment de pénétrer dans la pièce. Toujours est-il que mon crâne avait percuté une pierre. Je gisais, groggy, dans la poussière. Mes idées tout comme mon sang s’écoulaient abondamment d’une plaie béante et douloureuse. Le trouble, néanmoins, ne tarda pas à s’estomper quand ma conscience saisit d’instinct l’ampleur de ce qui se tramait au-dessus de moi.

 En premier, je vis cette gueule prête à se refermer sur mon cou afin d’en arracher un bout de chair, puis des orbites creuses hantées par des vers affamés qui tentaient de s’accrocher à ma peau. Les crocs aigus claquaient, un son glaçant et irritant qui se répercutait dans les ruines d’une baraque inondée d’ombres. D’une langue fine et noirâtre dégouttait une bave envieuse. Je tentai de repousser mon assaillant, mais toute mon énergie m’avait abandonné. À force de s’enfoncer dans la masse molle et putride, mes doigts parvinrent à exercer une ultime poussée – mue autant par l’espoir que par son antithèse – en s’appuyant sur ce qui semblait être une cage thoracique. Si la chose ne progressait plus, bien vite je compris que ma main était prise au piège d’une substance gluante dont la volonté était de m’intégrer en son sein maudit et infâme. Elle pesait sur mon corps courbaturé, dégoûté par ce contact immonde.

Dans quelques instants, tu seras lentement ingéré.

 Je ne sus apporter le contre-argument, la touche optimiste nécessaire à contrecarrer la logique de l’ordre naturel. Dans l’idée, j’étais mort, une viande mastiquée par le maître de la chaîne alimentaire, même si quelques spasmes de résistance parcouraient mes muscles bandés à l’extrême. Oui, bientôt, je serais dévoré, digéré… puis plus rien. Mais ce sort me semblait enviable quand j’imaginais possible de devenir une de ces engeances infectes.

 Je fermai les yeux, cherchai à m’évader…

Quitte à mourir, autant que ce soit dans un sourire. Le Tien… Le mien !

 … sans y parvenir. Pour peu que cela fût possible, je sentis le rictus de la créature au-dessus de moi. Devant ma condition ridicule, il y avait matière à moqueries effectivement, d’autant plus qu’une autre de ces horreurs avait franchi le seuil de la porte et rampait vers moi, les doigts envieux projetés en avant, de longs tentacules à ce qu’il me sembla soudain. Jamais auparavant, je ne m’étais senti aussi inférieur… aussi pitoyable. De la viande, rien que de la barbaque !

Non, voilà ce que j’aurais voulu hurler, comme si ce simple mot suffisait à délivrer n’importe qui de la peur – de la folie découlant de cette vision, en l’occurrence.

 — N…

 Rien de plus ne s’extirpa de ma gorge nouée. De leurs gazouillis, les oiseaux, indifférents à ma détresse, me rappelaient la belle journée en train de fondre au dehors derrière un paysage de collines verdoyantes. Je les avais franchies quelques heures plus tôt, avant de m’enfoncer dans une petite forêt de pins et de tomber sur cette maisonnette abandonnée, du moins en apparence. Mais tout ceci me paraissait bien loin à présent, malgré ces quelques rayons lumineux qui traversaient les lézardes en me signifiant l’existence de cette autre réalité à portée de main. J’étais le prisonnier d’un autre monde, d’un cauchemar innommable…

Clac ! Clac !

Crac… crac…

 Les dents répondaient aux craquements sinistres de la cage thoracique qui se morcelait. Aucune douleur pourtant n’émanait de la chose, juste une faim vorace, irrépressible, inextinguible. Seule comptait cette chair vivace devant elle. Au concert morbide s’ajouta une nouvelle note, un clapotis à vomir. Les deux créatures s’aggloméraient en un effrayant amas de viandes puantes. Des fibres putréfiées suintait un liquide visqueux. J’étais proche de la noyade, sous le coup du flot noir, sous le coup de mes haut-le-cœur. Du coin de l’œil, je pouvais voir des nuées de cancrelats fuir les lieux. Et je les enviais… oui, je les enviais.

Clac ! Clac !

Crac… crac…

 Je sentais les tissus s’entremêler, les os former un nouveau squelette tout aussi spongieux.

Adieu !

 Je lâchai prise. Presque déçue de ce manque de résistance, la chose hésita un instant. La faim, toutefois, se chargea de la rappeler à l’ordre. Elle plongea son gouffre acéré dans mon cou.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Francis Jr Brenet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0