2.6 Lesia - Premier Patient

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- Bonjour Lesia. Je suis contente que tu te souvienne de moi.

Son ton très calme et très doux jure avec la tension environnante. Les halètements de douleur de Natanaïl couvrent ma propre respiration. La terreur commence à me figer. Je voudrais qu'Ezéar arrive maintenant. Qu'il fasse quelque chose, qu'il la chasse ! Il n'est jamais loin, d'habitude. Mais bon sang que fait-il ? J'avale péniblement ma salive, m'obligeant à ne pas baisser les yeux vers mon frère.

- Papa va bientôt rentrer du travail.

- Oh oui, oui, je sais. J'y compte bien. Je vais quand même lui accorder des adieux.

- ... des adieux ?

- Oui, ma chérie. Natanaïl a besoin d'aide, n'est-ce pas ?

Silence. Je pince les lèvres.

- Eh bien je me propose de lui apporter mon savoir faire. J'ai une amie docteur, tu te souviens peut-être d'elle ? Je pense qu'elle pourra le soigner. Tu me fais confiance ?

Silence. Non. Pas du tout.

Péniblement, ma nuque se dérouille et s'abaisse pour cacher les larmes de colère et de peur qui me brouillent la vue. Pas assez, cependant, pour ne pas voir Natanaïl au bord de l'évanouissement, le dos arrondit de telle façon qu'on le jurerait sur le point d'embrasser les pieds de son bourreau.

- C'était vraiment nécessaire ?

La voix calme et neutre d'Ezéar s'élève à ma droite. En même temps que Svenhild, ma tête se tourne machinalement pour le voir. Il n'a pas l'air surpris. Ses prunelles noires ne dégagent rien : ni colère ni inquiétude.

La géante lui sourit avec une sorte d'excitation jubilatoire.

- Admet que c'est efficace : il nous laisse discuter tranquillement au lieu de se débattre comme un forcené pendant que je le tiens par le col.

L'image semble arracher un début de sourire à Ezéar. Ou plutôt, un rictus que je ne peux interpréter. Et finalement, il soupire en levant les yeux.

- Soit.

Comment ça, soit ? Je n'en crois pas mes oreilles ! Il ne va quand même pas laisser cette femme emmener mon frère !!

- Ezéar !

Mon appel indigné n'a absolument aucun effet. Ni l'Ours ni Svenhild ne sourcillent.

Heureusement, mon père ne se fait pas attendre. Il débarque au pas de course, l'air affolé, au secour de son fils. Je dois dire que je l'ai rarement vu aussi expressif. Ma présence semble le perturber un moment. Il me regarde, horrifié, comme s'il espérait que je lise dans ses yeux l'ordre de m'enfuir. Mais c'est absolument hors de question ; je ne laisserais pas mon frère en arrière !

A deux pas de Svenhild, papa s'arrête, comme s'il n'osait pas approcher plus.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je m'apprête à emmener mon premier patient dans ma nouvelle clinique.

Un regard à Ezéar fait déglutir mon père si péniblement que sa pomme d'adam semble se coincer dans sa gorge. Sa voix, d'ailleurs, se brise en conséquence.

- Tu ne peux pas...

- Bien sûr que si, mon tendre ami ! Non seulement je le peux, mais je le dois. Et toi aussi, Ierofeï, c'est ta responsabilité.

Le ton de Svenhild se fait plus grave, son œil brun s'accorde à l'autre un moment pour percer son interlocuteur de part en part.

- Il n'a déjà que trop frappé à cause de ton manque de vigilance. Sois content que je cherche une solution au lieu de le tuer sur le champ.

Silence.

- Qu'est-ce que tu vas lui faire ?

L’œil brun se radoucit, et le sourire revient.

- Nous allons le soigner. Je t'en fais la promesse. Même si ça doit prendre des années, on le réparera, ton fils.

Son visage se tourne vers moi.

- Quant à ta fille... je te suggère de bien la surveiller.

Silence.

- Peut-être que Judith devrait l'examiner régulièrement pour un meilleur suivi.

Mon père se renfrogne à ces mots et baisse les yeux vers son fils qui murmure des paroles inintelligibles en serrant son bras à la base du coude, comme pour se forcer à garder un pied dans la réalité.

Passé cet instant figé dans le temps, tout va soudain horriblement vite. Je me vois, hurler, retenue par Ezéar en tendant les mains vers mon frère qu'une toute petite femme asiatique porte dans ses bras, loin de moi, de plus en plus loin. Et mon père qui la suit, abattu, résigné comme un chien... En larmes, je me débat de toutes mes forces pour que cet imbécile d'Ezéar me lâche. Et je l'entend me murmurer avec une inhabituelle douceur qu'il n'y a rien qui puisse être fait.

Oh comme je le déteste ! Comme je le déteste !!

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