1.0 - Mahe

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J'ai dû m'endormir.

C'est étonnant d'y parvenir encore. Infatigable, je peux y échapper la plupart du temps. Mais l'expression du subconscient est un besoin qu'on sous-estime. Régulièrement, le rêve profite d'un moment d'inactivité pour s'imposer à moi.

Et toujours, je replonge, loin en arrière.

Ou peut-être pas si loin, en perspective.

L'éveil dans le Vide. Une pièce qui n'a que l'odeur de la pierre, une couche creusée dans la roche. Comme embaumé dans une crypte. Sensation rêche sous mes doigts. Il n'y a pas de porte. De l'air semble venir d'un puit dans le plafond. Mais il n'y a pas d'échelle. Mon rêve retranscrit bien le souvenir de mes sens limités à l'époque. Le toucher, l'odorat et l'esprit. Le goût aussi, bien sûr, mais je n'ai pas léché les murs pour les analyser.

La scène se déforme vite : je perçois sa présence. C'est illusoire. Même aujourd'hui avec l'ouïe revenue, je ne peux la capter. Elle n'est visible que par les yeux. Et mes yeux sont irréparables.

Pourtant, dans le rêve, je la perçois. Je la perçois telle que je l'ai touchée des mois plus tard. Telle que me l'ont décrite Ysha et Lesia.

Avant, bien avant, il y a eu les lèvres de Svenhild qui soufflaient un air frais et bougeaient sous mes doigts pour m'expliquer qu'elle m'avait choisi ; que je n'étais pas prisonnier, mais privilégié. Avant, il y a eu la découverte de son pouls bas, opposé à celui agité du docteur Zedan. Et les premières injections.

Sasori était là tout le temps. Je n'étais jamais seul. Pourtant, si mon cœur manquait parfois un battement en croyant sentir une présence, j'ignorais entièrement jusqu'à son existence.

La première fois que j'ai senti son contact, c'était après la troisième injection. J'ignore depuis quand j'étais là. Svenhild m'avait construit une immense bibliothèque en braille que je dévorais pour tuer le temps. La majorité de ma culture a dû se faire à cette période. Il y avait aussi une salle de danse, que j'ai délaissé au premier bruit capté par mes tympans. J'ai trouvé les sons si laids qu'ils ont longtemps refroidi ma passion.

Mais, quand elle m'a touché, je n'entendais pas. J'étais encore dans ma bulle tactile et olfactive. Etendu sur mon lit, éveillé, j'analysais tout ce que je sentais dans mon corps. Svenhild se délectait de me voir réagir positivement à trois souches hybrides différentes ; j'essayais de sentir, avec le peu qu'on m'avait expliqué, à quels sens, à quels attributs je devais m'attendre. Des doigts fins et glacés qui se posaient avec une angélique délicatesse sur mon poignet ont évaporé ma méditation. Bien loin de sursauter, je me souviens avoir éprouvé un soulagement si grand que des flots de larmes ont instantanément trempé mes joues.

Ce n'était qu'un contact. Rien qu'un contact. Presque fantômatique. Son souvenir est indélébile.

Une bonne dizaine d'injections plus tard, j'en recevais une dernière, mais ni des doigts brutaux de Zedan, ni des doigts rapides de Svenhild. L'aiguille glissée dans ma peau venait de cette main rassurante, de cette personne imperceptible même par mon ouïe nouvellement éveillée et particulièrement fine. Celle que Svenhild appelait Sasori, dans des phrases ambiguës qui vibraient de menace. Mais, là encore, je n'ai pas eu peur. J'ai presque frissonné d'excitation en sentant l'aiguille et le liquide froid qui entrait dans une veine de mon pouce gauche. J'ai même cru capter son odeur. Trop furtivement pour la nommer. Trop discrètement pour être sûr. J'ai cru...

Ses doigts ont esquissé une caresse maternelle en retirant l'aiguille. Et son murmure a effleuré mes oreilles.

A cause de deux siècles de rêves, je ne sais plus ce qu'elle m'a soufflé. Mon subconscient change sans arrêt. Il va même jusqu'à modifier la langue. Mais ça n'a que peu d'importance. Je pense que son sang dans mes veines fusait déjà et me connectait à elle comme jamais. Je n'avais plus qu'elle en tête. J'ai saisi sa main quand elle l'a glissée dans la mienne et j'ai emboité son pas, en captant autour de nous tout ce qui forme la nuit. Nous avons marché si longtemps et si loin. Sans courir, sans s'arrêter, jamais. Même quand Svenhild appelait de loin en pleurant. J'entend encore le dernier "SASORI" déchirant, qu'elle hurlait alors que sa Gardienne l'abandonnait purement et simplement, sans l'ombre d'une hésitation.

Je ne me suis jamais senti aussi libre qu'alors.

Sasori m'a conduit par delà les Pyrénées, par delà l'Espagne. Nous avons nagé dans la méditérannée, longé les pays du Magrheb. Nous croisions des gens, que nous ignorions. Mon nez me disait que nous suivions quelque chose. Ce n'est qu'en arrivant sur une île grecque inhabitée que j'ai découvert quoi : Il y avait là Ezéar et sa troupe. Ils enterraient Azul.

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