1.4 Mahe - Mariko

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- Mariko.

Son hoquet de surprise l'arrête net dans son ascension, lorsque je pronconce son nom. Ma présence en haut du sentier lui est inattendue. Mais après un trop court moment de silence, j'entends dans sa poitrine l'air sifflant d'une exclamation retenue.

- Je t'ai trouvé.

Sa voix est plus calme que ce qu'elle ressent, mais toujours trop forte pour mes pauvres oreilles déjà saturées par les hurlements des insectes.

- Ysha a fait en sorte que tu me trouves.

Je me détourne du sentier et retourne m'asseoir sur le banc pour l'attendre. Sa lenteur m'étonne, c'est à peine si elle grimpe plus vite qu'un humain. Elle doit être vraiment très très jeune. Ou bien, ses cellules ne sont pas encore bien développées. Ou bien, elle ne fait aucun effort. En fait, je n'en sais rien. Et je m'en fous.

La voilà. Elle s'arrête à quelques mètres de moi. Je n'entend plus que sa respiration. Mais enfin, j'apprécie au moins qu'elle se taise.

- Tu vis ici ?

Le plaisir n'aura pas duré.

- Tu devrais arrêter de crier.

Silence. Elle n'a pas compris. Il faut dire que c'est idiot de ma part, de lui avoir fait cette remarque.

Damn... Je me retrouve avec ce morceau d'hybride sur les bras à cause d'une lubie d'Ysha. Et elle, pleine de faux espoirs qui vont vite déchanter. Il fait vraiment chier.

Mariko doit sans doute m'observer, je sens son attention curieuse sur moi. Sa seconde question ne tarde pas.

- Qu'est-ce que tu fais ?

Je reste planté là, toute la journée, à penser à des trucs. Et toi ? Toi, tu gravis un sentier à flanc de colline parce qu'un type que tu ne connais pas t'as dit que tu me trouverais là. Et tu n'as même aucune idée de pourquoi tu es venue me trouver, n'est-ce pas ? Encore moins de qui je suis. A quel point faut-il être désespérée pour se lancer la tête la première dans un tel flou ?

Pendant qu'elle se terre dans un silence gêné, face au mien, et entreprend de faire le tour du cabanon avec la discrétion d'un yéti, je me concentre sur la perception que j'ai d'elle. Je me souviens que ses cheveux sont raides, épais et lisses. Ils descendent jusqu'à ses épaules. Mais elle doit les avoir attaché, car je n'entend pas leur frottement sur ses vêtements. A moins qu'elle ne porte qu'un débardeur à très fines bretelles. Ses chaussures sont de grosses godasses, faites pour la marche ou le travail. Ça accentue les sons de ses pas indélicats sur l'herbe et les cailloux. Et son odeur... C'est ce que je préfère, identifier l'odeur subtile des hybrides. Chez elle, il y a ce fond de sable chaud en évidence. Le genre d'odeur qu'on sent quand on s'allonge sur la plage, ou qu'on voyage dans le sahara. Plutôt le sahara, car il n'y a rien d'humide, ni de salé dans ce goût qu'elle laisse sur le palet. Au contraire. Je dirais acide, légèrement sucré, comme un citron. Et sec, très sec.

Un citron à peine mûr, plongé au cœur d'une dune de sable brûlant.

Exact ! J'ai trouvé. Ce n'est pas désagréable, c'est au moins ça de positif. La voilà qui revient tout près.

- Ce gars, qui m'a dit où te trouver...

- Ysha.

- Ysha.

Elle pose un sac au sol avec un tel abandon que je sens la vibration filer jusqu'à moi et remonter dans mes genoux. Pauvres insectes.

- Il m'a dit que tu m'attendais.

Il devrait écrire des scénarios.

- Je savais que tu viendrais.

Première leçon : apprendre les nuances.

- Tu vas m'aider ?

- A faire quoi ?

Silence.

Elle soupire et s'assied par terre. J'entends des mouvements que j'ai du mal à identifier. Des frottements peau contre peau. Et finalement, un sanglot. Un soupir se bloque dans mes narines : ça commence à me pomper l'air.

- Mariko.

Le sanglot suivant s'étouffe, comme si elle plaquait fort sa main contre sa bouche.

- Ysha est un triple con. Il organise les choses à sa manière et attend de voir ce qui se passe. Il nous a poussé l'un vers l'autre juste pour s'amuser. Je veux bien écouter ce que tu as à me dire, mais je ne pense pas que je pourrais t'aider.

Silence. Son souffle reprend contenance, lentement. Elle sèche ses yeux du dos de la main - c'est cette zone qui rend le son rugueux contre les cils.

- Ton nom, c'est quoi ?

La question me surprend un peu. Et je m'aperçois que, sans vraie raison, je n'ai pas tellement envie d'y répondre.

- Nous parlons de toi, pour le moment.

Ouch, ça, c'était supérieur. Je commence à me transformer en triple con, moi aussi.

Elle semble trop épuisée pour me souligner mon impolitesse ; des excuses soufflées viennent renforcer mon malaise. Puis, elle reprend son douloureux volume vocal, chargé d'une panique à peine dissimulée.

- Je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas ce qui se passe !

- Calme toi. Raconte moi. Parle doucement. Je veux dire, baisse le volume.

- Je n'ai pas vieilli. J'aurais dû vieillir, comme tout le monde. J'aurais dû vieillir ou mourir. Mais je suis restée jeune et en santé. J'étais obèse et, d'un seul coup, j'ai commencé à perdre toute ma graisse, sans rien faire pour. Puis j'ai pris du muscle, comme ça, sans avoir jamais fait le moindre sport !

- A quoi ressemblent tes dents ?

- Quoi ?

- Tes dents.

Silence. Sa perplexité est presque palpable. J'en déduis qu'il n'y a rien à signaler de ce côté là.

- Depuis quand tu as remarqué ces changements ?

- Je ne sais pas. ll y a à peu près 20 ans... Je suis supposée avoir dans les 60.

Ce n'est pas un si grand âge, même pour une humaine.

- Qu'est-ce que tu as fait de ta vie, jusque-là ?

Ma question est posée simplement, mais elle hésite. Je l'invite doucement à être honnête, je ne cherche qu'à savoir dans quel contexte son hybridation a eu lieu.

- Je me prostitue depuis mes douze ans. Je ne connaissais que ça. J'ai continué.

Un accablement las s'abat sur moi à ces mots, pourtant attendus. Ma tête s'incline en avant sous le poids de ce qu'ils impliquent. Je retiens un soupir en me redressant.

- Tu te souviens d'un événement en particulier, un peu avant que tu commences à maigrir ?

- Non.

Silence. De nouveau, je me concentre sur son agréable odeur. Comment imaginer qu'autrefois, son corps devait dégager une sueur malsaine ? Son haleine devait être pâteuse et ses intestins nauséabonds. L'endroit où elle vivait devait sentir un mix de nourriture, de foutre, de mauvais parfum et d'encens faussement fruité. De quoi faire vomir le plus habitué des estomacs. Et pourtant, elle avait des clients. Qui venaient pour ce qu'elle avait à offrir : son corps et...

- Tu te droguais ?

- … oui.

- Par quelle voie ?

- Intraveineuse.

Et voilà, inutile de chercher plus loin. La molécule hybride a facilement trouvé sa voie. Certains chopent le sida, les hépatites, la syphilis... D'autres attrapent l'immortalité. A part ça nous sommes tous égaux.

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