1.5 Mahe - Audrey

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Je ne sais pas quoi faire. Je ne sais vraiment pas quoi faire.

Même si j'étais légitime, ce qui n'est pas le cas, je n'ai pas la personnalité adaptée. Trop peu locace, trop indélicat, trop autocentré sans aucun doute. Je ne sais qu'évoluer dans mon propre espace, percevoir, penser et ressentir. Un point c'est tout.

La conversation, je ne l'aime qu'avec Lesia et Ysha. Quand j'y suis disposé. Je ne me suis jamais habitué au monde des entendants et me suis trop éloigné de l'humanité.

Or, Mariko baigne dans ses automatismes. Chaque détail de son comportement est humain. Que faire d'elle ? Que faire avec elle ? Que faire pour elle ?

Je suis sorti marcher en forêt, pour m'éclaircir les idées. Mais Mariko m'a suivi. Je sens encore dans son haleine l'odeur des gâteaux qu'elle a mangé, après avoir réalisé qu'il n'y avait rien chez moi, ni provision, ni de quoi cuire quoi que ce soit.

Je n'ai pas osé lui dire. Elle n'a pas osé me demander.

Ses pas précipités derrière moi sont comme ceux d'une enfant qui craint qu'on l'abandonne. Elle halète. Je ne la comprends pas. Je la comprends si peu que je n'arrive même pas à la juger. Quand j'y pense, elle me rend triste. Mais que puis-je pour elle, vraiment ?

J'ai envie de fuir. Mais je ralentis. Pour qu'elle puisse marcher calmement en mettant chacun de ses pas dans les miens. Le son de ses pas et de sa respiration s'apaisent. Ouf.

Les arbres commencent à se resserrer et leurs odeurs s'entremêlent. Certains troncs ne sont pas facile à deviner avant d'avoir le nez à quelques centimètres d'eux. Seul, ce n'est pas un problème, je les évite, mais...

Son cris de surprise et de douleur m'arrache la moitié d'un tympan. Je m'arrête. Et décide de revenir vers elle. L'odeur de sable chaud est plus forte, elle saigne. Au son, je comprends que son nez s'est écrasé contre un tronc.

- Tu n'as pas vu l'arbre ?

- Tu le cachais ! Et tu t'es enlevé d'un seul coup.

- Et tu n'as pas vu l'arbre.

- Je l'ai vu quand je me suis écrasé le nez dessus !

- C'était trop tard.

Elle se relève en ruminant. Je reprend ma marche. Elle m'emboite à nouveau le pas, mais n'essaie plus de suivre le rythme, et garde ses distances. Au son de ses mouvements, je devine qu'elle prend bien soin de regarder où elle va.

- C'est quoi, ton nom ?

Des oiseaux s'envolent à son cri. Sans cesser de marcher, je ne peux m'empêcher de lui faire la remarque : ce n'est pas parce que nous sommes plus loin l'un de l'autre qu'il faut augmenter encore un volume sonore déjà excessif. Après tout elle m'entend bien, elle.

- Pourquoi tu ne veux pas me le dire ?

- Je m'appelle Mahe.

Silence. Je ne suis pas à l'aise à l'idée qu'elle puisse désormais crier mon nom a l'envi. Mais le garder secret commençait à relever du caprice.

- C'est ton vrai nom ?

Je m'arrête net à cette étonnante question.

- Pourquoi ?

- Pour être sûre. Moi, je ne m'appelle pas Mariko.

Immobile, j'attends qu'elle poursuive. Mariko sonne japonais. Elle m'a dit être vietnamienne.

- Mariko, c'était pour le tapin. En vrai, je m'appelle Audrey.

- Audrey ?

- Oui. Audrey, Linh, Sâm-Lè

- Tu es née en France.

- Oui.

Je me tourne vers elle. J'ai envie de toucher son visage pour en redécouvrir les traits. Mais je ne le ferais pas. Je me sens encore nauséeux au souvenir de l'y avoir forcée, en ville.

Audrey.

Un prénom simple, mais qui résonne dans sa voix avec une force qui me touche au coeur.

Audrey Linh.

Son nez a cessé de saigner. Les vibrations de son corps font trembler l'air qui nous sépare.

- Ravi de te rencontrer.

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