Chapitre 2

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Lili, dans un flot ininterrompu de paroles destinées à sa meilleure amie Margotte, observe les passants à travers la vitrine du café-restaurant. Ce matin-là,  ils sont à l’image du temps : maussades. Ils sont tous vêtus de noir, de gris sombre ou de bleu-marine. Et en zyeutant Margotte, Lili réalise que celle-ci ne fait pas exception. Elle seule se démarque avec sa tenue bariolée qui lui donne envie de chanter et de danser. Elle se mord la langue, se retenant de dévier la conversation et de demander si les gens sont toujours aussi fades et mous. Elle connaît la réponse de Margotte par cœur : ce ne sont pas les gens qui sont flagada, c’est elle qui saute partout et s’enjaille pour un rien !

Au réveil, Lili, tout excitée, avait bondi dans ses chaussures pour profiter de la merveilleuse journée que lui offre le seigneur, comme l’aurait formulé sa regrettée grand-maman paternelle avec un sourire indulgent dirigé vers sa mère. Lili était l’exact opposé de sa génitrice dans le caractère mais son portrait craché dans l’apparence physique. Leurs longs cheveux blonds, lesquels tiraient sur le roux, étaient leur plus grande fierté à toutes les deux. Et c’était bien là le seul point sur lequel elles s'accordaient, au grand désespoir de son père et de sa grand-maman. Chaque matin, Lili pensait à l’existence à la fois folle et paisible de celle qui lui avait montré d’ô combien de merveilles regorge le monde lorsque l’on sait s’attarder et regarder, regarder vraiment, avec son cœur. Et, sans pour autant la jalouser, elle l’enviait, lui portant une béate admiration qui la guidait sur le même chemin.

Nostalgique, elle éclate de rire en regardant un inconnu glisser et se donner un coup de parapluie sur la tête en chutant. Il pousse des jurons, qui redoublent d’intensité lorsqu’il ramasse son haut de forme flambant neuf trempé. Margotte, surprise et concentrée sur le débit rapide de paroles de Lili, sursaute puis lui lance un regard noir : dans sa peur, elle a renversé la moitié de son jus de tomate sur la table. Malgré tout, lorsque d’autres clients du café dévisagent Lili et montrent leur désappointement avec des remarques désobligeantes et des insultes, elle s’exclame :

— Regarde ailleurs, l’imberbe, avec ta meuf qu’a plus de barbe que toi ! T’es qui au juste ? Tes remarques tu te les gardes et tu vas bouffer ailleurs ! Ouais, tu sais c’qu’elle te dit, la connasse !

Le couple sort du café avec empressement, la jeune femme se tenant le menton, écarlate d’humiliation tandis que Margotte annonce à Lili qu’elle part se préparer pour l’heure de son service.

— Margotte, j’t’adore mais t’exagères, s’exclame Lili avec bonne humeur en se levant distraitement, son bol de glace vanille-menthe-chocolat dans la main. J’te la ramène c’soir, sa…. aaaaaaaaaluuuuuuut !

Tout va très vite. Lili, qui ne fait jamais attention à où elle met les pieds, glisse et vient s’écraser sur les genoux d’un jeune inconnu. Pendant quelques secondes, aucun d’eux ne comprend ce qu’il se passe. Puis Lili lève brusquement son visage du pantalon du jeune homme pour le regarder.

— Teh, j’vais arranger ça ! Laisse glisser ! Laisse glisser ! s’exclame Lili, sans perdre de son assurance et de sa bonne humeur, accompagnant ses paroles par des gestes rapides et désorganisés pour saisir une serviette de table sur le plateau le plus proche.

A plusieurs reprises, elle tapote énergiquement l'entrejambe du vêtement de marque de l’inconnu pour la nettoyer. Puis, prise de panique en réalisant qu’elle agrandit la tâche et que le client tente de la repousser dans un mécontentement silencieux, elle lui verse son verre d’eau glacée dessus en espérant enlever la glace.

— Éloignez-vous de moi, exige le garçon dans un souffle avant de partir sans payer, impatient de se débarrasser de Lili.

— Mais y s’passe quoi ici ? Lili, t’as fait quoi encore ?! s’étonne Margotte en revenant, désormais vêtue dans sa tenue de service. J’rêve ou tu lui as étalé tes trois boules sur ses deux boules ? J’peux vraiment pas t’laisser seule ! ricane-t-elle, exaspérée.

Lili, vexée, décide tout de même de ne pas se laisser abattre et de garder son grand sourire. Sans répondre à sa meilleure amie, elle dépose un billet sur la table de l’inconnu et s’éclipse du café.

D’une démarche sautillante, heureuse de ne pas avoir souillé sa nouvelle robe, elle se dirige vers sa nouvelle vie, deux-cent-soixante-dix-huit mètres plus loin.

— Lili Chambon, pour Monsieur Blanc ! annonce-t-elle gaiement dans l’interphone.

Elle entend la porte se déverrouiller et, impatiente d’entrer, manque une marche et file son collant jaune poussin. Habituée à ce genre de preuves de sa maladresse légendaire, elle ne s’en formalise pas et se relève en souriant. À quelques pas d’elle, un homme grand et costaud, à la couleur ébène, lui sourit.

—Madame Chambon, entrez donc, l’invite-t-il en lui montrant l’entrée d’un bureau dont le poste de travail est certes propre et organisé mais encombré de paperasses en tous genres.

Sans attendre d’autorisation, elle s’assoit. Son interlocuteur semble étonné, mais ne fait aucune remarque.

— Madame Chambon, comme je vous l’ai annoncé lors de notre correspondance téléphonique…

Il s’interrompt et enlève la photo de famille qui était sur son bureau des mains de Lili.

— Votre CV et votre lettre de motivation nous ont impressionnés et… reposez-ça, s’il vous plaît, Madame Lacombe… exige-t-il, troublé au point de se tromper de nom de famille. Merci… C’est pourquoi nous voulions nous entretenir avec vous et… continue-t-il tant bien que mal.

D’elle-même, Lili repose l’agrafeuse avec laquelle elle était en train de jouer et redirige son attention vers son interlocuteur.

— Nous allons rejoindre Monsieur Lacombe, mon associé. Stella, Monsieur Lacombe est-il arrivé à son bureau ? demande-t-il en appuyant sur une touche de son téléphone de bureau.

Une voix stridente, très professionnelle et sérieuse, se fait entendre :

— Ui Mon sssieurrrr, il est prrésent. Je le fais appeler ?

— Non, merci Stella, répond Monsieur Blanc en fronçant les sourcils car Lili vient de pouffer, les larmes aux yeux tant elle se retient d’exploser bruyamment de rire à cause de la façon de parler de la dénommée Stella. Suivez-moi, Madame Chambon.

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