Chapitre 1

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Je courais à en perdre haleine.

Je courais dans les couloirs du château, jetant de temps en temps des regards derrière moi. Les couloirs étaient envahis d’une épaisse fumée blanche que me piquaient les yeux et me brulait la gorge, mais je courais quand même. Malgré les détours et l’utilisation des passages secrets, mon poursuivant, armée d’un poignard était toujours à mes trousses. Je courais depuis bien trop longtemps, mon cœur et mes poumons menaçaient d’exploser. Au détour d’un embranchement, une femme encapuchonnée me barra la route et je trébuchais. Avant que je ne puisse repartir, elle se rua sur moi jusqu’à m’immobiliser. Mon poursuiveur réussit alors à me rattraper et tandis que la femme avait plaqué sa main sur ma bouche, l’homme planta son poignard dans le bas de mon ventre.

Ce jour-là, mon cri fut contenu par la main de la femme. Mais aujourd’hui, mon cri se répercuta dans l’ensemble de ma chambre, alertant les soldats stationnés dans le couloir de mes quartiers. Ils entrèrent en trombe et fouillèrent mes quartiers de fond en comble tandis que j’essayais, tant bien que mal, de reprendre mon souffle.

— Dufreine, faites appeler Mademoiselle Keller au plus vite.

L’autre soldat, Garnier, s’asseye au pied de mon lit, mais je le repoussais. Les mains tremblantes, la respiration encore courte et le cœur battant à tout rompre, je courus m’enfermer dans la salle de bain.

Tout est fini, je vais bien, je suis vivante.

Ce mantra que je me répétais chaque fois que mes cauchemars réapparaissaient m’aidait à me calmer, à reprendre le contrôle sur la situation. J’ouvris le robinet pour me rafraichir le visage. Quand mon cœur et ma respiration se calmèrent, je posais ma main sur mon bas ventre, où j’avais hérité d’une longue cicatrice cette nuit-là.

— Mademoiselle Elena ! Ouvrez-moi s’il vous plait. Vous ne risquez rien, m’appela Emma, à travers la porte.

J’attendis que le tremblement de mes mains s’arrête complètement pour sécher les larmes qui avaient coulé sur mon visage et lui ouvrirent. Sans attendre, elle me prit dans ses bras et son parfum de cerise calma un peu plus ma terreur nocturne.

— Je suis là, Mademoiselle. Vous n’avez plus à avoir peur, murmura-t-elle.

— N’en informe pas ma mère, s’il te plait.

— Vous savez très bien que…

— S’il te plait, Emma. Je vais avoir quatre soldats sur le dos toute la journée sinon. Tu la connais.

— D’accord, d’accord, je ne lui dirais rien. Soldats, vous pouvez retourner à vos postes, je m’occupe d’elle. Et si vous preniez un bain ? Ça vous fera du bien.

Je ne répondis pas, mais elle prit ça pour une acceptation. Je m’asseyais sur le tabouret et attendis qu’il y ait suffisamment d’eau chaude dans le bain pour m’y installer. Comme d’habitude, Emma portait l’uniforme caractéristique des domestiques du palais, un pantalon noir, une sorte de tee-shirt rouge et par-dessus, un gilet plus proche du rose que du rouge, qui la distinguait par son poste. Ses longs cheveux bruns étaient toujours relevés en un chignon strict, l’une des règles imposées aux domestiques du château, mais quelques mèches rebelles s’en échappaient tel un signe discret de sa nature douce et bien plus libre que moi. Je compris, par sa coiffure, qu’elle s’était préparée en vitesse pour me rejoindre, une heure plus tôt que d’habitude. Ses yeux bleu clair, avec des tendances grises par moment, contrastaient avec son teint bronzé.

— Et si vous me parliez de vos cauchemars ? reprit-elle une fois que je fus dans mon bain.

— Pour quoi faire ? Ce sont de mauvais souvenirs, tu ne pourras rien faire. Tu ne peux pas changer le passé.

— Mais je peux vous aider à y faire face.

— C’est inutile d’insister.

— Dans ce cas je vais aller préparer votre tenue. Vous avez des cours de Politique, d’Histoire et de Communication aujourd’hui.

— J’ai tous les jours des cours, Emma. Pas la peine de me le rappeler, râlais-je.

Elle joua un instant avec mes cheveux, un geste rassurant qu’elle faisait à chaque fois que je n’allais pas bien, avant de me laisser seule dans la salle de bain. Je ramenais alors mes genoux contre ma poitrine, pour me faire la plus petite possible. Mon deuxième instinct de sécurisation, après le fait de m’enfermer dans une pièce. Je restais plus de dix minutes dans mon bain, l’esprit vide de toute pensée. Parce que j’étais la fille de ma mère, parce que j’étais la Princesse héritière de l’Empire, ma vie ne tenait qu’à un fils, suspendue entre le danger qui m’attendait aussi bien à l’extérieur du château qu’à chaque tournant de couloir et la surprotection de ma mère. De retour dans ma chambre, une serviette sur les épaules, j’eus à peine le temps de refermer la porte que ma mère m’étouffa entre ses bras. Son cœur, plaqué contre mon oreille, battait à tout rompre dans sa poitrine.

— Je vais bien, mère.

— Non, tu ne vas pas bien, Elena. Tes soldats m’ont informé de ta terreur nocturne. Tu as besoin de quelque chose ? Des soldats supplémentaires ? D’autres systèmes de sécurité ? Dis-moi tout. Que veux-tu ?

— Arrêtez ! m’énervais-je. Je n’ai besoin de rien, mère. Vous m’étouffez.

— Je veux seulement te protéger, ma chérie.

— Je ne veux pas de soldats supplémentaires ni d’un autre système de sécurité. Laissez-moi juste respirer.

— Excuse-moi, ajouta-t-elle en me lâchant. Je serais dans mon bureau toute la journée, si tu as besoin…

— Je n’ai besoin de rien ! Dehors !

Elle m’embrassa sur le front, s’assura qu’Emma garderais un œil sur moi aujourd’hui avant de quitter ma chambre. Sans un mot, Emma m’aida à m’habiller d’une légère robe beige avant de me planter devant moi, les bras croisés.

— Qu’est-ce qu’il y a, Emma ? Quand tu fais ça, c’est que tu n’es pas d’accord avec moi.

— En effet, je ne suis pas d’accord. Vous êtes bien trop dur avec votre mère. Elle s’inquiète seulement pour vous.

— Et bien, elle m’étouffe. Je n’ai plus cinq ans, Emma. Je sais faire attention, maintenant.

— Vous vous mentez à vous-même, Mademoiselle. Vous êtes toujours tourmentée par tout ce qui vous est arrivé.

— Certes. Mais c’est arrivé et je suis toujours en vie. C’est du passé, maintenant.

Elle soupira son mécontentement, mais me suivis tous de même dans la salle de bain, pour me coiffer. Je m’installais devant le miroir et elle plaça correctement mes cheveux derrière mes épaules. Emma attrapa la brosse et commença à les démêler. Je me détendis enfin, m’appuyant contre le dossier de la chaise et sentis ses doigts parcourir mes cheveux, des racines aux pointes pour suivre la brosse. Je pouvais presque m’endormir avec tant de douceur.

Une délicate odeur de cerise se propagea autour de moi. C’était dû au shampoing que je lui avais offert, quelques jours auparavant. Ce cadeau, c’était un remerciement pour tout ce qu’elle avait fait pour moi. Elle passait bien plus de temps en ma présence qu’avec sa famille, elle supportait mes crises de colère, de tristesse et de panique chaque jour.

— Excuse-moi de t’avoir fait réveiller si tôt. Je… je sais que tu étais chez toi hier et…

— Vous n’avez pas à vous excuser, Mademoiselle. Je suis là pour vous, à n’importe quel moment.

— Il n’empêche que tu as aussi le droit de dormir.

— Parce que vous choisissez de faire ou non des cauchemars ?

Elle posa la brosse, fit le tour de la chaise pour s’agenouiller devant moi et attrapa mes mains dans les siennes.

— Écoutez-moi. Vous avez l’impression que votre mère en fait trop, vous avez l’impression qu’il vous faut ne pas parler de vos traumatismes pour qu’elle vous laisse tranquille, mais ce n’est pas vrai. Elle est très inquiète pour vous. Elle vous élève seule depuis que vous avez cinq ans, tout en dirigeant un Empire. C’est une femme remarquable et vous ne l’aidez pas. Je sais que son amour vous étouffe, que toutes vos études vous insupportent, mais c’est ce qui fera de vous une Impératrice à la hauteur.

— Au lieu d’être tout le temps sur mon dos, pourquoi elle ne dit pas la vérité ? Pourquoi je suis tout le temps la victime de tentative d’assassinat ou d’enlèvement.

— Parce que vous êtes la princesse héritière.

— Tu me donnes, encore, la même réponse qu’elle.

— Parce que c’est la seule à donner, Mademoiselle.

— Comment vont tes sœurs ? demandais-je pour changer de sujet.

Elle se leva, repris la brosse et continua de me coiffer. Elle me fit trois nattes de chaque côté de la tête, attachée individuellement avant de les rassembler en une seule. Elle sortit le fer à friser pour les dernières mèches libres qui tombèrent en cascade sur mes épaules.

— Eloïse m’a fait une crise de jalouse toute la soirée, ajouta-t-elle. J’ai été obligée de dormir avec elle.

— Elle en a de la chance, souriais-je.

— Vous n’allez pas vous y mettre vous aussi ! lança-t-elle, accompagnée d’une petite tape derrière la tête.

— Pas du tout, j’aime très bien mon grand lit pour moi toute seule. Et alors, qu’est-ce qu’il s’est passé d’autre ?

— J’ai dû lui dire que vous aviez tellement de cours d’économie que vous n’aviez plus une seconde de temps libre, pour qu’elle arrête de vous jalouser.

— Ce n’est pas vraiment un mensonge. Mais au vu de son affection pour les mathématiques, je suis sûr que ça a fonctionné.

— En effet. Vous êtes un peu moins son idole.

— N’importe quoi, soupirais-je.

Dans ma chambre, l’horloge sonna huit heures cinquante, indiquant que mon premier cours de la journée allait bientôt commencer. Mon professeur de Politique allait m’attendre dans ma salle de classe personnalisée, pour mes trois premières heures. Ce n’était pas le cours que je préférais, le professeur étant un peu trop rigide sur ses idées, mais je restais assidue. Et au moins, quand j’étais dans ma salle de classe, j’étais en sécurité, ce qui ne donnait aucune raison à ma mère de s’inquiéter.

— Bonjour Votre Altesse, installez-vous, je vous en prie.

— Bonjour Professeur Bréval.

Sur mon bureau, en face d’un immense tableau blanc interactif, une pile de livres et de divers documents m’attendaient et je savais déjà que ce cours allait être long et ennuyant. Mais étant la seule élève, j’étais obligée de participer, ne serait-ce que pour faire passer le temps. Quand il se termina, deux heures plus tard, je cachais mon soulagement en me servant un verre de limonade bien fraiche.

— Tout va bien ma chérie ?

Je me retournais subitement, ne m’attendant pas à ce ma mère vienne et lui souris. Un vrai sourire cette fois.

— Oui, mère, tout va bien. Vous n’avez pas du travail ?

— Si, beaucoup même. Mais j’ai toujours un peu de temps pour passer te voir.

— Vous savez, si vous avez besoin d’aide…

— Non, je ne veux pas t’embêter avec ça. Tu as suffisamment à faire avec tes études. D’autant plus que tes examens approchent.

— Et donc le bal de remise du diplôme, je sais.

Je sentis ma main droite commencer à trembler et la cachais derrière mon dos, pour que ma mère ne le remarque pas. Ce bal était bien plus stressant que mes examens à venir. Parce que j’allais rencontrer plus d’une centaine de personnes et que, malgré un renforcement de la sécurité ce jour-là, tout ce monde sera bien trop proche de moi et susceptible d’attenter encore une fois à ma vie. Ce que je redoutais le plus.

— Comment sens-tu l’approche de tes examens ?

— Plutôt bien. J’ai encore besoin d’un peu de révision, mais ça devrait aller.

— Tu vas y arriver haut la main, j’en suis certaine. J’ai confiance en toi, ma chérie.

— Merci, mère.

— Bonjour Votre Majesté, bonjour Votre Altesse.

— Bonjour Professeur Villardin ! m’exclamais-je.

— Mais quel accueil, rigola-t-elle. Je suppose que vous aviez hâte que je remplace mon collègue.

— Et pas qu’un peu.

— Je vais vous laisser, enchaina ma mère. Travaille bien, ma chérie. Je t’aime.

— Je vous aime aussi, mère.

Le cours d’Histoire-Géographie était mon préféré. Non pas parce que la jeune professeur était super jolie, mais surtout parce qu’elle savait rendre son cours intéressant et vivant, surtout quand nous évoquions l’histoire de ma famille, les De Stinley.

— Je suppose que vous avez fait les recherches que je vous avais demandées ? commença-t-elle.

— Évidement, souriais-je avec plein d’entrain.

— Pourquoi je demande ? Vous êtes une élève modèle et la meilleure. Je vous écoute.

— À l’origine, le premier Stinley connu était un chasseur qui avait réussi à défendre son village contre des envahisseurs voisins. Suite à cet exploit, il a été nommé comme chef du village. Il a pu se marier avec la femme qu’il souhaitait et au fil des années, il réunit plusieurs villages voisins jusqu’à créer des villes ainsi que le tout premier royaume d’Eryenne. C’est quand il est devenu Roi que la famille Stinley a pris la particule, pour se distinguer.

— Exact. Mais je vais apporter quelques précisions. Votre ancêtre a protégé son village uniquement pour protéger sa bien-aimée. Au départ, il n’avait qu’un objectif égoïste. Vous portez d’ailleurs le collier qu’il lui avait offert en guise de demande en mariage.

Sous ma robe, je retirais le collier familial que ma mère m’avait offert pour mes dix-huit ans, un an auparavant. Il représentait l’emblème de notre famille et donc de l’Empire. Deux mains entrelacées, entourées de tiges de rosiers épineux.

— Au final, l’amour n’est qu’égoïsme, ajoutais-je.

— Est-ce vraiment ce que vous pensez, Altesse ?

— Bien sûr. Aimer quelqu’un c’est personnel, ça n’apporte rien aux personnes extérieures. Quand on fait les choses par amour on le fait pour soit, envers l’autre. Donc c’est égoïste.

— Je n’avais pas cette vision-là de l’amour, mais elle est tout à fait compréhensible. Revenons donc aux origines de l’Empire.

Pendant deux heures, nous débâtions. Elle me donnait les faits historiques, je donnais mon point de vue, bien qu’absolument pas nécessaire étant donné que l’Histoire était déjà passée donc terminer.

À treize heures, pour ma pause repas, je rejoignis Emma dans mon salon. J’avais besoin de faire le plein d’énergie, avant mon cours de Communication qui allait durer toute l’après-midi. C’était durant ce cours que j’allais apprendre comment me comporter et surtout comment me préparer au bal de fin d’études.

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