Chapitre 7

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Il m’avait fallu plus d’une semaine pour mettre à jour tous les documents d’économie de l’Empire. J’en étais arrivée à la décision qu’il y avait eu un gros manque d’organisation, de structure, mais surtout d’intérêt de la part du Ministre Billier. En ne cessant de rejeter la faute sur les autres ministres, il avait totalement abandonné sa propre mission. Les finances de l’Empire étaient si impressionnantes, que la banque avait préféré répartir l’argent en plusieurs comptes, afin de permettre une meilleure gestion.

— Mère ? Puis-je vous parler un instant ?

Pour utiliser tout cet argent à bon escient, j’avais besoin d’une marge de manœuvre que la présence de Ministre Billier ne me donnait pas. Mais pour l’exclure de mon champ d’action et donc du poste de ministre de l’Économie, je devais faire la demande à ma mère. C’était elle qui avait ce pouvoir en tant qu’Impératrice.

— Que puis-je pour toi, ma chérie ?

Je pris le temps de refermer la porte de son bureau derrière moi, de m’asseoir en face d’elle puis de poser un petit dossier devant moi. Son bureau était tout en bois, dégageant la puissance de son titre, mais aussi un sentiment de sécurité. L’immense photo de moi enfant, juste derrière ma mère, au lieu de son portrait, renforçait se sentiment. Depuis quelques années, j’avais compris que la présence de cette photo lui rappelait ce qui comptait le plus à ses yeux, moi. Et aussi de pourquoi elle était aussi surprotectrice. Mon portrait rappelait aussi à ceux qui venaient s’entretenir avec elle, que je passerais toujours en priorité, ce qui avait mis en péril l’Empire.

Le bois de certaines armoires avait quelque peu perdu de son éclat au fil des années, ma mère n’ayant jamais pris le temps de les faire lustrer. Aujourd’hui encore, on pouvait entendre le bois craquer, surtout au niveau des portes quand on tendait l’oreille dans le silence. Son fauteuil en cuir était lui aussi usé par ses années de règne. D’autant plus qu’avant son mariage, c’était mon père qui s’était tenu là et ses propres parents avant lui.

L’ensemble de la pièce était rangé, organisé, bien plus que mon propre bureau avec tous les documents éparpillés un peu partout. J’avais longtemps cru que cette absence de dossier, apparent, était due à leur gestion efficace. Aujourd’hui, je me disais que c’était peut-être parce qu’elle n’avait aucun dossier en cours. Sur l’une des armoires, une vieille horloge prenait la poussière depuis quatorze ans. Le coucou était cassé, absent et une longue fissure barrait le cercle de verre qui protégeait les aiguilles. L’horloge s’était arrêtée de fonctionne le jour où le château avait été envahi, le jour où j’avais reçu mon premier coup de couteau dans le bas de ventre, à l’heure exacte où l’horloge était tombée, en même temps que mon père.

— Je viens vous voir au sujet du ministre de l’Économie, Monsieur Billier.

— C’est vrai que tu as repris tous ses dossiers en cours. De quoi as-tu besoin ?

— J’ai surtout repris tout ce qu’il avait fait de travers. En fait, maintenant que tous les documents sont remis à jour, j’ai constaté que l’Empire avait beaucoup trop d’argent inactif. J’aimerais pouvoir utiliser cette réserve pour aider les Eryenniens au lieu de laisser l’argent dormir sur nos divers comptes en banque. Mais tant qu’il restera Premier ministre, j’ai bien peur qu’il me mette des bâtons dans les roues.

— Tu ne veux pas devenir Impératrice tant que tu y es ?

— Heu… je, bégayais-je, n’ayant même pas envisagé la situation.

— Excuse-moi, je n’ai pas été très subtile. Comme tu l’as compris, le peuple d’Eryenne ne veut plus que je sois sur le trône. Tu en as d’ailleurs fait les frais. Mais toi, tu n’as encore fait aucune erreur, tu as tout à prouver et réussir. Et tu as déjà commencé avec ton projet de redistribution alimentaire. Si je te demande aujourd’hui si tu es prête à devenir Impéraitrce, tu me diras non. Personne n’est jamais vraiment prêt à être couronné. Mais je suis certaine que tu sauras être une grande Impératrice. Celle que l’Empire à besoin.

— Vous pensez vraiment que… que j’en serais capable ?

— Oui. Si tu gardes confiance en toi et si tu t’entoures des bonnes personnes. J’ai cru comprendre que c’était grâce à Océane, qui tu avais mis le nez dans les affaires du ministre Billier.

— En quelques sortes, oui.

— Et c’était exactement ce qu’il fallait. Avec ton projet de redistribution alimentaire, tu as permis à plusieurs familles de ne plus avoir peur de ne pas savoir quoi manger le soir venu. Tu as permis à des parents d’avoir assez d’énergie pour travailler convenablement, pour leur enfant. Et comme tu viens de le dire, l’Empire à trop d’argent qui dort. Je suis sûr que tu sauras quoi faire de tout ça. Et en étant Impératrice, tu pourras destituer le ministre Billier sans qu’il n’ait rien à redire. Je peux même le destituer tout de suite si c’est ce que tu veux.

— Merci, mère. Ça me fait plaisir d’entendre ça.

— Je programme ton couronnement, ma fille ?

— Oui, mère, je suis prête.

— Je suis fière de toi, Elena.

Elle se leva pour faire le tour de son bureau et me prendre dans ses bras. Je laissais rarement ma mère me faire ainsi des câlins parce qu’à chaque fois qu’elle avait voulu m’en faire un, c’était toujours pour me protéger, me rassurer. Toujours dans des moments où sa surprotection était de trop. Mais aujourd’hui, en cet instant précis, ça ne me dérangeait pas. Au contraire, j’appréciais sa présence, sa chaleur. Son souffle régulier dans mon coup me permettait de ne pas penser au fait que j’allais bientôt devenir Impératrice, de ne pas paniquer à l’idée des responsabilités que j’allais bientôt avoir sur les épaules. De tout ce que j’allais devoir gérer, seule, pour réparer tout ce que ma mère avait détruit, tout au long de son règne.

Quand je quittais son bureau, ma première envie fut d’en parler immédiatement à Océane. Et alors que je faisais un premier pas dans le couloir, je me stoppais aussitôt. J’avais pensé à Océane en premier, pas à Emma. C’était la première fois et c’était déroutant.

— Soldat Dufreine, l’interpellais-je, savez-vous où est Mademoiselle Luisard ? J’ai besoin de lui parler rapidement.

— À cette heure-là… elle doit être à la bibliothèque. Elle s’est proposée pour aider au tri annuel du catalogue impérial.

— C’est là que je dois aller, dans ce cas. Je vous remercie.

Je fis un léger détour par mon bureau pour y déposer mon dossier avant d’aller retrouver Océane à la bibliothèque. Celle-ci ne m’entendit pas entrer, elle était au téléphone. Un objet technologique que je n’avais jamais eu, bien que j’avais toujours vu le monde autour de moi en avoir, y compris ma mère.

— Non, je vous ai dit d’attendre, de lui laisser une chance. Oui, vous avez déjà vu ce qu’elle était capable de faire avec son projet de redistribution alimentaire, vous… et bien faites-moi confiance dans son cas. Je vous dis qu’elle est capable de redresser le royaume, que si on lui laisse du temps, elle fera ce pour quoi vous luttez depuis des années. Très bien, je vous tiens au courant.

Elle raccrocha et se figea en croisant mon regard, comme si elle était prise en flagrant délit de crime.

— Tu parlais de moi, je suppose ? À tes collègues de la révolution.

— Oui. J’essaie de leur faire comprendre qu’ils peuvent te faire confiance. Que tu n’es pas comme ta mère.

— Et si tu leur disais que ma mère avait accepté de faire de moi la prochaine Impératrice, rapidement ?

— Tu veux dire… qu’elle va programmer ton couronnement ?

— Oui. C’est pour ça que je venais te voir. Tu es la première à le savoir. Ma mère à proposer mon couronnement après avoir vu ce que j’avais fait avec l’administratif de l’économie de l’Empire, la redistribution alimentaire et surtout mon envie de me débarrasser du Ministre Billier, mais ça c’est un détail.

— C’est génial ! Je suis vraiment contente pour toi.

— J’avoue que j’ai un peu peur. Je n’ai pas envie de décevoir mon peuple. Je n’ai pas envie de te décevoir, toi.

— Si tu fais les choses avec le cœur, avec bienveillance, tu ne pourras pas me décevoir.

— Mais, et si je ne fais pas les choses correctement, où même dans l’ordre ? Et si je que je mets en place de convient pas ?

— Toi, tu as besoin d’aller en ville, d’être au contact de ton peuple. Je suppose que tu n’as jamais sorti de l’enceinte du château ?

— Non. Et ça me terrifie encore plus que de devenir Impératrice.

— Et si on prenait le temps de discuter sérieusement ? De ce dont tu as envie, de comment tu imagines ton avenir, ton règne. As-tu seulement pris le temps d’avoir cette discussion avec qui que ce soit ?

— Je ne crois pas, non.

— Allons nous installer dans un endroit calme, où on ne sera pas dérangé, avec un peu de thé et des gâteaux. Viens, suis-moi.

Océane ne me laissa pas vraiment le choix. Elle attrapa ma main, glissant ses doigts entre les miens, ce qui éveilla une chaleur étrangère au fond de ma poitrine. Mes doigts se repassèrent légèrement autour des siens et mon cœur rata un battement à son sourire, à son regard si tendre et bienveillant. On s’installa dans l’un des salons privés qui étaient rarement utilisés, bien que toujours entretenue, avec suffisamment d’eau chaude pour plusieurs tasses de thé.

— Bon, je ne vais pas y aller par quatre chemins, Elena. Ta mère t’a surprotégée et trop couvée.

— Je suis d’accord là-dessus. Mais comment lui en vouloir, après tout ce qui m’est arrivé.

— Ce n’était pas un reproche, mais une constatation. Pour être une bonne impératrice, il faut avant tout connaitre son peuple. Ce qui n’est absolument pas ton cas puisque tu n’as jamais quitté le château, tu n’as jamais marché parmi eux.

— Donc d’après toi, il faudrait que je sorte ? Il pourrait m’arriver tellement de choses, Océane ! Je n’étais pas en sécurité dans ma propre chambre, mais alors dehors, où je ne connais rien n’y personne…

Le simple fait de penser à ce qu’il y avait au-delà de la protection des murailles, à tous les dangers potentiels, je sentais déjà mon cœur s’accélérer et ma main trembler. Et si je n’étais pas la bienvenue ? Et si on me reconnaissait et qu’on essayer encore de me tuer ? Non, je ne pouvais pas prendre le risque, je ne pouvais pas…

— Elena, intervint Océane, sa main posée sur la mienne. Tu m’as moi, tu as Emma. On ne te laissera jamais seule. N’oublie pas que j’ai une place importante dans la résistance. Ils m’écoutent, ils ne s’en prendront pas à toi. Je te le promets. Le monde dehors n’est pas aussi dangereux que tu le crois. Peu nombreux sont ceux à connaitre ton visage. Même au sein de la résistance. Tu seras en sécurité. Et tu pourrais même être surprise.

— Il faudra bien que je sorte un jour, non ? repris-je avec un peu plus de calme. Ne serait-ce que… une fois que je serais couronnée. Je ne pourrais pas être une Impératrice qui se cache dans son château.

— Exactement. Et en faisant ta première sortie, sans que personne ne te connaisse, ce sera un peu plus simple. Et puis, pour savoir comment être vraiment utile pour ton peuple, pour savoir ce dont ils ont vraiment besoin, il faut que tu les voies, que tu sois au plus près d’eux.

Sur la question, pour l’instant, j’étais mitigée. J’étais terrifiée à l’idée de sortir, à tout ce qui pouvait arriver. Mais en même temps, je savais qu’Océane avait raison. Qu’une Impératrice qui se cache ne pourrait jamais être un bon exemple. Et si je sondais vraiment mon cœur, éclipsant toute la panique qui était sur le devant de mes émotions, j’avais envie de sortir. De vous de nouveau paysage, de voir la ville, ses habitants, comment ils vivaient. J’avais envie de voir à quoi ressemblait ce qui allait bientôt être mon Empire, en vrai, non plus derrière une série de carte géographique. J’avais envie, pour une fois, de faire quelque chose qui change de mon quotidien, d’être comme tout le monde, même si je ne savais pas encore ce que ça signifiait.

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