Chapitre 8

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Il m’avait fallu près d’une semaine pour convaincre ma mère d’accepter cette sortie. Même si en réalité, je m’étais aussi autoconvaincu durant cette semaine. Tout avait été organisé pour que je passe inaperçu, sans pour autant être complètement seule et sans défense. Les soldats Dufreine et Garnier allaient m’accompagner, habillés en civil, tout en restant à quelques pas derrière nous. Emma et Océane seraient là toutes les deux. Emma parce qu’elle connaissait chacune de mes réactions de peur, de protection, et qu’elle pourrait agir en conséquence, et Océane parce qu’elle avait initié la sortie, mais aussi parce que sa présence me protéger des révolutionnaires, qui vivaient parmi le peuple, et que personne, hormis elle, ne saurait identifier.

Emma étant plus proche de moi en taille qu’Océane, et surtout grâce à ces sœurs, elle avait réussi à me trouver un ensemble passe-partout, mais plutôt classe. Un pantalon noir en jean ainsi qu’une chemise d’un bleu pâle qui m’allait à merveille. Elle avait aussi emprunté des ballerines blanches à Eloïse, qui n’avait cessé de supplier sa sœur pour me rencontrer quand elle avait appris ma sortie. Emma me fit ensuite une simple natte, ce que semblaient faire toutes les Eryeniennes aux cheveux longs qui travaillaient, ce qui leur était plus pratique.

Devant la porte d’une voiture d’un jaune pétant, très voyante, mon cœur s’accéléra et je commençais à jouer avec mes doigts, rendant mes mains moites. Comment allait ton passer inaperçu avec une voiture aussi extravagante ? Je n’y croyais pas un seul instant.

— C’est ma voiture personnelle, répondit Océane à ma question silencieuse. Tous mes voisins la connaissent, il n’y aura aucun souci. C’était aussi celle de ma mère. On part quand tu veux, Elena. On a toute la journée devant nous.

Avant de laisser la panique m’envahir, je montais dans la voiture et observais Emma s’installer à côté de moi, imitant ses mouvements, notamment pour attacher la ceinture. Tout ce que je faisais à partir de maintenant était une première fois pour moi. Et ça commençait par ce trajet en voiture. Dès que la voiture, conduite par Océane, s’engagea sur la route à l’extérieur du château, les paysages se succédèrent, révélant de grands arbres verts, plus grands que tous ceux présents dans la cour et les jardins du château. Il y avait aussi quelques montagnes, qu’on pouvait apercevoir au loin. Le temps, clément, nous permettait une grande visibilité.

Plus on approchait de la ville, plus il y avait de voitures sur la route et donc plus de monde. Mais comme personne ne semblait faire attention à la voiture jaune poussin d’Océane, la pression dans ma poitrine s’allégea. En fin de compte, peut-être que j’allais réellement passer inaperçue. Océane se gara dans une petite ruelle déserte, où il n’y avait qu’une autre voiture de stationnée. Moins d’une minute plus tard, un jeune homme aussi blond qu’Océane sortit d’une des maisons adjacentes, et ignora tout le monde, sauf elle.

— Je croyais que tu travaillais aujourd’hui ? Ou alors tu t’es déjà fait virer avec ta grande bouche ? attaqua-t-il.

— Et toi tu devrais être au lycée, sale morveux, rétorqua-t-elle. Si j’apprends que tu as encore séché les cours…

— Relaxe, sœurette. Le prof de ce matin est juste absent. J’y retourne cet aprèm, promis.

— J’ai étonnamment beaucoup de mal à te croire.

— Croit que ce tu veux, ça m’est bien égale.

Le jeune homme, tout aussi grand que sa sœur, avec les mêmes yeux bleus, mais en légèrement plus foncé se tourna vers nous et nous examina chacun notre tour, bras croisés.

— Tu ne me présentes pas tes nouveaux amis, Océ ? Si ce sont encore des révolutionnaires, je te jure, je te tue moi-même. J’aimerais éviter que la garde impériale débarque à la maison avec toute tes conneries.

— Tu peux respirer, Nat ». Je te présente Elena et Emma. Des amies du château. Elena, je te présente Nathan, mon petit frère.

— Du château, vraiment ?

Océane adressa un regard noir à son frère, qui leva un sourcil, faussement intimidé. Il se tourna ensuite vers nous, son visage se détendit et il tendit la main pour nous saluer.

— Enchanter, Nathan Luisard, petit frère de cette tête brulée et encore lycéen. Bon, ce n’est pas tout, mais j’ai rendez-vous au parc, à plus.

— Nathan ! s’exclama-t-elle alors qu’il commençait à partir.

— N’oublie pas d’acheter du papier toilette avant qu’on en ait plus, lâcha-t-il pour l’empêcher de dire quoi que ce soit.

Océane soupira, mais son visage était illuminé par un sourire. C’était donc ça d’avoir un frère ? D’avoir quelqu’un avec qui se disputer au quotidien pour tout et pour rien ?

— Ne fais pas attention à lui, Elena. Mon frère est plus indépendant que ce dont j’ai envie pour lui, malheureusement.

— Et encore, là, ça allait, enchaina Emma. Avec toutes mes sœurs à la maison, c’est pire. Je ne te dis pas le bordel quand elles se disputent pour un tee-shirt. Finalement, c’est bien d’être enfant unique parfois.

— Et si j vous disais que j’enviais justement vos relations fraternelles ? répliquais-je. Je crois que j’aurais aimé ne pas être fille unique, justement. Je me serais sentie un peu moins seule. Ce qui était le cas tous les jours avant que tu n’arrives, Emma.

— Heureusement qu’on est là alors, répliqua Océane à la place d’Emma.

Avec Océane et Emma à mes côtés, la visite de Glenharm, la capitale de l’Empire d’Eryenne, allait pouvoir commencer. La première étape fut le centre-ville, qui s’organisait autour d’une grande place centrale. La plupart des bâtiments étaient en mauvais état. Vitre fissurée voir fracturée, tuile de toit absent, lierres qui s’infiltrait un peu partout, dès qu’il y avait un trou entre deux blocs de pierre. Les commerces paraissaient en meilleur état que les habitations, sans pour autant être en parfait état.

— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionnais-je.

— L’argent, répondit aussitôt Emma. Les Eryeniens ont déjà du mal à s’acheter de la nourriture, alors les rénovations immobilières, ça passe en second plan.

— C’est pire que ce que je croyais. Ma mère a vraiment tout abandonné. Et j’en suis la principale cause, soupirais-je en baissant la tête.

— Ce n’est absolument pas vrai, Elena, rétorqua Océane. Ce n’est pas de ta faute si ta mère a préféré s’occuper de toi que de l’Empire. Elle a fait ce que n’importe quelle mère aurait fait. Malheureusement, elle avait d’autres responsabilités qu’elle a choisi de mettre de côté.

— Plus j’en découvre, plus j’ai l’impression qu’une montagne de problèmes à régler se dresse devant moi. Il y a tellement de choses à faire, je ne pourrais jamais satisfaire tout le monde, je vais devoir faire des choix, établir des priorités…

— Commence par connaitre ton peuple avant de paniquer, enchaina Océane avec un léger coup d’épaule. Allez viens, tu vas voir, ce n’est pas aussi catastrophique qu’il n’y parait.

Pendant plusieurs heures, on déambula dans les différents quartiers, dans différentes rues et ruelles plus ou moins grandes. À plusieurs reprises, j’avais été assailli par de multiples odeurs, qui contrastaient étonnamment avec le visuel. Je sentais aussi bien du pain chaud, la lessive quand on passait proche d’étendoir à linge. Parfois, une odeur d’acre de fumée s’échappait d’une maison habitée. La ville était tout aussi bruyante qu’animée. Il y avait aussi bien des voitures, des vélos, que des gens à pied. Et tous ceux qu’on croisait à pied, comme nous, nous saluaient toujours.

— Les Eryenniens sont plutôt chaleureux, remarquais-je.

— Glenharm est peut-être une grande ville, mais comme elle est organisée en plusieurs quartiers, les habitants s’entraident comme ils peuvent, expliqua Emma.

— Exact, compléta Océane. On connait tous ses voisins, ou presque. J’ai une vieille en face de chez moi, je ne l’ai jamais vu pointer son nez dehors. Et pourtant, je vis dans la même maison depuis vingt ans.

Alors qu’on approchait d’un quartier commercial, un jeune garçon marchait pieds nus sur les dalles bancales de la chaussée. Ses vêtements étaient élimés, couverts de saleté et de poussière. Ses cheveux, en bataille, étaient gras, trop longs pour un garçon de son âge. Sur ses bras, ses os apparaissaient plus que ses muscles. Il s’approcha discrètement du comptoir d’une marchande de fruits. Il attendit que la commerçante tourne le dos pour attraper une pomme et partir en courant, avant que celle-ci ne le remarque.

— Est-ce qu’il vient… de voler ? questionnais-je, sans pour autant bouger.

— Malheureusement, oui, me répondit Emma. Certains n’ont pas d’autre choix, surtout les enfants. Pour lui, soit il est orphelin, soit ses parents font partie des plus pauvres de l’Empire.

— Mais c’est un manque à gagner pour la commerçante, répliquais-je, consciente que c’était mes connaissances en économie qui parlait.

— C’est vrai aussi. Mais pour une pomme, elle ne s’en rendra peut-être pas compte. Pas sûr qu’elle soit aussi douée que toi avec ses comptes.

— J’aurais dû amener de l’argent, soupirais-je.

J’avançais de quelques pas, glissant mes mains dans les poches, sans me rendre compte qu’Emma et Elena s’étaient arrêtés derrière moi. La situation était plus urgente et complexe que je ne l’avais envisagée. Réduire la faim et la pauvreté allait être un lourd combat.

— Heureusement que j’en ai, fini par dire Emma, me sortant de ma rêverie. Enfin, c’est ta mère qui m’a donné une bourse, assez conséquente.

— Elle savait que j’aurais l’utilité.

Avec un sourire heureux, Emma me tendit la bourse. En l’ouvrant, je sus que j’avais assez d’argent pour aider plusieurs personnes, à commencer par la commerçante qui s’était fait voler une pomme.

— Bonjour, je voudrais vous rembourser la pomme qu’un jeune garçon vous a volée, commençais-je, bien plus intimidé que face à un ministre.

— Mais… Mademoiselle, bégaya la commerçante, vous… enfin, vous n’allez pas payer pour lui.

— J’insiste, s’il vous plait.

— Oh, mais vous savez, j’ai fait exprès de détourner le regard. Il vient tous les jours prendre un fruit. C’est son seul repas de toute la journée. Pauvre garçon, ses parents sont morts de faim en lui laissant sa part.

— Vous voulez dire… que vous le laissez faire ?

— Évidemment ! Je suis une mère avant tout, je ne laisserais jamais un enfant mourir de faim. Alors oui, je le laisse faire et je change tous les jours les fruits qui sont à sa taille.

— C’est bien aimable à vous.

— Aimable ? Non, ça s’appelle de la solidarité.

— Alors laisser-moi payer pour son prochain repas. Vous pourriez lui faire quel panier avant cinquante pièces d’or ?

— Cinquante ? Mais avec ça, Mademoiselle, je peux nourrir ce jeune garçon pendant tout le mois. Mais c’est beaucoup trop. Je ne peux accepter, les temps sont durs pour tout le monde.

— Prenez-les, j’insiste. Ça lui servira plus qu’à moi.

— Et bien… merci. Qui êtes-vous donc pour vous débarrasser ainsi de cinquante pièces d’or sans ciller ?

— Personne. Ça me fait plaisir.

Je sortis les cinquante pièces d’or de la bourse et la commerçante écarquilla des yeux quand elle comprit qu’il y avait bien plus dans ma bourse. Je les déposais proche d’elle et me retourne sans demander plus, sourire sur le visage. Mais je pus faire à peine quelques pas, que je tombais nez à nez avec Emma et Océane, bras croisés. Les deux ainsi, j’avais l’impression que c’était elles qui avaient le pouvoir. J’entendis même la commerçante déglutir derrière moi face à la prestance de ces deux femmes.

— Qu’est-ce qu’il y’a ? J’ai fait une erreur ?

— Oh non, pas du tout, répliqua Emma. Au contraire.

— Je l’avais dit ! s’exclama Océane. Je le savais. Je l’ai su dès les premiers jours.

— Sut quoi ? paniquais-je légèrement.

— Que tu étais l’Impératrice qu’il fallait à cet Empire. Que tu étais celle qui allait faire retrouver la gloire d’an tant à l’Empire.

— Mais j’ai simplement…

— Oui, me coupa Océane. Tu as simplement voulu aider, sans aucune arrière-pensée. Par la couronne, s’exclama-t-elle, nous avons une Princesse en or.

— Attendez, quoi ?

Je me retournais, pour voir la commerçante cette fois-ci figée et bouche bée. Océane venait de révéler ma véritable identité, alors que j’étais là en incognito, comme elle l’avait dit elle-même.

— Et oui, Madame, enchaina Océane, arrachant un soupire et un sourire à Emma. Vous avez en face de vous la Princesse Elena De Stinley, prochaine Impératrice d’Eryenne.

— Océane ! m’exclamais-je en rigolant.

La commerçante fit le tour du comptoir pour venir s’agenouiller devant moi. Encore plus rapidement, pour éviter que de futurs passants ne l’aperçoivent, je l’invite à se relever.

— Votre Altess, je vous suis infiniment reconnaissante.

— Mais non, il n’y a pas… commençais-je, gêné.

— Si, si. Votre mère n’aurait jamais eu cette gentillesse.

— Oh vous savez, tout le monde à ses défauts. Je reconnais qu’en tant qu’Impératrice, elle n’a pas été de plus droite, et elle le reconnait elle-même. Mais en tant que mère… j’ai eu beaucoup de chance. Quoi que trop surprotectrice, mais ça se comprend.

— Je n’avais jamais cru que l’Impératrice pourrait… faire preuve d’humanité. Non pas que je…

— Ce n’est rien. Vous ne connaissez que son masque d’Impératrice. Mais pour moi, c’est avant tout ma mère. Et, s’il vous plait. Ne dites pas que je suis passé. Aujourd’hui, je suis juste là en tant que… moi. Pour apprendre, avant d’accepter la couronne.

— Et vous avez bien raison, Votre Altesse. Vous compte donc bientôt accepter la couronne ?

— En effet. Ma mère va bientôt programmer mon couronnement. Même si j’avoue que ça me fait peur.

— Quelqu’un qui n’a aucune peur des responsabilités et surtout des conséquences des responsabilités ne les mérite pas. Et avec ce que vous avez fait aujourd’hui, il me tarde de découvrir votre règne.

— Je vous remercie, Madame. Passer une bonne journée.

Durant cette visite, même si je n’avais pas eu beaucoup d’interaction avec les Eryenniens et les Eryeniennes eux-mêmes, j’en avais beaucoup appris sur eux, mais aussi sur moi-même, sur le règne que je voulais avoir, sur ce que je voulais apporter à mon peuple et surtout sur ce que je voulais qu’on retienne de moi. Cette sortie avait été plus que bénéfique et contre toute attente, ça m’avait fait beaucoup de bien.

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