Chapitre 2

6 minutes de lecture

Maelo passa sa main sur sa nuque avec un soupir à fendre les pierres en deux – comme chacun de ses soupirs. Son nez se plissa quand il se rendit compte que cela n’enlevait nullement la tension insupportable de cette journée banale et surtout très barbante de boulot.

Il récupéra son café, comme à chaque pause avant de rentrer chez lui. Il se brûla les doigts et jura, comme à chaque café servi dans ces gobelets faussement écolos et beaucoup trop fins. Il grimaça à la première gorgée, bénissant de s’être brûlé la langue et de ne pas sentir ce goût qu’il savait plus semblable à celui d’un thé au café industriel et dilué, comme à chaque première gorgée.

Son collègue de bureau passa en le bousculant à l’épaule. Il ne se retourna que quelques pas plus loin avec un regard aiguisé et rempli d’amertume. Maelo haussa un sourcil. Se croyait-il encore dans les petites bagarres de collégiens ? Lui n’avait ni temps, ni énergie à consacrer à de telles puérilités. Il termina son café rapidement, jeta le gobelet et partit d’un pas pressé.

L’odeur de la pollution de la ville et de la cigarette fumée par un employé quelconque devant leur entreprise le prit au nez. Il grimaça à nouveau et se dépêcha de rejoindre son arrêt de bus, fendant la foule de plus en plus épaisse de gens anonymes grouillant dans le quartier telles des fourmis affairées pour la colonie. Il fronça les sourcils. Non, ce n’était pas une description exacte. Les gens n’étaient pas des fourmis ; ils étaient des moutons d’un blanc immaculé, prêts à se laisser tondre par le prochain élu de façon à mieux admirer leur nombril et tourner autour en bêlant des paroles vides de sens. Il sourit, satisfait d’une manière un peu malsaine d’avoir rabaissé la population dont il faisait partie. Il se colla contre la paroi de verre de l’abribus, ainsi séparé de l’attroupement attendant dessous avec plus ou moins de patience et de calme.

Il détestait les distributeurs à café de son entreprise. Il détestait son boulot. Il détestait son collègue. Il détestait sympathiser avec les gens. Il détestait la foule. Il détestait la ville. Il détestait les transports en commun. Il détestait son appartement.

Bref, Maelo n’aimait pas grand-chose. En tout cas pas grand-chose faisant partie de sa vie.

Plus tard, il remontait le boulevard, ses yeux bleus océan agrafés à ses pieds. Il devait passer acheter du pain et peut-être un pain au chocolat, en fonction de sa monnaie.

Il ignora le regard de la caissière sur sa morphologie agréable et paya ses achats, passant la demi-baguette sous son bras pour saisir la pâtisserie de sa main libre, rangeant avec une élégance clairement involontaire son porte-monnaie dans la poche de sa veste.

« Je vois que vous connaissez les bonnes adresses ! »

Maelo se retourna en un presque sursaut vers l’homme qui osait l’aborder dans une boulangerie. Il fronça les sourcils en reconnaissant son libraire, M. Gladek. Celui-ci ne se laissa pas démonter par la froideur de l’accueil, continuant sur sa lancée :

« D’abord ma librairie, maintenant la meilleure boulangerie de la ville faisant les plus parfaites des chocolatines… Auriez-vous l’adresse d’un restaurant à me conseiller ? »

Maelo se demanda un instant si son sourire était un rictus légèrement moqueur ou une sincère envie de sympathiser. Il se secoua, détournant les yeux vers ses pieds. Cela importait peu.

« On dit pain au chocolat. Et Le Petit Café Laumière dans la rue du même nom est une adresse respectable. »

Ainsi tourna-t-il les talons des deux regards insistants, ne doutant pas qu’ils parleraient tous deux de lui une fois qu’il aurait franchi la porte, faisant sonner le carillon pendu à son angle à deux reprises.

À peine trois pas après la sortie, les yeux toujours vissés à ses chaussures en toile, il manqua de percuter quelqu’un. Son pain menaça de rejoindre le sol selon la dure loi de la gravité, inévitable. Son vis-à-vis rattrapa la baguette au dernier moment, la lui tendant avec une moue désolée. Maelo ne s’y serait pas attardé s’il n’avait pas vu une lumière soudaine éclairer le regard en face de lui. L’homme était plus grand, les cheveux de jais regroupés en un catogan et des yeux noisette si clairs qu’ils tiraient sur le jaune. Ou peut-être l’orange ? L’inconnu lui fit un sourire amical.

« Maelo. Je ne pensais pas te recroiser un jour. »

Le ton chaleureux et contenu n’aida pas Maelo à cacher son envie de fuir le contact. Il ne reconnaissait pas cet homme et ne voulait pas le faire. Il baissa les yeux, récupérant son pain et commença à contourner l’obstacle avec un remerciement mâchonné quand une main se posa sur son épaule, le frôlant à peine.

« C’est Jules, du lycée. »

Il releva les yeux et ils échangèrent un regard un peu gênant.

« Oh », fut tout ce qu’il trouva à dire. Il s’en fichait. Il voulait rentrer chez lui et se laisser tomber dans son canapé devant une émission de télé abrutissante et un bon café, un vrai.

« Qu’est-ce que tu deviens ? Toujours à lire et boire du café ?

— Toujours. Et toi ? » demanda-t-il plus par politesse que pour avoir une réelle réponse.

Il regretta un peu quand il vit le sourire en face. Jules lui parla de leur ancienne camarade de classe avec laquelle il était toujours. Elle restait fidèle à elle-même. Il montra avec fierté la bague à son doigt, puis sortit sa carte professionnelle, étalant sa réussite devant le pauvre Maelo qui grinça des dents. Jules était devenu pianiste professionnel. Il avait trouvé l’amour de sa vie, qu’il avait rencontré au lycée. Si ce n’était pas une preuve que la vie elle-même se foutait de la gueule de Maelo en lui montrant à quel point son existence était terne en comparaison… Il fit un sourire et quelques hochements de tête, répondant même oui à « on devrait se voir pour dîner, un de ses quatre, au souvenir du bon vieux temps ». Il ne relâcha complètement son souffle que quand il se fut éloigné – enfin ! – de quelques bons mètres de Jules.

Il pressa le pas, ne regardant personne. Il était hors de question de croiser à nouveau une connaissance avant de s’être cloîtré dans son appartement.

Une fois dans son immeuble, il récupéra son courrier sans y jeter un œil ; il n’y avait là probablement que factures et publicités défiant éternellement le « stop pub » étiqueté à côté de son nom sur la boîte aux lettres, sans doute par un ancien locataire. Enfin chez lui, il jeta sans un regard son chargement sur la table, maculant les missives renversées de miettes de pain.

Il profita du calme étonnant après les quelques derniers mois, faisant craquer sa nuque et courant sous la douche pour se rafraîchir et troquer sa tenue pour une plus confortable et beaucoup moins professionnelle.

Au cours de la soirée, il se mit à regretter le calme qui se transformait en ennui profond. Pour y palier, il alluma la télévision sans vraiment faire attention à la chaîne. Le son diffusé rendit sa solitude plus poignante encore.

« Vendredi dernier, un étrange incendie consumant un immeuble entier ne fait miraculeusement aucune victime dans la petite ville de… »

Les bières parsemées sur le plan de travail sale de la cuisine, les chaises renversées, le canapé décalé et couvert de chips et des paquets associés, même les affreuses peintures accrochées aux murs ; tout ce que lui avait apporté Karl dans sa vie semblait soudainement plus appréciable que cet ennui silencieux et latent. L’ennui glissant dans les moindres recoins de sa vie. L’ennui tapissant même ses os dans un frisson glaçant. Karl était détestable. Maelo ne l’avait jamais aimé, n’avait jamais compris comment il avait pu l’accepter ici et le supporter aussi longtemps. C’était un alcoolique naïf, stupide, sans aucun goût pour quoi que ce soit – sauf peut-être les hommes. Un alcoolique qui avait balancé une chaise contre le piano, rayant profondément le vernis noir jusqu’à laisser le bois saillir de la plaie et cassant le pied de chaise dans un craquement sourd qui répandit des copeaux de bois sur le carrelage.

Maelo était pathétique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Fuu-nya owo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0