Chapitre 4

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Charlyn rechargeait son appareil photo dans les quelques lieux publics lui permettant l’accès à une prise. Elle le bichonnait plus qu’elle ne prenait soin d’elle-même et préférait mourir de faim plutôt que s’en séparer. Il était sa passion, sa vie, ce qui donnait du sens à ce qu’elle était. Évidemment, sa famille n’avait pas vu les choses de cette façon. Évidemment, elle s’était elle aussi trompée en pensant pouvoir en faire un métier rentable.

Qui, aujourd’hui, voulait d’un photographe ? La concurrence était rude pour les quelques événements et postes à pourvoir et sa volonté de rester indépendante avait très clairement fait couler tout espoir de s’en sortir dans ce monde de requin. Elle n’avait ni les contacts, ni les épaules, ni le diplôme, ni le talent de communication suffisants pour percer.

Elle avait alors tenté la survie, coûte que coûte, avec des petits boulots plus dégradants les uns que les autres.

Et aujourd’hui elle était à la rue. Sans-le-sou, elle avait vite été virée de l’appartement miteux qu’elle avait réussi à garder tant bien que mal quelques mois. Elle ne réalisait toujours pas très bien, bien qu’elle traînât l’intégralité de ses possessions sur son dos et dormait dans des ruelles.

Elle avait dû se séparer de son ordinateur et ne pouvait plus regarder ses photos que sur le petit écran de l’appareil. Le tri et les sauvegardes étant impossibles, elle savait qu’elle se rapprochait inévitablement des limites de capacités de stockage.

Cela faisait tellement peur qu’elle ne pouvait plus penser à ce que serait le lendemain.

Alors elle traînait dans le parc, sous le soleil timide du printemps, heureuse d’avoir passé le froid de l’hiver et craintive des chaleurs de l’été. Elle s’arrêtait parfois pour prendre un cliché, capturant et figeant un instant de plus. Ses vieilles baskets trouées qui avaient tant souffert des dernières pluies gémissaient à chaque pas.

Elle était penchée sur l’herbe, concentrée sur le meilleur angle pour prendre en photo cette chenille aux couleurs particulièrement vives et éclatantes, quand un homme s’arrêta à ses côtés, gâchant toute la lumière de la scène. Elle tiqua en levant le regard vers son visage souriant. Ses yeux étaient pétillants d’intelligence alors qu’il se penchait pour s’accroupir à ses côtés.

« C’est une zygène transalpine, dit-il après un instant de silence à fixer l’insecte avançant lentement dans les feuillages. Un futur beau papillon aux ailes noires et carmin. »

Il pencha la tête sur le côté en relevant son regard vers le sien.

« Il est rare d’en voir à moins de deux mille mètres d’altitude. »

« Vous êtes en train de gâcher ma photo. »

Charlyn n’avait, à vrai dire, rien à foutre du nom de la chenille, de ce qu’elle deviendrait, où de si elle était rare ou non dans les environs. Elle voulait juste prendre cette fichue photo, mais il lui fallait pour cela de la fichue lumière.

L’inconnu reporta son regard sur la chenille.

« La mémoire de ton appareil est pleine. Tu ne peux pas prendre cette photo, Charlyn.

— Comment… ? »

Elle croisa son regard à nouveau. Il ne souriait plus.

« Souviens-toi bien d’une chose, Charlyn. Ignorer ne te sauvera pas. Tu en sais trop.

— Quoi ? »

Il ignora sa question, se relevant en faisant craquer ses genoux.

« Va au Petit Café Laumière, dans la rue du même nom. »

Elle s’était relevée à son tour, prête à demander pourquoi, quand il passa le bout de ses doigts sur son front à travers quelques mèches de ses cheveux courts.

Son regard était devenu presque noir. Elle était persuadée pourtant qu’il avait les yeux clairs tantôt.

« Oublie-moi sans oublier ce que j’ai dit. »

L’instant d’après elle crut à un mirage quand elle vit une ombre s’éloigner.

Quelqu’un était venu la déranger mais les quelques minutes précédentes étaient si floues que cela lui donnait mal à la tête. Elle voulait prendre en photo une chenille et… La chenille.

Elle s’accroupit précipitamment, la retrouvant avec soulagement quelques feuilles plus loin. Elle cadra, appuya sur le déclencheur et…

Son appareil n’avait plus suffisamment de place mémoire, remarqua-t-elle avec beaucoup de tristesse.

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