Dany avait un grand sourire collé au visage. Pas le grand sourire de quand il avait rendez-vous avec une fille – celui-là était très certainement plus éclatant. Non, aujourd’hui il n’avait pas de projet avec une femme quelconque – ce qui était très triste à noter, mais il savait s’occuper autrement. Aujourd’hui, il allait voir son meilleur ami.

Quand celui-ci lui ouvrit, ils partagèrent ce même grand sourire.

« Pizza, bières, séries ? proposa l’hôte en laissant entrer Dany.

— Si t’étais une femme, j’t’épouserais.

— Et moi je te foutrais un râteau, fit-il en refermant la porte.

— Hé ! Je suis l’homme idéal de toutes les femmes !

— Je ne réargumenterai pas à ce sujet. Je ne voudrais pas te voir trouer mon tapis de tes larmes acides.

— T’as pas de tapis, Lucie, nota Dany en s’écrasant sur le canapé, pieds sur la table-basse.

— Remarque très pertinente, Danette. Mais le « n » à la fin de mon prénom n’est toujours pas muet, répliqua son ami en sortant les bières du frigo.

— Et je suis toujours pas un yaourt.

— Les Danette sont des crèmes dessert.

— Oh, ta gueule. »

Lucien ricana en s’asseyant à son tour. Un silence paisible s’installa. Ils ouvrirent leurs bières, trinquèrent, lancèrent un épisode et mangèrent en partageant de temps en temps des commentaires plus ou moins constructifs sur le déroulement de l’histoire.

C’est après trois épisodes à voir Dany se dandiner sur place et se mordre les lèvres, prêt à parler d’il ne savait encore quelle connerie que Lucien éteignit l’écran pour se tourner vers son ami.

« Bon, qu’est-ce qu’il y a ? »

Dany se figea un moment avant de déverser ses paroles insensées.

« Et Tokyo Ghoul ? Ça te paraît pas inspiré de faits réels à toi ?

— Dans un certain sens, répondit Lucien. Si on l’imagine comme une critique métaphorique de tout ce qui nous pousse dans la société actuelle à nous entre-dévorer.

— Mais non ! Râla Dany. Je veux dire plus… heu… littéralement. »

Lucien haussa un sourcil.

— Littéralement ? Tu connais des mots de plus de trois syllabes toi ?

— Lucie ! »

Il soupira en se frottant la nuque. Il fallait qu’il raisonne cet abruti. Ou tout du moins qu’il essaie.

« Écoutes. Les goules, c’est comme les loups-garous, les sirènes, la reine des neiges et le père Noël. Ça n’existe pas. C’est du fictif. Tu comprends ?

— Mais et si-

— Avec des si on mettrait Paris dans une bouteille.

— Mais-

— Est-ce que Paris est dans une bouteille, Dany ?

— C’est pas parce que c’est pas fait qu’on peut pas le faire ! Tu peux pas arrêter d’être aussi… Terre-à-terre ?! Tu crois que ce que tu vois, c’est chiant !

— Je crois en ce qui est réel. Les goules ne sont pas réelles. Pas plus qu’un quelconque Dieu gouvernant notre Univers. Une telle mutation est de toute façon génétiquement impossible. Tu es sûr que ça va ? Tu ne parles que de choses comme ça ces derniers temps… Il n’y a pas autre chose dont tu voudrais discuter ? Un truc plus réel ? »

Ils échangèrent un regard et Lucien y lut immédiatement que Dany allait se défiler.

« Lola t’a dit pour vendredi ? »

Et, faiblement, il mordit à l’hameçon.

« Oh, oui ! Je suis enfin invité à l’une de vos réunions pour votre secte secrète pour la domination des chatons sur le monde !

— Je- Non ! On a pas de secte de chatons !

— Oh s’il te plaît, Dany. Tu as la discrétion d’un cadavre au milieu d’une cuisine. Vous vous réunissez tous les vendredis soir aux mêmes horaires et ce n’est pas pour jouer aux cartes ou regarder des films. Tu me l’as dit. Qu’est-ce que ça peut être d’autre qu’une secte si ce n’est pas une soirée pour s’éclater et se bourrer la gueule ? »

Dany secoua la tête et tenta plusieurs fois de trouver une réplique. Il se saisit finalement de la télécommande pour rallumer l’écran et lancer la suite.

« Tu verras bien vendredi de toute façon. »

Lucien haussa un sourcil mais ne dit rien face au ton sec et sérieux très inhabituel chez son meilleur ami.