Chapitre 39

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Les moindres petits recoins de ruelle, Agathe les connaît par cœur. Elle sait que la première rue piétonne n’est pas le chemin le plus rapide, de plus, il y a souvent des collégiens qui traînent par ici. Jusque-là, ils n’ont pas été embêtés par les collégiens, ils sont encore trop sages, bientôt ça changera.

Ici, il y a un petit restaurateur de rue, il n’est pas spécialement bon, mais avec des copains on s’en fiche. Agathe s’y dirige parce qu’il y a un petit renfoncement de façade, c’est un cul-de-sac. Pour l’instant, ils n’ont croisé que deux personnes, des gens qui n’avaient pas l’air au courant ou qui n’ont pas vu passer le groupe de spécialistes à la recherche de Mercure. Peut-être qu’à l’heure qu’il est, le groupe est déjà chez Monsieur Ford. Ils trouveront les fleurs, trois assiettes sales, une troisième chambre occupée. En revanche, ils ne trouveront pas les lettres.

Contre le mur de briques se trouvent des caisses en bois, des poubelles, des empilements de palettes. Ils peuvent passer par-dessus et rejoindre plus rapidement la rue de derrière. L’odeur n’a rien d’agréable ici, le restaurateur n’est pas soigneux, il y a des ordures et de la nourriture sur le sol, et maintenant, Agathe se pose des questions sur ce qu’elle a bien pu manger chez lui.

La jeune femme est la première à se hisser sur les caisses en bois,

c’est ce qu’il y a de moins sale, ensuite, Mercure l’aide à la pousser vers le haut. Le muret n’est pas très épais, les jambes d’Agathe sont en train de trembler, la voilà à deux mètres du sol sans accroche évidente.

« Est-ce que tu peux descendre l’autre côté ?

— Je peux sauter. » Agathe trouve une meilleure position pour ses jambes, puis se hisse vers le bas. Mercure attend quelques secondes, le temps qu’elle lui affirme qu’elle est bien en bas et que tout va bien. Il peut à présent la suivre, et il n’a pas besoin d’aide. La paume de ses mains râpe la pierre, elle creuse de petites ouvertures dans ses mains, mais il se garde bien de le dire à Agathe.

De l’autre côté c’est un peu la même chose, en mieux rangé. Seul défaut, un sac poubelle griffé est à deux doigts de vomir ses déchets. Ce sont des habitations en majorité, mais comme les rues sont serrées et peu fréquentées, Agathe est sûre qu’ils ne croiseront personne à cette heure-ci de la journée. Dans une heure la plupart des travailleurs termineront leur journée et alors là, il y aura du monde.

Ils passent près de mur tagué de graffitis en tous genres, une façade est en travaux, il faut se glisser entre les poteaux de l’échafaudage et de la bâche transparente. Les ouvriers qui se trouvent en hauteur ne les voient pas passer, le passage est pourtant interdit. Ils se faufilent rapidement devant la vitrine d'une agence immobilière, passe en dessous d’un pont routier, descendent les marques déformées d’un tout petit passage encadré par des murs de béton. Il leur permettent de rejoindre plus rapidement l’autre côté de l’avenue commerciale. Ils entendent les voitures passer au-dessus de leur tête, Mercure ne se sent pas à l’aise à l’idée de tout ce bruit. Ici, c’est toute l’activité du village concentrée sur à peine deux kilomètres. Agathe s’apprête à remonter à la première sortie du chemin, mais voilà, deux hommes en bleus sont en train de discuter avec un commerçant. Demi-tour immédiat et un souffle retenu. Il faut continuer plus loin dans ce tunnel de briques. Des néons roses clignotent à partir d’ici. Agathe sait que si elle continue elle va tomber sur ce qu’ils appellent le « Quartier d’en Bas ». Un endroit où se réunissent les jeunes, ou les vieux, pour fumer et jouer. Elle ne sait pas de quoi à l’air cet endroit puisqu’elle n’y est jamais allée, ça lui fait même un peu peur.

La tuyauterie contre les murs est humide, de petites goûtes d’eau tombent sur le crâne du duo. Mercure avance de moins en moins vite, Agathe comprend qu’il fait plus frais en bas, et qu’il faut vite remonter.

Au fur et à mesure que le chemin s’étend, Agathe se dit qu’elle n’imaginait pas une galerie aussi grande, et maintenant, elle ne sait plus où elle va. L’odeur l’alerte, et elle hésite à faire demi-tour. Heureusement, voilà un nouveau détour qui s’offre à eux, et de la lumière qui en émane. Les marches sont pleines d’eau, leurs chaussures produisent un petit ploc ploc qui éclabousse leurs jambes. Dehors, c’est un terrain vague plein de sable de chantier. Pas loin d’ici on peut voir une infrastructure pour les skateurs, en dessous d’arbres. La lumière tape dessus et se projette, où qu’on soit, on est aveuglé.

« Je sais où on est ! Ce n’est plus très loin. » Le sourire renaît sur son visage. Elle décide de traverser le terrain vague tout en tenant la main de Mercure. De l’autre côté des arbres, il a les garages et la sortie du village.

« Hé ! » Crie la voix d’un homme, une quarantaine d’années et les poumons pleins de fumée de cigarette. Agathe ne le connaît pas, il ne vient pas du village. Le mieux serait de ne surtout pas se retourner, il finira par ne plus s’occuper d’eux. Mercure serre soigneusement le voile de dentelle contre son visage. Au travers il ne voit presque rien, heureusement que sa confiance pour Agathe est sans faille, actuellement, c’est la rousseur éclatante de ses cheveux qui pourrait lui porter préjudice.

Mercure et Agathe arrivent enfin vers l’entrepôt qui sert de garage à beaucoup d’habitants. Celui des Ford est le numéro Soixante-Douze. Agathe sort ses clefs avec entrain, elles claquent entre elles.

Mauvaise surprise.

Trois policiers, et le concierge de l’entrepôt sont devant la porte du garage. Monsieur Ford ne pensait sans doute pas qu’ils iraient fouiller jusque-là. Agathe et Mercure restent en retrait mais tentent tout de même d’écouter la conversation. Apparemment, le concierge refuse d’ouvrir la porte de force, il s’expose à de graves sanctions en ne voulant pas coopérer, mais il leur fait gagner un temps précieux. Cette voiture, c’est leur seul moyen de sortir rapidement de Dryade.

« Agathe, on ne peut pas y aller.

— Il y a une fenêtre de l’autre côté, elle est minuscule, mais on peut passer par là. On n’aura qu’à attendre que la police s’en aille. » C’est sur réaliste, ils ne s’en iront pas juste parce qu’ils en auront marre d’attendre. Ils finiront même par ramener Monsieur Ford à terme, qu’il ouvre la porte lui-même. Mercure observe autour de lui, pour l’instant ils sont bloqués et l’idée d’Agathe ne lui plaît pas. Sur l’allée d’en face, il y a un homme dans son garage qui semble faire quelques réparations sur sa vieille camionnette. Il a forcément déjà été interrogé, et la police ne rode pas autour. Les deux adolescents ne le connaissent que de loin, il semble à Mercure que l’homme travaille sur le port de temps en temps, il vient réparer les moteurs endommagés des bateaux les plus usuels. Ce doit être un ami de Monsieur Ford.

« Agathe, attends-moi ici. » La jeune femme voudrait contester, et tente de lui retenir le bras, mais Mercure s’avance vers l’allée d’en face. Il fait attention à longer les murs et de ne passer que lorsque les policiers ont le dos tourné. Son ombre se projette à l’intérieur du garage du mécanicien, il est protégé mais se colle tout de même le dos au mur intérieur, le voile lui cache toujours le visage. Le mécanicien se retourne brusquement lorsqu’il entend du bruit, sa clef toujours en main. Heureusement, les policiers ne sont pas alertés.

« Qui...

— S’il vous plaît. »



***



« Vous encourez une sanction pénale si vous refusez toujours d’ouvrir cette porte, monsieur ! » S’énerve un policier en posant ses mains sur ses hanches. Ce cinéma lui tape sur les nerfs et le soleil lui agresse le crâne. Il est plus que tant que quelque chose se passe. Le concierge est têtu, il reste campé sur ses positions. Soudain, le mécanicien sort de son garage, son portable en main, il ne tient pas très bien à cause de l’épaisseur de ses mains.

« Écoutez-moi ! » Agathe sursaute. Elle ne sait toujours pas ce que Mercure fait, elle commence à très sérieusement s’inquiéter, surtout avec la sortie soudaine du mécanicien. Les policiers se retournent tous les trois.

« Mercure a été vu sur le port ! Il s’apprête à embarquer ! Vous devez aller le chercher là-bas ! C’est un marin qui a publié l’info après avoir vu l’avis de recherche ! » Les trois policiers se rapprochent, pour vérifier l’information sur le téléphone du mécanicien. Une vidéo rapide accompagne la publication, on y voit furtivement une chevelure orange.

« On y va tout de suite ! » Les policiers se mettent à courir vers le centre du village. Au passage, ils expliquent rapidement au concierge qu’il aura des problèmes quand ils reviendront. Agathe n’en revient pas, ils sont partis. Le mécanicien éteint son portable et se met à sourire, portant son regard sur la jeune femme dévoilée de peu.

« C’est bon, tu peux sortir. » Au début, elle n’est pas sûre de pouvoir lui faire confiance, mais derrière lui Mercure se montre à son tour.

« Merci beaucoup.

— C’est normal mon garçon, mais dépêchez-vous de partir avant qu’ils ne se rendent compte que c’est une serpillière orange qui a été agitée sur le bateau de mon ami. » Ils pourraient rire d’avoir dupé aussi stupidement la police. Ces trois agents étaient les plus proches de la sortie du village, alors pour l’instant personne ne la garde. Il faut profiter de l’occasion. Agathe court vers la porte de son garage, la porte métallique grince encore, le mécanicien vient l’aider à la lever complètement.

Faisant de son mieux pour ne pas jeter ses yeux sur tous les souvenirs de sa famille, la jeune fille se presse jusqu’à la voiture, elle s’installe naturellement à la place conducteur, et Mercure à celle du passager. Il prend le temps de se dire que cette voiture est splendide, que malgré son âge elle à l’air flambant neuve. Le mécanicien est lui aussi très épaté.

« Woah ! Quelle merveille ! Je ne savais pas que Ford avait cet engin dans son petit garage. » Un bleu magnifique, une carrosserie brillante, une fine signature.

Pour Agathe, tout devient soudain très compliqué lorsqu’elle pose les mains sur le volant. Le volant de la voiture de Maman. Sa poitrine se soulève doucement, sa respiration calmera ses émotions qui affluent. Maintenant, il faut démarrer la Studebaker.

Le ronronnement est le plus joli que le mécanicien n’est jamais entendu jusque-là.

« Splendide ! » S’écrit-il tout en s’écartant du passage. Au moins quelque chose qui aura aiguisé sa journée, il fallait au moins ça au prix de la future garde à vue qui devra subir pour avoir dissimulé Mercure et faussé la police. Agathe abaisse le frein à main, puis enclenche la première. La voiture roule tout doucement dans l’allée de garages.

« Agathe, je ne savais pas que tu avais ton permis de conduire.

— Je ne l’ai pas. »

Naturellement, Mercure agrippe la poignée.

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