Rencontre d'un troisième type

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 John Constantine était un homme des plus détestables. Hesvetel se demandait comment on pouvait autant se laisser aller à la vie, sans la prendre en main. Il y a bien longtemps qu'il n'était pas venu à Londres, et autant depuis son dernier voyage à Rome.

 — Sais-tu où il habite ? lui avait demandé Adumhazare avant son départ.

 — Dans les bas-quartiers, je crois. Soho, tout ça…

 — Ah oui, je crois que je connais : j'y ai inspiré quelques jeunes militants néofascistes. Kr ! Kr ! Kr !

 Cette révélation lui valut une salve de reproches. Mais que pouvait-il y faire ? C’était dans la nature d'un démon d'inspirer des idées viles, immorales et méchantes. Adumhazare pensa plusieurs fois que Hesvetel allait l'égorger. Mais cela aurait été inconvenant pour un ange. Le taxi était même plutôt surpris de voir qu'un homme comme lui pouvait vouloir voir les bas-fonds. Les manières correctes et la prestance d’Hesvetel l'empêchaient de se faire passer pour un membre de la masse grouillante.

 — Voilà, monseigneur ! Je peux pas aller plus loin, mais c'est deux petites rues à gauche.

 — Merci bien ! Voici votre argent et bonne journée, mon brave !

 Canne en main, Hesvetel marchait devant Adumhazare, qui trouvait ridicule sa manière de tortiller son derrière rebondit. Mais il n’osait rien dire, trouvant cela charmant. Le cœur de l’ange commença soudainement à battre plus vite : personne à l’entour, mais c’était un lieu sale. En inspectant le papier sur lequel était inscrite l’adresse de Constantin, il arriva bientôt à sa porte. Hesvetel toqua, espérant ne pas patienter trop longtemps. Une vieille femme potelée lui ouvrit :

 — Bonjour madame, je m'appelle Hesvetel Delange, je suis le cousin français de Monsieur Constantine.

 — Vous êtes au bon numéro, je suis sa logeuse. Mais entrez donc ! Je ne savais pas que mon petit garçon avait de la famille de l'autre côté de la Manche.

 — Nous sommes des cousins éloignés, au quatrième degré.

 — Ah, je vois, dit-elle en les menant au premier étage de l’immeuble. Vous avez la même couleur de cheveux…

 Hesvetel lui sourit, Adumhazare haussa les épaules et roula des yeux. Tout en bavardant, la vieille dit avoir dû s’absenter un moment et qu’elle n’avait pas vu Constantine sortir. En toquant à la porte, elle appela :

 — John, mon garçon, êtes-vous là ?

 On attendit un peu ; des pas se firent entendre et la porte s’ouvrit. En face d’eux se présenta un homme blond, athlétique, la barbe de trois jours, en marcel, short et chaussettes. Il était midi, Constantine se levait et avait le regard dans le vague.

 — C'est pour quoi, M’dame M. ?

 — Votre cousin, mon petit John ! Monsieur Delange vient vous faire une visite et vous n’êtes pas prêt !

 Encore mal réveillé, Constantin toisa Hesvetel un instant puis soupira : la mémoire lui revenait.

 — Aaah ! Ouiii… Le pape, tout çaaa…

 — Bon, je vous laisse terminer ces retrouvailles, dit Madame M. à Hesvetel. Mais franchement, Constantine ! Vous êtes rustre de ne pas accueillir d'une manière plus correct un homme si distingué.

 Elle se tourna vers Hesvetel, qui indiqua avoir l’habitude.

 — Veuillez nous excuser, Monsieur Delange. Je vous assure que nous, les Britanniques, sommes mieux élevés que cela. Quand bien même nous vivons dans les quartiers pauvres !

 — Oh, je n'en doute pas !

 Madame M. s’en alla, charmé. Adumhazare continua de rouler les yeux et, après être entré dans l'appartement, il referma la porte derrière lui. Heureusement qu'un ange ou un démon n'était pas obligé de respirer, l'air empestait la cigarette. Les deux compères entendirent le bruit de la douche qu'on utilisait. Ils se regardèrent, étonnés. Tandis que Constantine était dans la cuisine à mettre un pantalon, Hesvetel lui demanda :

 — Vous vivez en colocation ?

 — Non, pourquoi ?

 — Pourtant, quelqu'un est dans la douche, fit remarquer Adumhazare.

 Constantine ne répondit pas, absorbé à beurrer du pain. Adumhazare regarda Hesvetel : le réveil dû être rude. Alors le démon répéta et l’occultiste releva la tête :

 — Hum ? Ah, oui… C'est mon plan cul qui lave le sien.

 Hesvetel ouvrit de grands yeux et la bouche. Constantine avait réalisé l’exploit, le miracle même, de lui avoir coupé le souffle alors qu’il ne respirait pas.

 — Bah, quoi ? fit Constantine avec détachement. Vous êtes pas en couple avec ce démon, vous ?

 — Mais non, ce n'est pas vrai !

 La créature céleste s’énerva. Adumhazare, que Constantine pointa du doigt, ajouta de l’huile sur le feu :

 — Oh, merci, nous sommes si heureux ensemble.

 — Ah, non ! Non, non ! Je vis en colocation avec lui, mais nous ne sommes pas… Quelle horreur, je n’ose le dire !

 Mais Constantine ne sembla guère faire attention à la réponse et ouvrit la porte de la salle de bain :

 — Bébé, t'as bientôt fini ?

 Quelqu’un coupa le débit d’eau.

 — Oui, c’est bon, répondit une voix d'homme.

 L’ange blond serra les poings, sous le regard amusé du démon.

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