Chapitre 10 : Réunion sous tension

9 minutes de lecture

La réunion commence en beauté, avec un petit point sur le ressenti des nouveaux. Je laisse à Robin le soin de se lancer en premier, afin de préparer rapidement, dans ma tête, un petit laïus qui ne sera pas trop assassin.

— J'ai trouvé cette semaine très intéressante et constructive, commence-t-il enjoué. Je pense qu'il y a plein de belles personnalités et j'ai hâte de travailler avec vous plus étroitement.

Alors qu'il appuie sur son dernier mot, il tourne la tête pour me lancer un regard intense qui me déstabilise. Ses yeux charbonneux prennent possession des miens et je bascule dans une bulle d'espace-temps qui me fait complètement oublier où je me trouve. D'un coup, il n'y a plus que lui, moi et une salle pleine de chaises vides. Une vague de chaleur me submerge mais, pour une fois, la sensation est agréable. Comment est-ce possible que ses deux yeux puissent à ce point me faire perdre mes moyens ?

— Et toi, Roxane, qu'as-tu retenu de ta semaine ?

Cette interrogation de mon cadre me ramène à la réalité. Je secoue la tête, comme pour reprendre mes esprits. Avec tout ça, je n'ai pas eu le temps de préparer ce que j'allais dire. Sans réfléchir, je lance la première chose qui me vient à l'esprit.

— Eh bien, je retiens que j'ai de la chance d'être dans la contre équipe avec Leya, Astrid, Vanina et Eugène car autrement, j'aurais déjà pris les jambes à mon cou vu l'hostilité de Marina à mon égard.

À peine ma phrase est elle terminée que je me couvre la bouche à l'aide de mes mains, en réalisant ce que je viens de dire. Plusieurs railleries se font entendre dans la salle, dont celle de l'interne impudique placé à ma droite. Un coup d'œil rapide à la principale intéressée et je comprends à la vision de sa mâchoire crispée, que je viens de déclencher le début d'une guerre sans fin.

— Bravo Roxane, chuchote délicatement Robin à mon oreille. Je n'ai jamais entendu un résumé si captivant. Moi qui pensais que cette réunion serait d'un ennui mortel...

D'un mouvement de bras, je lui intime de se redresser. Je me sens déjà bien assez honteuse, pas besoin de me rappeler que je viens de me faire remarquer, une nouvelle fois. Bien que j'en pense chaque partie, j'ai nettement oublié que l'on est en équipe complète. Face à l'agitation naissante, le cadre frappe dans ses mains pour intimer le silence.

— Bien, ça a au moins le loisir d'être honnête, intervient-il clairement mécontent de mon petit speech. J'espérais, cependant, une remarque un peu plus professionnelle. Autre chose à ajouter, Roxane ?

Je fais non de la tête et coule sur ma chaise. Je ne tiens pas à aggraver mon cas. Alors que je me tape le front dans la paume de ma main, comme pour me flageller d'avoir ré-ouvert les hostilités, je sens quelque chose remonter le long de mon tibia. Vu que je n'ai personne à ma gauche, je n'ai pas besoin de regarder pour savoir qui tente de me faire du pied.

— Excuse-moi, interpellé-je Robin d'une voix presque inaudible. Je ne suis pas ton paillasson.

Robin rabat rapidement son pied sous sa chaise, me permettant ainsi de me recentrer sur la réunion. Lucas enchaîne sur les points importants à retenir de cette semaine et sur l'organisation de celle à venir. Alors que chacun donne des précisions sur les prises en charge de leurs enfants en référence, je suis une nouvelle fois distraite par mon voisin de gauche qui revient à la charge.

— Range ton pied une bonne fois pour toutes ! Ce n'est ni le lieu, ni le moment et surtout c'est complètement inadapté.

Je prends sur moi et fais de mon mieux pour rester la plus discrète possible.

— Désolé, se dédouane-t-il la mine faussement déçue. Je pensais qu'un contact amical t'aiderait à oublier ton dérapage de tout à l'heure.

"Un contact amical, il se fout de nous ?" se frustre ma conscience. "Il doit avoir de drôles d'amis pour agir de la sorte !"

Pour une fois, je suis complètement d'accord avec elle. Il fait bien ce qu'il veut avec ses potes, sauf que moi, je n'en fais pas partie. Il est clair qu'un bon recadrage est de rigueur, si je veux stopper ses agissements.

— Tu t'essuies souvent les pieds sur tes amis toi ? répliqué-je toujours à voix basse

Il esquisse un grand sourire, mais ne prend pas la peine de me répondre, ce qui a le don de m'agacer. Plutôt que de continuer à donner de l'intérêt à une personne qui ne le mérite pas, je décide de me focaliser sur le débat en cours. Il semblerait que l'on parle du cas du petit Dimitri. Depuis le départ de l'infirmière qui me précédait, il lui manque un référent. Quand on est "référent" d'un enfant, on est en charge de la tenue de son dossier, du lien avec la famille, l'école et les partenaires qui pourraient exister (orthophoniste, aide sociale à l'enfance,...), faisant de nous le contact privilégié dans le service. Bien sûr, on se doit de connaître les histoires de tous les enfants, mais pour nos référés c'est quasiment du par cœur.

— Je veux bien moi.

Ma proposition a été si soudaine que tous les regards se tournent dans ma direction. D'un seul coup, je me sens comme une toute petite chose dans une très grande pièce.

— Vraiment ? m'interroge Leya qui est en face de moi. Tu sais ce que ça implique ?

— Oui. Vous avez tous et toutes déjà pas mal d'enfants en référence alors que moi, je n'en ai aucun. Autant se répartir le travail.

— Ravi de voir que ton professionnalisme est de retour, Roxane, intervient Lucas, visiblement touché par ma sincérité. C'est noté ! Allez, on enchaîne, on n'a pas toute la journée.

Alors que l'on passe à un autre enfant, je suis une fois de plus déconcentrée par l'interne intenable qui se trouve à ma gauche.

— Le docteur Ponchary m'a laissé en charge de certains dossiers, dont celui de Dimitri, susurre-t-il sensuellement à mon oreille. Quelque chose me dit que l'on va faire du bon travail toi et moi.

Je déglutis et me redresse sur ma chaise. Bien que je trouve le pédopsychiatre du service un peu fou, j'aurais mille fois préféré avoir affaire à lui plutôt qu'à son interne rentre dedans.

"Pourquoi faut-il toujours que tu parles avant de réfléchir?" rouspète ma conscience.

Oups ! Il semblerait qu'une fois de plus, mon impulsivité me fasse défaut.

Le reste de la réunion se déroule bien mieux. Robin a bien essayé de me déconcentrer à plusieurs reprises, mais face à mon stoïcisme, il a vite lâché l'affaire. Finalement, il n'y a pas eu de présentations d'enfants, car François, après avoir étudié les dossiers, a préféré ne pas les prendre pour ne pas « casser le dynamisme du groupe actuel ». Grand bien lui fasse !

Je remballe mes affaires encore plus vite que tout le reste de l'équipe, afin de m'éclipser le plus rapidement possible. J'allais presque atteindre mon but quand je suis interpellée par Leya et Astrid.

— Vingt et une heures au bar le Cassiopée, m'informe Astrid.

Et merde, j'avais complètement zappé cette soirée entre collègues.

— Ok. À c'soir.

Je réponds à la hâte et file plus vite que l'éclair, espérant échapper à monsieur beau-gosse.

— Roxane...

Mais c'est pas vrai, qu'est-ce qu'ils ont tous à me courir après ? Je ne peux pas simplment rentrer chez moi !

Bien sûr, cette voix, je la reconnais instantanément. C'est celle-là même qui m'a destabilisée durant toute la réunion. Oh non !

Je me retourne lentement dans le couloir , comme pour retarder le moment de lui faire face.

— J'espère que ce n'est pas moi que tu fuis comme ça ?

"Pff il manque aps d'air lui ! " peste ma conscience.

Il est tellement grand, qu'en trois pas, il a brisé l'écart qui nous sépare. Le voilà si près, que son parfum, cent pour cent masculin, s'introduit dans mes narines et me fait perdre toute notion du temps.

— Heu... Non... Bégayé-je, en cherchant vite un argumentaire qui tienne la route. C'est Marina, vu ce que j'ai dit en début de réunion, j'aimerais partir en week-end sans subir une nouvelle fois ses foudres.

Je suis hyper fière de ma réactivité. Je ne tiens pas à ce que ce cher interne se fasse des films.

— Tant mieux, car, tu ne sembles pas très à l'aise en ma présence et je ne voudrais pas que l'on s'évite toi et moi. D'autant plus que l'on va être amené à collaborer pour Dimitri.

Non mais je rêve ou son ego est aussi gros qu'une pastèque bien mûre ? Même l'intonation enjôleuse de sa voix n'est pas de circonstance. Alors pourquoi j'en arrive à perdre mes moyens ?

— Oh, non, heu... je dois y aller, bafouillé-je en avançant vers la sortie.

Un coup d'œil rapide autour de moi et je constate que nous ne sommes plus que tous les deux dans le service, ce qui me fait accélérer le pas . Sans que je m'y attende, il stoppe mon élan en m'attrapant par le bras et me coince entre lui et un mur. Cette proximité inattendue me fait tourner la tête. Je ne suis plus en mesure de réfléchir de façon rationnelle. Le laisser faire ou le repousser ? Tout est confus.

Son corps à quelques centimètres du mien, son souffle sur mon visage et ses yeux noisette intensément plantés dans les miens sont tout un tas de détails qui me font complètement perdre la raison. La tension est tellement palpable entre nous, que je pourrais, dans un excès de folie, me jeter sur ses lèvres pulpeuses qui semblent m'appeler. Le temps d'un instant j'oublie qui je suis, j'oublie qui il est et surtout j'oublie où nous sommes. Tout me paraît irréaliste, même ces sensations qu'il fait naître à l'intérieur de moi. C'est comme si, en un certain sens, nos corps étaient fait pour se rencontrer ce qui est complètement irrationnel. Les âmes soeurs et autres truc culcul c'est bien dans les livres. Dans la réalité, le magnétisme finit souvent par se faire la malle après deux ou trois parties de jambes en l'air. C'est beaucoup moins romantique.

" Allo, Roxane ! Revienssur Terre" m'appelle ma conscience, me ramenant ainsi à la réalité. Rapidemement, je l'écarte à l'aide de mon bras.

— Tu harcèles souvent tes collègues de travail ?

Les mots sont forts, et je ne les pense pas, mais il ont pour effet d'être radical. Robin ne tarde pas à remettre de la distance entre nous. Une très grande distance. Je ne saurais pas trop décrire sa tête. Il est à la fois dégoûté, énervé et amusé. Je ne savais même pas que l'on pouvait représenter ses trois émotions à la fois. Il passe une main dans ses cheveux, tout en se mordant la lèvre. Bien qu'il semble contrarié, il n'en reste pas moins hyper sexy.

"Roxane, on se réveille !" me raisonne ma conscience. " Il t'a presque violée sur place et toi tu le trouves sexy ? Tu es folle ma pauvre fille !"

Violée ? Le mot est un peu fort tout de même. Il faut toujours qu'elle en rajoute ! D'autant qu'à aucun moment je ne me suis sentie en danger. J'ignore comment cela peut-être possible, mais c'est comme si tout en moi s'accordait pour me dire qu'il ne me ferait pas de mal.

— Quoi ? Bien sûr que non, se dédouane-t-il les yeux ronds ouverts, en levant ses mains comme si j'avais une arme. J'avais cru comprendre que tu étais réceptive, sinon je ne me serais jamais permis une telle action.

— Eh bien non ! Et puis c'est mon lieu de travail ici, pas un site de rencontre, ça me met mal à l'aise, tous tes trucs tactiles et tes sous-entendus. Alors je veux que ça cesse.

Bien évident que je lui mens effrontément mais, pour son bien comme pour le mien, il vaut mieux tuer tout espoir dès à présent. Je récupère mon sac, qui est tombé à terre lors du plaquage contre le mur, et sors à toute hâte du service sans même me retourner. Finalement, une bonne cuite ce soir me fera le plus grand bien.

Annotations

Vous aimez lire Amandineq ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0