Chapitre 18 : Kimberly et Texto

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Lorsque j'entre dans le vestiaire, je capte immédiatement les regards de mes collègues déjà présentes.

— Ouah, Roxane, s'exclame Leya sans retenue. Tu es une vraie bombasse aujourd'hui. Enfin, non pas que tu sois moche d'habitude, mais là...

Son manque de tact me décroche un franc sourire. Avant d'être trop gênée et d'attirer davantage l'attention, je la coupe dans son élan :

— Merci, c'est juste un peu de mascara.

— C'est pour notre interne beau-gosse que tu t'es faite si jolie, intervient Astrid d'une voix mélodieuse.

Heureusement que je suis dos à elles et qu'elles ne voient pas ma réaction, mais à l'évocation de "l'interne" mes yeux se sont arrondis.

— Non, protesté-je innocemment, c'est pour moi-même. J'ai toujours pensé qu'attendre un prétexte pour prendre soin de soi est surfait.

— Garde ton beau discours pour les collègues de ce soir, plaisante la jolie brune, en enfilant sa blouse. On a bien remarqué que notre interne est collé à tes basques à longueur de journée et, en plus de ça, vous vous appelez par vos petits prénoms.

"C'est vraiment les pires arguments que je n'ai jamais entendus " se moque ma conscience.

Je profite de la situation pour jouer un petit peu.

— Ah mais oui, c'est vrai. Il a tellement de mal avec ton prénom, qu'il t'appelle souvent Roberta, Marina ...

Je continue en claquant des doigts.

— Ah, mais non, il ne te nomme pas, il dit simplement « hey l'infirmière-là ».

Elle esquisse une grimace.

— J'admets qu'il a fait beaucoup de progrès depuis son arrivée, avoue Leya à contre-cœur.

Je ris en enfilant ma blouse, ravie d'avoir contré leurs arguments bidons. Même si je sais qu'elles me charrient, elles me font vraiment toute une histoire pour rien. Robin et moi, ce n'est pas prêt d'arriver.

— Enfin, les filles, vous devriez pourtant être contente, ajouté-je malicieusement. Au moins maintenant, il passe plus de deux heures dans le service.

Je leur fais un petit clin d'œil tout en terminant de boutonner mon haut.

— D'accord, c'était un mauvais exemple, conclut finalement Astrid, en comprenant où je veux en venir. Mais je suis sûre que sa présence prolongée dans nos murs est étroitement liée au fait que tu sois là.

Je ne prends pas la peine d'ajouter quoi que ce soit et, pour couper court à la conversation, je m'avance vers le bureau de soin pour relayer l'équipe de nuit.

Les transmissions ont commencé depuis un bon quart d'heure, quand Robin déboule dans le bureau avec la discrétion d'un ogre affamé. Comme il est beau avec ses cheveux en bataille, sa petite barbe naissante et sa tête qui donne l'impression qu'il vient de sortir de son lit.

— Désolé du retard, s'excuse-t-il en prenant place sur une chaise. Je suis Robin, l'interne en psychiatrie.

Alors qu'il se présente à l'équipe de nuit, Magalie, une jeune infirmière de la promo de Leya, le reluque sans la moindre discrétion.

— Enchantée, réponds-t-elle niaisement, je m'appelle Magalie et voici Éliane.

L'aide soignante d'âge mûr, et à l'expression peu aimable, se contente d'un hochement de tête en guise de réponse.

Lorsque les yeux de l'interne se posent enfin sur moi, il marque un temps d'arrêt sur image. Il me dévore du regard sans aucune retenue. Ses yeux s'enflamment, alors que Magalie recommence à nous parler des enfants.

Beaucoup plus absorbée par l'interne indiscipliné face à moi, que par les informations de la nuit, je vois le beau brun sortir son téléphone et pianoter à vive allure. Quelques secondes plus tard, une vibration se fait sentir dans ma poche.

Là encore, le monde est plein d'inégalités. Un interne ou un médecin qui répond à un appel ou à un SMS en pleine réunion ça fait très « personne indispensable », en revanche un autre soignant qui fait de même c'est tout de suite plus négligé. Je décide d'y jeter un coup d'œil plus tard et je me focalise sur ce que raconte ma collègue de nuit.

Dans l'ensemble, il n'y a pas de grosses informations. Ils ont tous bien dormi et la soirée d'hier a été une catastrophe. Il semblerait que Matéo, le petit gamin manipulateur, ait organisé une mutinerie contre les soignants, qui lui ont refusé le goûter après qu'il ait volé des chocolats dans la cuisine. Dans sa rébellion, il a embarqué avec lui Tatiana, Bastien et mon chouchou, Dimitri. Du refus des traitements, au refus de la douche, les quatre fantastiques ont refusé d'obtempérer pour quoi que ce soit. Résultats, ils ont passé toute la fin d'après-midi dans leurs chambres, ainsi que le repas. En conclusion, ils vont bien.

L'équipe de nuit nous quitte et Leya s'engouffre dans un interrogatoire à l'intention de Robin. Je la voyais trépigner, attendant le bon moment pour lui sauter dessus.

— Alors Robin, lance-t-elle pleine de malice. Que vient faire notre cher interne dans le service de si bonne heure ?

Ses yeux sont plissés, comme si elle cherchait à sonder le regard du beau brun. Sa tête me fait rire.

— Eh bien, très chère Leya, sache que je suis un homme qui a beaucoup de travail.

— C'est pour le travail ou pour la jolie blonde en face de toi que tu es avec nous ?

Alors que je regardais le planning de la journée sur le tableau, sa phrase me fait faire volte face.

"Arrête d'agir comme si tu étais coupable" ronchonne ma conscience, "Tu vas te faire cramer"

Je me rassois à côté d'Astrid, comme si de rien était.

— Il est vrai que Astrid est très en beauté ce matin, réplique Robin taquin. Mais le travail c'est le travail.

— Je parlais de Roxane, s'impatiente ma collègue. L'autre blonde du service.

Il jette un coup d'œil rapide dans ma direction puis répond.

— Oui, elle n'est pas mal non plus, lance-t-il incertain. Seulement, son caractère impulsif et immature ne matche pas avec le miens. Les femmes c'est moi qui les domine, pas l'inverse.

Leya et Astrid éclatent de rire, alors que je reste sidérée sur ma chaise.

Immature, bon passe encore, bien que l'adolescente qui sommeil encore en moi en prenne un coup. Mais un caractère de merde, là pas du tout ! J'ai simplement une tolérance zéro contre l'injustice.

— Si Roxane ne t'intéresse pas, poursuit la jolie brune, alors laisse moi te dire que Magalie a carrément flashé sur toi.

Je me fais violence pour ne rien laisser paraître, mais je bouillonne intérieurement. Magalie est très gentille mais c'est une nymphomane de trente ballets qui, chaque soir, couche avec un ou plusieurs hommes différents. Je ne suis pas certaine que le trip "gang bang" plaise à Robin. Quoi que peut-être finalement ! Après tout on parle bien de l'homme qui a embauché une escorte en guise de petite amie de soirée.

"Après, il peut bien faire ce qu'il veut, puisqu'il ne t'intéresse pas" me rappelle ma conscience ironiquement.

Et toc ! Je vais finir par appeler ma conscience Jiminy. Laissant de côté la discussion interne qui se joue dans ma tête, je me reconcentre sur mes collègues. 

— Je suis vraiment honoré que ma vie sentimentale t'intéresse autant, Leya, répond le brun, tel un gentleman, les mains posées sur son cœur. Mais tu sembles oublier que mon palpitant est déjà pris par Abby.

Tiens, j'en parlais avec moi-même justement ! À l'évocation de ce prénom, je décide que j'en ai assez entendu. Afin de reporter mon attention ailleurs, je sors mon portable pour prendre connaissance du message que j'ai reçu.

Robin :

« Ma parole, tu veux que je meure ce matin ? Tant de beauté devrait être punie. Tu es magnifique. »

Pourquoi tout le monde fait tout une histoire d'un trait de liner et d'un peu de rouge à lèvre ? J'ai tout de même le droit de ne pas travailler en mode zombie tous les jours.L LA prochaine fois, j'y reflechirais peut-être à deux fois. 

Roxane :

« Ce n'est rien qu'un peu de maquillage, mais merci pour le compliment. Bon courage pour ton interrogatoire. Leya est une détective refoulée. Elle obtient toujours ce qu'elle cherche. Crois-moi, c'est elle la vrai dominatrice de l'équipe. Et Biz à Abby»

À peine envoyé, que je regrette déjà la dernière phrase. Qu'est-ce qui m'a pris de lui sortir une chose pareil. Maintenant il va penser que je suis jalouse. Comme il faut que je me change les idées, et que la conversation est toujours en cours entre l'interne et ma collègue, je quitte la pièce pour aller aider Vanina et Eugène. Je les retrouve, tous les deux, dans la buanderie, en pleine préparation des draps et du linge de bain qui nous seront utiles pour ce matin. Je m'affaire à la tâche quand une petite main vient agripper ma blouse.

— Et bah, Kimberly, tu es déjà debout ?

Alors que je m'accroupis pour lui faire face, je constate rapidement que la fillette à le pantalon souillé.

— Je t'accompagne à la douche ?

Elle saisit ma main et me dirige elle-même vers la salle de bain. Au passage, j'attrape une serviette et demande à Vanina de m'apporter ses affaires.

Quand je la déshabille, je remarque tout un tas d'ecchymoses, plus ou moins marquées, sur la totalité de son corps. C'est une enfant qui a tendance à s'attaquer en se mordant, se griffant, se cognant contre le sol... Pas étonnant que son enveloppe corporelle soit dans un tel état.

Mon portable vibre, mais je n'en fais pas cas. J'aide la fillette à monter dans la baignoire, lui donne le bouchon et la laisse un peu seule dans la pièce. Destabilisée par toutes les blessures que s'inflige cette gamine, je pars avertir mes collègues de mes observations.

— Ça ne me surprend pas, lance Leya qui est en pleine lecture des transmissions de la veille au soir, il est très rare qu'elle ne soit pas en train de s'auto-flageller.

— Mais, il n'y a pas un moyen médical qui peut l'en empêcher, m'indigné-je, en lançant un regard de désespoir à Robin. On ne peut tout de même pas la laisser se faire du mal éternellement.

— Les traitements vont avoir des effets sur les symptômes, intervient le beau brun, face à ma détresse. Le seul moyen efficace serait de savoir avec exactitude ce qui engendre ces comportements d'agressivité. Est-ce de la peur, de l'angoisse, des douleurs ou même les trois mélangés ? Le problème que l'on rencontre avec ce type de pathologie, c'est que l'absence de langage entrave beaucoup de possibilités dans la prise en charge.

— Mais c'est horrible ! Alors on va la laisser comme ça, avec ses bleus toujours plus nombreux ?

— Bien sûr que non, s'offusque-t-il. On essaye tout de même certains médicaments et c'est aussi là que l'on voit la nécessité des ateliers thérapeutiques. Ils sont une aide à la mise en place d'une relation de confiance, en plus d'être un outil de travail autour des difficultés des enfants. Kimberly par exemple, si tu t'étais renseignée, va au bassin une fois toute les deux semaines avec Marina et Paul. Là-bas, ils y travaillent l'enveloppement corporel. Tu devrais en parler avec eux, c'est hyper intéréssant. 

"Et prends-toi ce petit pic, Roxane" rigole ma conscience.

C'est bien la première fois que je le vois aussi professionnel en ma présence. Je ne peux m'empêcher de me dire que ça le rend encore plus attirant. Je suis soufflée par la passion qu'il a mis dans son discours et des mots simples qu'il a employé pour m'expliquer les choses. On sent que c'est un sujet qu'il maîtrise et qu'il aime.

— T'inquiète, Roxane, me rassure Leya en posant une main sur mon épaule, on a tous mis du temps à comprendre les rouages de la psychiatrie.

Elle sort de la pièce, me laissant seule avec mon beau brun qui s'apprêtait à faire de même pour, finalement, saisir l'opportunité d'un tête-à-tête.

— Alors, dit-il tout bas, on ne répond pas à mon sms.

— Je n'ai pas le super avantage d'être médecin, monsieur, je ne peux m'adonner à une telle activité.

Mon ton snob nous fait rire tous les deux.

— Tu n'as pas le temps de répondre à ce message mais tu as trouvé le temps pour répondre jalousement au précédent. Tu m'étonneras toujours, Roxane.

Il me fait un clin d'œil entendu et, sans rien ajouter, il finit par quitter la pièce. Frustrée de ne pas avoir eu l'occasion de me défendre, je retourne m'occuper de Kimberly, espérant qu'elle ne s'est pas noyée dans son bain.

Je retrouve la fillette en étoile de mer dans la grande baignoire. Je la contemple un moment et reste ébahi par le calme et la sérénité que je ne lui connaissais pas, avant aujourd'hui. Habituellement, elle est dans un mouvement et une agitation constante, elle tient peu, voire pas du tout, à table et la seule chose qui la canalise, c'est d'être portée. Ce doit être cette sensation qui lui plaît et qu'elle retrouve dans l'eau.

L'ambiance est tellement zen, que je n'ose pas lui dire qu'il va falloir sortir. Je la préviens que je vais ôter le bouchon et je la laisse tranquille le temps que l'eau s'écoule. Une fois la cuve complètement vidée, elle sort d'elle-même et vient à ma rencontre pour être essuyée.

Je découvre une autre facette de cette petite fille qui, il y a une semaine, avait fait mon accueil à coup de pied.

Je l'habille tout aussi tranquillement et l'accompagne vers la salle de jeux pour l'aider à patienter, le temps que les autres enfants se réveillent et se préparent.

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