Chapitre 2.
L’équipe est arrivée au complet presque au même moment : Maya, historienne experte histoire linguistique; Armand, spécialiste de la sécurité et Philippe, un je-sais-tout brillant. La journée commence en salle de debriefing pour un rappel de sécurité et de l’époque temporelle à nettoyer.
Le commandant Levis était chez ChronoClean depuis sa création, chargé principalement de former et de diriger les différentes équipes de nettoyage. Il s’occupait de chaque briefing avec une précision et une concision militaire, un caractère bourru et l’attitude du soldat qui a tout vu. Sur l’écran de briefing s’affichait en grosse lettre noir et argenté : “ChronoClean 11”. Le nom de notre équipe d’intervention.
- Bonjour à tous, dépêchez-vous de vous installer et prenez votre livret de missions, on va commencer.
Le livret était un condensé de toutes les informations nécessaires à notre mission de nettoyage du jour : lieu, époque, environnement effectifs, équipement, langage.
Le commandant s’éclaircit la gorge bruyamment et commença :
- Très bien équipe 11, on commence la journée avec une première mission à destination du 15ème siècle. Le groupe VT 6 (Voyageurs Temporels numéro 6) va se rendre dans la faille numéro 14-48 ce matin, à destination de Paris dans la forêt de Fontainebleau. Une belle forêt de l’époque et sans trop de passage. Un village de taille modeste se trouve à proximité de la forêt. Arrivée heure locale : 7h33, donc vous profitez en plus de la discrétion de l’aube pour opérer. Adjoint au dossier devant vous, une liste des effets personnels que le groupe a sur eux. A vous de repérer les éventuelles anomalies, objet, comportement anachronique et faites le ménage. Ensuite, direction le nouvel empire egyptien avec le groupe VT 7, 1250 et des brouettes av. J-C. Le soleil, la chaleur, le sec et le sable vous attendent. Même protocole, même durée. Quelques temples mineurs se trouvent à proximité de la faille.
Fin de briefing.”
Le commandant Levis sortit de la pièce comme il était arrivé, conquérant. Devant moi, le livret de missions ouvert était ouvert et je réalisai un dernière inspection des informations de la première mission :
Groupe VT6
Date : 18031448
Heure : 0733
Lieu : Forêt de Fontainebleau, à proximité de Paris. Zone boisée dense : chênes, 42% ; pin sylvestre, 29 % ; hêtre, 17% ; autres feuillus, 8%; autres, 4 %.
Langage : utilisation du français médiéval si contact. (annexe 1-2 pour les formules de politesse et expressions usuelles.e.)
Groupe VT7
Date : 08041256 (av.J-C)
Heure : 0915
Lieu : Thèbes, Égypte ancienne. Proximité du Nil, rive orientale. Zones environnantes : désert, 70% ; cultures irriguées, 20% ; habitations et structures, 10%.
Température : 34°C, humidité 24%. Langage : utilisation de l’égyptien ancien en cas de contact. (Annexe 3-5 pour les formules de politesse et expressions usuelles.)
Après une courte pause en silence de lecture collective, Armand pris la parole :
- C’est la première fois que nous opérons tous ensemble, quelques rappels de base. Je suis en charge de la sécurité de l’équipe et de sa coordination. Maya est notre meilleure historienne et Philippe est expert en théorie et principe quantique, entre autres…
- …surtout entre autres, ironisa Philippe en ajustant ses lunettes.
- Et enfin nous accueillons Ethan en tant qu’enquêteur, dont le rôle majeur consiste à repérer les anomalies chroniques et à les résoudre. Objets perdus, interaction non autorisée, altercation avec les locaux… En clair, il résout les problèmes. Il me semble judicieux de vous préciser également que Ethan a eu le choix, à sa sortie d’académie.
- Le choix ? Demanda Maya interrogative.
- Le choix du poste dans l’équipe, lui répondit Philippe en croisant les bras et en relevant le menton, signe qu’il était lui aussi intrigué.
- Exactement Philippe, cela veut dire qu’Ethan a les capacités et les qualités d’occuper chaque poste de l’équipe, ce qui en fait un parfait enquêteur. Pas besoin de vous lister donc ses résultats à l’académie. Nous allons également accueillir un candidat de première année pour la journée dans notre équipe, Sali Bher. On surveille donc l’extérieur et l’intérieur de l’équipe comme on l’a appris. Des questions ?
Tout le monde fit un signe de tête négatif et se mit en route vers le vestiaire pour s’équiper.
Les locaux étaient la réplique parfaite des nombreuses autres structures appartenant à ChronoClean. Une installation principale en surface et un système complexe de nombreux sous-niveaux avec une restriction de sécurité pour chaque niveau, dont l’objectif principal est d’étudier et d’encadrer l’utilisation d’une faille temporelle. Le bâtiment dans lequel nous étions était un édifice impressionnant, un véritable palais de béton armé, dont les façades étaient ornées de motifs géométriques et de sculptures qui captent la lumière, créant ainsi des jeux d’ombres changeant au fil de la journée. La porte d’entrée mesurait trois mètres de hauteur, forgée dans un mélange de bronze et de plomb, entourée par deux fenêtres de chaque côté et de cinq fenêtres juste au-dessus. Chaque bâtiment ChronoClean abritait sa propre faille. Puisqu’il était impossible de déplacer l’endroit d’une faille, ChronoClean avait donc été obligé de construire ses bâtiments autour de chaque faille. Et tous ces bâtiments étaient reliés par un gigantesque réseau de structures souterraines. Une toile d’araignée sous la terre, composée de nombreux tunnels permettant de naviguer d’une faille à une autre.
Une fois prête, l’équipe 11 se dirigea vers les grands couloirs du bâtiment Chrono Clean, en direction de la Salle Blanche. Les failles temporelles étaient souvent sécurisées dans de grandes salles blanches, avec un épais mur et une porte forgée autour de la faille, une salle dans la salle. Les murs contenaient un mélange de plomb et de bronze, comme pour toutes les portes du bâtiment. Cet alliage permettait non seulement de faire barrage efficacement contre les radiations et les possibles ondes gravitationnelles dégagées par les failles, mais aussi de retenir un intrus dans le cas où la faille serait franchie de l’autre côté. La personne serait alors immédiatement prise en charge par une équipe médicale afin de le sédater et lui donner assez de médicaments pour qu’il oublie ce qu’il a vu et par où il serait passé.
La grande salle blanche était immaculée, reflétant une lumière crue et clinique. Au centre, trônait la faille temporelle, cette barrière énigmatique ressemblant à une masse d'énergie électrique, grésillant de manière imprévisible. Elle scintillait doucement, comme un miroir d'eau sous un soleil éclatant, mais plus dense, plus palpable, projetant des éclairs éphémères dans la pièce.
Armand se tenait droit face aux voyageurs, les bras croisés, imposant par son physique mais aussi par une présence calme qui se dégageait naturellement de lui. Tout autour, la pièce semble baignée dans une atmosphère étrange, comme si les murs eux-mêmes absorbaient les murmures. Les six voyageurs se tiennent en arc de cercle devant lui, chacun affichant un mélange de curiosité et de nervosité.
Armand balaie du regard les visages face à lui. Il sait que ces voyageurs, malgré leur impatience à franchir la frontière du temps, ignorent encore à quel point cette expérience peut être déstabilisante, voire dangereuse. D’un geste sûr, il fait signe au silence, captant leur attention avant de parler d’une voix basse mais ferme, comme si chaque mot devait se graver dans leur mémoire.
« Avant de franchir cette faille, il y a des règles strictes à suivre, des règles qui ne souffrent d’aucune exception, » commence-t-il. « D'abord, vous ne devez absolument rien laisser derrière vous. Chaque objet que vous possédez doit revenir avec vous. Même le plus petit détail compte. Un simple bouton, un bout de papier oublié pourrait devenir un écho dont les répercussions s'étendront bien au-delà de ce que vous pouvez imaginer. »
Les voyageurs, intrigués et quelque peu déstabilisés, se regardent brièvement. Un silence dense les enveloppe, comme s’ils venaient de comprendre le voyage qu'ils s’apprêtaient à faire. Ce dernier continue, le regard perçant.
« Deuxièmement, » reprend-il en appuyant chaque syllabe, « évitez toute interaction avec les habitants du passé. Ne tentez pas de discuter, d'échanger ou de poser des questions. Ce ne sont pas des figurants dans un décor, mais des vies, des histoires qui ne doivent en aucun cas être influencées. Le moindre mot peut transformer une rencontre en événement, un simple geste en un tremblement aux effets incalculables. »
Il marque une pause pour observer les réactions. Certains des voyageurs semblent méditer sur cette idée, lissant d’une main distraite leurs vêtements, comme s’ils tentaient d’absorber cette interdiction dans leur propre routine. Philippe, assis en retrait, lève légèrement la main pour intervenir, d’un ton à la fois informatif et rassurant.
« Si vous ressentez une étrange sensation, un inconfort physique ou une intuition inhabituelle, n’ignorez pas cela, » ajoute-t-il, posant son regard sur chacun des voyageurs. « Les anomalies sont rares, mais elles existent. Nous devons pouvoir les détecter immédiatement. La moindre réaction de votre part nous permettra d'ajuster nos interventions. »
Les voyageurs acquiescent en silence, absorbant cette directive presque mystique qui semble faire écho à quelque chose de fondamental en eux, une prudence viscérale face à l’inconnu. Armand, impassible, reprend la parole.
« Enfin, et c'est peut-être la règle la plus cruciale, ne vous éloignez jamais du groupe. » Sa voix se fait plus grave, appuyant cette consigne comme s'il s'agissait d'un mantra de survie. « Dès que vous franchirez la faille, nous serons le 18 mars 1448. Cette destination est unique, immuable. Ce que vous verrez, ce que vous vivrez, tout cela est figé dans le temps. Nous ne faisons qu’observer. Nous n’intervenons en rien. Si quelqu’un bat à mort un paysan, nous ne faisons rien. Si quelqu’un vous adresse la parole, baissez la tête et ne répondez pas. Loin de l'équipe, vous n’êtes plus que des étrangers dans un univers qui ne vous reconnaît pas. Un mot de travers et vous pouvez finir en prison, ou pire.»
L'inquiétude se lit brièvement sur les visages des voyageurs. Certains froncent les sourcils, d’autres ferment brièvement les yeux pour visualiser l’importance de rester unis. Armand attend un instant, laissant le poids de ses paroles s’installer. Puis, il glisse un regard vers Maya qui se tient non loin, prête à intervenir si nécessaire.
Maya s’avance d’un pas léger. « N’oubliez pas que ce que vous allez voir et vivre est unique. Pour les gens de l’époque que nous allons visiter, leur monde est réel, stable. Pour eux, il n’y a pas de faille, pas de voyage dans le temps, pas de technologie. Vous n'êtes que des ombres, des observateurs temporaires dans leur réalité. Ne l’oubliez pas. »
Armand émet un léger signe de tête pour signifier que les consignes sont données. Philippe fit un dernier check des instruments et des équipements de chacun, en passant par les capes et les chaussures, s'assurant que chaque détail est sous contrôle.
Armand jette un dernier regard à la faille temporelle puis il se tourne vers les voyageurs et prononce la dernière phrase avant le départ :
« Nous ne sommes que des passants dans l’histoire. Gardez toujours cela en tête. Il est temps. En avant. »
D’un pas lent mais résolu, le groupe avance en vers la faille, chacun ressentant une étrange combinaison d'appréhension et de fascination face à cette porte lumineuse et pulsante. Elles sont souvent décrites comme des miroirs d’eau scintillants, mais en réalité cela ressemble plus à une barrière électrique qui grésille de façon aléatoire. La consigne est d’expirer avant de traverser et d’inspirer dès en arrivant, afin de ne pas dérégler le cerveau avec l’apport d’oxygène légèrement différent. Quand on traverse une faille, une sensation étrange nous envahit, comme si chaque cellule de notre corps était étirée puis compressée en un instant. On ressent une douce brise électrique nous parcourir tandis que nos yeux sont bombardés de boules de lumières. Et en l’espace de quelques secondes, nous émergeons de l’autre côté.
Annotations
Versions