Chapitre 7 : Jubilation et désespoir

8 minutes de lecture

« PetitePerle » n’était toujours pas là lorsque Sophie fit son retour sur Banana. Elle s’y était préparée donc la déception fut facile à digérer, mais elle restait néanmoins habitée par un sentiment permanent d’agacement. Elle décida de ne pas prêter attention aux nombreux messages qu’elle recevait comme à chacune de ses connexions jusqu’ici et préféra allumer la télévision, tout en gardant un œil sur la liste des pseudos qui défilaient. Elle découvrit cependant quelques fonctionnalités qu’elles n’avaient pas encore explorée : le tchat permettait de bloquer les messages privés, une option qu’elle activa tout de suite afin de ne pas être sans cesse dérangée. Elle s’aperçut également que le site proposait de faire une recherche directement par pseudo, elle rentra celui de « PetitePerle » qui bien sûr, ne correspondait à personne pour le moment, mais cela lui permettrait de ne plus avoir à surveiller constamment la liste des pseudos dans son intégralité.

Et puis, de nouveau, Sophie patienta. La patience n’était décidément pas son point fort. Elle s’allongeait, se redressait, se levait, allumait la télévision avant de l’éteindre de nouveau. Elle tenta d’apprendre de nouvelles choses sur le meurtre mais la chaine des informations repassait en boucle le même reportage que celui qu’elle avait entendu dans la matinée. Elle-même savait plus de chose rien qu’avec sa « visite » au commissariat. Elle avait l’habitude auparavant, du fait de son métier, de savoir les nouvelles avant que les informations n’en parlent. Une habitude qu’elle avait perdue peu à peu. Retrouver ce sentiment aurait pu lui faire du bien, si le drame ne l’avait pas directement concerné.

Pour tromper l’ennui et l’impatience, Sophie pris son téléphone et commença à ouvrir toutes sortes d’applications, comme des petits jeux ou son agenda (qui était bien évidemment vide de tout rendez-vous) pour les refermer tout aussi rapidement. Par hasard elle ouvrit son répertoire, scrolla frénétiquement la liste des quelques personnes concernées et lut le nom de Stéphane. Son ancien collègue lui avait redonné son numéro avant qu’elle ne parte tout à l’heure en direction du parc, en lui promettant qu’elle pourrait l’appeler si elle promettait de ne plus venir s’introduire illégalement dans le commissariat.

Il ne s’était déroulé qu’une poignée d’heures depuis qu’elle l’avait quitté, mais elle décida néanmoins de l’appeler. Il fallait qu’elle fasse quelque chose de toutes façons. Ne rien faire qu’attendre menaçait de la faire exploser. Une, deux, trois, puis quatre tonalités retentirent avant qu’elle n’entende le début de son répondeur. Elle raccrocha et le rappela de nouveau, sans succès. Sophie essaya quatre fois consécutives sans que Stéphane ne décroche, à la cinquième, il décrocha immédiatement.

-J’espère que c’est important, dit-il d’une voix agacée.

-Tu mas dit que je pouvais t’appeler directement si je le pouvais, répliqua Sophie.

-En effet, mais j’avais imaginé que tu te montrerais un peu plus patiente. Ou que tu me ferais confiance pour t’appeler si j’avais du nouveau !

-Rien de nouveau alors ?

-Rien qui ne me semble important en tout cas.

Sophie eut envie de répondre que beaucoup de choses importantes avaient pu passer sous le nez de Stéphane du temps où elle l’avait vu mener ses enquêtes, et que si elle n’avait pas été là, bon nombre de criminels serait encore en liberté, mais elle se retint. Elle avait assez de lucidité pour savoir que le vexer ne mènerait nulle part, sinon à ne plus pouvoir compter sur son aide.

-Vous l’avez de nouveau interrogé ?

-Nous non, mais il a vu son avocat. Il vient de repartir d’ailleurs, mais comme tu le sais, ces entretiens sont confidentiels et nous n’avons pas d’enregistrement.

-Est-ce que tu…

-Non, l’interrompis Stéphane, je ne te donnerais pas le numéro ou le nom de son avocat. C’est contre toutes les procédures.

C’était effectivement la demande que Sophie était sur le point de formuler, mais elle profita de son refus anticipé pour prendre un ton choqué.

-Laisse-moi finir, ce n’est pas ce que je voulais demander ! Je voulais simplement savoir si son avocat avait donné quelques éléments, tu sais, sans vraiment faire attention ?

-On a rapidement échangé, mais tu sais comment sont les avocats. Il s’est contenté de dire que son client était une victime dans cette affaire -comme si un avocat allait dire autre chose- et qu’il s’agissait d’un acte prémédité, vu la récurrence des contacts qu’il a pu avoir avec ta cousine.

-Il a dit ça ? s’emporta Sophie. Donc c’est de sa propre faute si Pauline a été assassinée ?

-Ne t’énerve pas sur moi, je te rapporte juste ce qu’il a dit, soupira Stéphane. Je me suis permis de lui faire une remarque similaire figure-toi, je lui ai demandé s’il pensait que la vraie victime avait eu ce qu’elle méritait.

-Et qu’est-ce qu’il a répondu ?

-Que c’est ce qui arrive quand on donne rendez-vous tous les jours à minuit à un homme à qui on fait de belles promesses.

Sophie marqua une pause. Elle n’était pas certaine d’avoir bien entendu ce que Stéphane venait de dire.

-Tu peux répéter ?

-Il a dit que c’est ce qui arrive quand on fait des promesses à un homme.

-Non, non pas ça, à quelle heure elle lui donnait rendez-vous ?

-Minuit, ou quelque chose comme ça.

-Merci Stéphane, pardon de t’avoir dérangé.

Sophie raccrocha, posa son téléphone à côté d’elle et se leva avant de faire les cents pas. Elle avait du mal à retenir son sourire tandis qu’un sentiment de réelle jubilation s‘emparait d’elle. Le faux-profil fixait donc ses rendez-vous au milieu de la nuit ? Voilà un indice très intéressant ! Premièrement, elle savait désormais qu’il ne lui servait à rien de l’attendre au milieu de l’après-midi et elle ferma immédiatement l’ordinateur d’Aurore. Ce simple acte lui procura un sentiment de légèreté, comme si elle venait d’être libérée d’une tâche particulièrement déplaisante et ingrate. Deuxièmement, c’était un premier indice pour commencer à cerner un profil, alors que jusqu’ici, elle ne pouvait se baser que sur des suppositions.

Mais qu’est-ce que cela pouvait bien signifier, de donner une heure pareille pour se retrouver ? Souhaitait-il rester discret ? Sûrement que oui, étant donné qu’il se prêtait à une pratique illégale, mais était-ce réellement la raison ? L’anonymat d’internet l’aurait permis à n’importe quelle heure… Soudain, elle se senti profondément fatiguée. Elle avait eu beau se lever tard, toutes les émotions qu’elle avait ressenti dans la journée retombaient d’un seul coup. Sophie regarda l’horloge accrochée au mur, laquelle indiquait qu’il était cinq heures et demie. Sentant ses paupières lourdes, elle se dirigea vers son lit où elle s’écroula avant de s’endormir aussitôt.

Lorsqu’elle se réveilla, sa chambre était plongée dans l’obscurité malgré les volets restés ouverts. Il faisait donc nuit. Sophie regarda l’heure sur son téléphone : il était près de onze heure quarante-cinq. Elle se redressa, avec une sensation de déshydratation dans la bouche et l’esprit embrumé. Dormir lui avait fait du bien mais il lui fallut encore quelques minutes pour se réveiller complètement. Son ventre gargouillait également, lui faisant réaliser qu’elle n’avait rien mangé depuis son petit déjeuner. Elle fouilla dans ses placards mais rien ne lui donna particulièrement envie et elle ne se sentait pas de cuisiner quelque chose d’élaboré. Elle jeta son dévolu sur un paquet de chips, du fromage et du pain de la veille. Elle s’installa à table, non sans avoir également préparé l’ordinateur. Puis elle se connecta sur Banana, bloqua immédiatement les messages privés pour ne pas être dérangé et renseigna le pseudo « PetitePerle » dans la liste de recherche. Il était onze heure cinquante-huit et aucun pseudo ne correspondait, encore une fois. Mais, occupée par son repas de fortune, qu’elle accompagna de plusieurs verres de citronnade, elle ne ressenti cette fois pas d’impatience. Elle réfléchissait à ce qu’elle allait lui écrire, une fois quelle l’aurait trouvé mais sans y parvenir, car dans le même temps, une hypothèse lui vint à l’esprit : il était tout à fait possible que le faux-profil ait appris au cours de la journée ce qui était arrivé à Pauline. Si c’était le cas, il était fortement probable que l’usurpateur cesse de se faire passer pour elle.

A minuit et cinq minutes, « PetitePerle » n’était toujours pas arrivée, ce qui semblait confirmer sa nouvelle théorie. Sans se décourager, mais en n’ayant pas trop d’espoir, Sophie resta connectée mais elle ouvrit d’autres pages, et chercha sur internet si de nouveaux articles sur la mort de Pauline avait été écrit. Elle en trouva ainsi sur la plupart des sites de grands médias nationaux, mais aucun ne creusait davantage sur cette affaire, comme si tous s’étaient copiés les uns les autres. Elle soupira en fermant la page du cinquième article de ce genre et repris sa surveillance du tchat. Toujours rien dans la liste des pseudos. Aussi bien par dépit que pour avoir l’impression de faire quelque chose, Sophie effaça le pseudo de « PetitePerle » pour le réécrire aussitôt.

Il était là.

Un sentiment jubilatoire acheva de la réveiller complètement. Enfin elle le trouvait ! Elle n’était à sa recherche que depuis quelques heures qui lui avaient parues être une éternité. Mais à sa joie se mêlait une certaine frustration : depuis quand était-il là ? Car il n’apparaissait pas dans la liste juste avant, il fallait donc croire que celle-ci ne s’actualisait pas en temps réel, à moins qu’il ne se soit connecté exactement au même moment où elle avait réécrit son pseudo, ce qui lui paraissait très peu probable. Elle espérait ne pas avoir perdu trop de temps, car plus les minutes passeraient, plus son message serait noyé dans la masse de tous les autres, comme elle avait pu le constater. Elle cliqua sur le pseudo et un bouton « envoyer un message » apparut. Un onglet de discussion vierge s‘ouvrit alors, attendant que Sophie inscrive son message.

Elle n’avait pas réfléchi à ce qu’elle allait lui dire, mais elle devait rapidement se décider. Alors, instinctivement, elle écrivit.

-Je sais que tu n’es pas celle que tu prétends être.

Elle attendit sa réponse pendant de longues secondes qui se transformèrent en minutes, mais en vain. Sophie supposa que le faux-profil était déjà surchargé de message, cependant elle refusa de se décourager et continua d’écrire.

-Tu te fais passer pour quelqu’un d’autre, quelqu’un qui est mort !

De nouveau, pas de réponse. Sophie attendit moins longtemps avant son message suivant.

-Tu n’as pas honte sérieusement ? Pauline est morte par ta faute, et tu continues de te faire passer pour elle ?

Et sans attendre ni espérer de réponse, elle enchaîna :

-Qui es-tu ? Pourquoi fais-tu cela ? Réponds !

-J’attends

-Les flics sont sur l’affaire tu sais, Henri leur a tout raconté !

-Tu vas finir en taule, tu sais ça ?

-Si ce n’est pas eux qui t’attrape, je m’en chargerai personnellement ! A moins que je ne te bute à la place, qu’est-ce que tu en dis ?

-Je te déteste

-Allez, répond !

-T’es qu’un connard !

-Je vais te tuer !

Au fur et à mesure qu’elle avait envoyé ses messages, les larmes lui étaient montées aux yeux et coulaient maintenant le long de ses joues. La jubilation de trouver le faux-profil avait laissée place à une terrible frustration, du fait de son silence. Sophie craqua alors, se prenant la tête entre les mains, étouffant un cri mais ne pouvant retenir ses sanglots. Elle resta là, à contempler l’écran, et ce n’est que vers deux heures trente du matin qu’un message apparu à la suite de son dernier mot :

PetitePerle est déconnecté(e).

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire JohannT ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0