Chapitre 9

5 minutes de lecture

Enfin de retour dans ma cellule. Les murs suintent l'humidité, l'air est lourd et glacé, et les toiles d'araignées pendent comme des lambeaux oubliés aux quatre coins de cette pièce exiguë. Pas de matelas, juste un banc vermoulu qui grince sous mon poids, prêt à s'effondrer à tout moment.

Pourtant, après ces interminables heures de procès — les cris, les voix qui s'entrechoquent, les tympans martelés par un vacarme sans fin —, cette cellule me semble presque un havre. Un repos relatif, oui. Étrange, non ? Je n'ai ni confort ni espace, seulement ces murs qui se referment sur moi. Et pourtant, je me surprends à préférer cette solitude glacée à l'enfer de la salle d'audience, avec ses bancs de bois durs comme la pierre, ses regards pesants et ses mots qui tranchent.

Peut-être est-ce absurde. Peut-être est-ce simplement que, ici, au moins, le silence est à moi.

Après un long silence — un repos bien mérité pour mes oreilles et pour ma tête —, je retrouve Roch, Vague et Petit dans la cour intérieure. On nous a enfin lâchés, nous et quelques autres détenus dont les procès ont dû être tout aussi éprouvants que le mien.

— Salut les gars, ça gaze ? je lance en les rejoignant.

— Alors, ton procès, c'était le cirque ou l'enfer ? me balance Petit, un sourire en coin.

— Disons que le juge ferait mieux de se reconvertir dans le chant, je rétorque, l'air détendu.

Explosion de rires. Roch s'esclaffe, Vague se tient les côtes, et Petit s'étouffe presque. Comme si ma remarque était la chose la plus hilarante qu'ils aient entendue depuis des mois. Après tout, ils savent mieux que quiconque ce que c'est que de subir ces simulacres de justice. Leurs propres procès ont dû être des calvaires.

D'ailleurs, je me demande encore comment ils ont atterri ici. Chacun d'eux traîne un passé lourd, un de ces destins qui finissent immanquablement entre ces murs. Ils ont forcément commis des actes graves... Mais au fond, ce sont des gars solides. Des gars avec qui je refais le monde, avec qui je peaufine mon plan d'évasion entre deux blagues pourries.

Et peu importe ce qui arrive : même si je sors un jour, on s'est promis de rester en contact. Une sorte de pacte, une fraternité de galère. Parce qu'ici, on n'a que ça.

Bref, après que Rock m'ait balancé ce qu'ils ont dégoté dans le bureau du directeur, les rouages de mon cerveau se sont mis en marche. On nous avait tous réenfermés à l'isolement, le temps que la secrétaire du bonhomme fasse son inspection finale. Et c'est là, après un long moment à tourner tout ça dans ma tête, que j'ai fait le lien.

Rock avait raison sur un point : le directeur est bien derrière ce complot. Mais là où lui imaginait un pantin, un exécutant anonyme qui ferait le sale boulot à sa place, moi, j'ai une autre théorie. Et si c'était lui, en personne ? Un psychopathe en costume-cravate, caché derrière des dossiers et des règlements. Un classique, oui... mais un classique qui tient la route.

Et c'est là que l'idée a germé. Une idée géniale. Lumineuse. Diabolique, même. Faire du directeur le principal suspect de mon affaire.

Imaginez : on sème le doute, on lance une enquête, et hop, le voilà dans la tourmente. Mais surtout, on fait saisir son ordinateur. Et devinez quoi ? On a déjà des éléments qui pointent vers lui. Bien sûr, son mot de passe est d'une simplicité déconcertante — un vrai cadeau. Avec un peu de ruse, un coup de piratage improvisé, et pourquoi pas un faux indice bien placé, on pourrait prouver qu'il est le seul à avoir pu y accéder.

Et là, mon vieux, ce serait checkmate.

Comment je vais m’y prendre, me direz-vous ? Mais c’est d’une simplicité enfantine.

Je vais demander à mon avocat de réclamer un document lié à mon dossier — n’importe quoi : une photo, un rapport, une analyse. Peu importe. L’important, c’est que cette demande passe obligatoirement par le directeur, puisqu’il est le seul à détenir l’intégralité des pièces.

Et là, mon cher, il se retrouve coincé. Deux options s’offrent à lui, et dans les deux cas, il est cuit.

Première option : il refuse. Il bloque la transmission de la preuve à mon avocat. Résultat ? Une procédure administrative interminable, qui remonte jusqu’au juge en charge de mon affaire. Non seulement ça nous donne un délai précieux pour creuser, mais en plus, ça braque les projecteurs sur lui : Pourquoi ce refus ? Qu’a-t-il à cacher ? Un signal d’alerte rouge pour les enquêteurs, et un gain de temps pour nous.

Deuxième option : il accepte. Il transmet le document à mon avocat. Et c’est là que le piège se referme. S’il fournit une preuve qu’il n’était pas censé avoir — une information réservée aux seuls enquêteurs ou au juge —, il se grille tout seul. Comment justifier qu’il détient des éléments confidentiels ? Une erreur ? Une coïncidence ? Non. Une preuve de sa culpabilité.

Dans les deux cas, il est pris à son propre jeu.

En somme, un plan imparable. Presque.

Mais une ombre persiste : le directeur n’est pas un amateur. S’il a échappé cinq fois à la justice, c’est qu’il a l’intelligence d’un renard et la patience d’un serpent. Il pourrait très bien déjouer mon piège, trouver une faille, une échappatoire que je n’ai pas anticipée. Et dans ce cas… je n’ai pas de plan B.

Pourtant, dans quelques heures, la machine sera en marche. Peu importe. Comme le dit l’adage : "La patience est une arme, et le temps, son tranchant."

Alors j’attends. Et je me prépare à frapper au bon moment.

Enfin. Le garde frappe à la porte de ma cellule et m’escorte jusqu’au parloir. Une première : d’habitude, mes entretiens avec mon avocat se déroulent dans une salle officielle, sous surveillance. Mais aujourd’hui, c’est ici, dans ce coin isolé, presque trop calme.

Je m’assois en face de lui. On commence à "débriefer" le procès — un mot bien trop poli pour ce cirque. Le premier jour, après tout, ne sert qu’à une chose : trier les accusations, comme on trie des fruits pourris avant de les balancer à la poubelle. On décide de ce qui me collera à la peau, de ce qui justifiera ou non la peine de mort. Une partie de poker avec ma vie en mise. Rien de bien méchant.

Je n’ai même pas écouté la moitié de ce qu’il a dit. Les mots glissent sur moi, indifférents. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui va suivre.

Après des heures de conversation stérile, le moment approche. D’ici deux ou trois heures, mon avocat va réclamer les papiers. Ceux qui feront basculer les choses. Mon plan se met en place, pièce par pièce, comme un mécanisme d’horlogerie bien huilé.

Pour le convaincre de demander ces documents, j’ai eu une idée. Un détail glané par Vague, qui a eu plus de temps que les autres pour fouiller le dossier d’enquête. Une photo. Un vase posé sur le lit de la victime. Un vase funéraire, selon les témoignages — celui qui contenait les cendres de l’animal de compagnie de la femme de mon voisin. Un trophée macabre, un détail si glauque que seul le juge en a officiellement connaissance. Les enquêteurs, bien sûr, sont au courant. Mais les avocats ? Rien. Zéro. Un angle mort.

M’accuser de meurtre, soit. Mais de nécrophilie en plus ? Même pour un système judiciaire qui joue avec les vies comme avec des pions, ce serait un peu gros.

Reste à savoir si ça suffira. Reste à espérer que le piège se referme comme prévu.

Annotations

Vous aimez lire Soleia_aventure ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0