Chapitre 8
Mon procès est sur le point de commencer. Je me trouve dans la salle d'audience, en attente des juges qui doivent délibérer sur mon affaire. Avant de partir, Petit, Vague et Rock ont tenté de dénicher quelqu'un haut placé dans la prison : un psychopathe ou un tueur en série. Mais peu importe où nous cherchons, une évidence s'impose : le directeur est le seul à avoir accès à tout. C'est donc probablement lui le coupable.
Pourtant, comme chacun le sait, les instigateurs de meurtres ne se salissent jamais les mains. Ils préfèrent déléguer le sale boulot à des sous-fifres. Il est donc fort probable que nous ne trouvions rien — ou, au mieux, la trace d'un complice qu'il aurait lui-même éliminé. Mais sûrement pas la preuve irréfutable qui pourrait me disculper.
Au moment où le procès s'apprêtait à débuter, l'assistance s'est levée pour accueillir le juge. Les jurés, eux, se sont placés sur le côté, sur une estrade située à proximité de la table où je me tenais. Une fois le juge installé, il nous a autorisés à nous rasseoir. Les jurés, ainsi que tous les présents dans la salle, se sont alors assis.
C'est alors que le juge commença à énumérer les faits. D'abord, le meurtre de mon voisin — la cinquième victime. Mais ce n'était pas tout : il m'accusait aussi des quatre autres meurtres, ceux commis par le vrai coupable, celui-là même qui tente de me faire porter le chapeau.
Et c'est bien là le problème. Les flics, dans leur grande compétence — et je pèse mes mots, croyez-moi —, ont réussi à établir un lien entre les crimes... mais pas à chercher à m'innocenter. Un comble, non ?
Je repense à cette époque où je me moquais de mon voisin. Lui, il répétait sans cesse que la justice protégeait les criminels, qu'elle devenait de plus en plus laxiste. Moi, je lui rétorquais que la justice faisait simplement son travail : faute de preuves, on relâche. Même si c'était rageant, c'était comme ça.
Et me voilà aujourd'hui à sa place.
Face à un juge, en tant qu'accusé.
Et si, au fond, il n'avait pas tort ?
Dès que le juge eut terminé son réquisitoire, les deux avocats s'engagèrent dans une bataille de voix. Qui commencerait à accuser l'autre ? Qui parviendrait à prouver que son adversaire avait tort ? Mais de là où je me trouvais, tout cela me semblait surtout être une guerre d'egos entre pairs.
Car je savais pertinemment pourquoi mon avocat était là : il espérait secrètement que je lui glisse un gros pot-de-vin à la première occasion. Oui, c'est comme ça que ça marche. Je l'ai appris à la dure, entre les murs de la prison. Les détenus qui s'offrent les services d'avocats — qu'ils soient célèbres ou minables — leur graissent toujours la patte. Une somme généreuse, bien sûr. En échange, ces messieurs les défendent mollement, sans se fouler, et les sortent de là comme par magie.
Voilà toute la tristesse du monde. Ils doivent me prendre pour un de ces criminels habitués à acheter leur liberté. Sauf que je ne suis pas ce genre de criminel. Je suis un innocent. Un innocent enfermé à tort.
Et si je dois m'évader pour le prouver, alors je le ferai. En attendant, j'espère seulement que Rock, Petit et Vague auront plus de chance que moi dans cette mascarade.
Rock
Pendant que Franck se fait humilier au tribunal, les oreilles bombardées par ses avocats qui hurlent probablement pour impressionner la galerie, nous, nous fouillons la prison de fond en comble.
Nous avons interrogé tout le monde. Et le personnel ? Ils tremblent rien qu’à nous voir, Vague, Petit et moi. C’est normal, après tout : on a une carrure qui impressionne. Pas pour me vanter, mais je suis plutôt fière de ma musculature. Même en prison, j’ai réussi à la conserver. Contrairement à certains, qui ne font qu’empâter et sombrer dans la déprime. Pathétique, non ?
Mais passons. Nous devons absolument trouver une preuve pour innocenter Franck. Après tout ce qu’on a fait pour lui, il nous doit bien ça.
Et c’est là que le Petit a eu son idée de génie : "Et si on allait fouiller le bureau du directeur ? Là où les gros cadres de la prison traînent ? Peut-être qu’au fond des tiroirs, ou dans les abysses de leurs archives, on tombera sur quelque chose d’utile."
Moi, j’étais sceptique. Des tonnes de papiers, des factures, des dossiers éparpillés… Qu’est-ce qu’on pouvait espérer trouver là-dedans ? Mais bon, on n’avait pas le choix. Alors on y est allés.
Nous arrivons devant la porte du bureau et toquons gentiment, comme de braves détenus modèles. Mais après quelques secondes, un détail nous frappe : la porte n’est pas verrouillée. En l’ouvrant, nos yeux tombent sur une note posée sur le bureau. "Je dois assister à un... procès d’un détenu. On se revoit cet après-midi pour gérer les dossiers d’admission des nouveaux arrivants." Signé : le directeur.
Un mot pour sa secrétaire, sans doute. D’ailleurs, nous l’avons croisée plus tôt, pendant notre fouille des cellules. Elle aussi inspectait les lieux, voire même les chambres des gardes, à la recherche de la moindre trace de corruption.
Parce que si la prison a une reine, c’est bien elle. Entre le directeur, les gardes et les agents d’entretien, la secrétaire est de loin la plus terrifiante. Un mégot mal placé, un dossier mal classé, et la voilà qui entre dans une rage noire, inarrêtable. Et tout le monde en prend pour son grade : détenus, directeur, gardes… Personne n’y échappe.
Peut-être est-ce pour ça que cette prison est réputée infranchissable. Pas seulement à cause des murs ou des barbelés, mais parce que même l’enfer a peur de sa secrétaire.
Profitant de l’absence du directeur et de sa redoutable secrétaire, nous nous mettons à fouiller son bureau, son ordinateur, chaque recoin de la pièce. C’est alors que Vague, installé sur le fauteuil du directeur, l’air absorbé par l’écran de l’ordinateur, lève soudain les yeux.
— Les gars… Je crois que j’ai trouvé un truc intéressant.
Je m’approche, intriguée.
— Montre.
Il clique sur un dossier dissimulé dans les profondeurs du système. À l’intérieur ? Les dossiers d’enquête des meurtres dont Franck est accusé… mais pas seulement. Il y a aussi des dossiers sur des meurtres qui n’ont même pas encore eu lieu.
Des noms, des visages, des vies banales — des Monsieur Tout-le-Monde, des inconnus pour nous. Sauf qu’au-dessus de leurs têtes, une cible a été ajoutée. En d’autres termes : ces gens sont les prochaines cibles.
Bon, d’accord, dans le bureau d’un directeur de prison, c’est normal d’avoir des dossiers sur des criminels.
Mais des dossiers cachés ?
Des visages inconnus, des cibles désignées à l’avance, regroupés dans le même fichier ?
Là, ça sent le coup fourré. Et pas qu’un peu.
En continuant de fouiller, un autre dossier attire notre attention. À l’intérieur, la tête de Franck, entourée d’autres visages. Et là, la révélation : le directeur a deux dossiers distincts. Celui des victimes… et celui des gens qu’il a piégés. Sur chaque photo, une croix rouge. Une croix pour chaque personne éliminée. Et sur celle de Franck ? Rien. Pas encore.
Il est donc toujours en danger. Mais est-ce vraiment le directeur qui tire les ficelles ? Un doute persiste. Certes, l’ordinateur était protégé… mais Vague a réussi à le pirater en quelques minutes. Un simple détenu, sans accès préalable à ce bureau, a craqué son mot de passe. Alors si lui y est parvenu… Qui d’autre aurait pu le faire ?
Trop de questions. Trop de zones d’ombre. Peut-être que Franck, avec son regard extérieur, verra ce qu’on a manqué. Parce qu’une chose est sûre : quelqu’un, ici, joue un jeu bien plus tordu qu’on ne le pense.
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