Jane

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une capitaine des Hommes Libres

201222-223546

Nous finirons ici par apprendre d'où vient ce mémo-disque dissimulé aux yeux de l'individu.  

Taklo. Ma planète natale. Mon enfance... J'ai beau essayer de m'émouvoir, je n'y arrive pas. J'ai dû passer trop de temps dans l'espace. Je ne me  sens plus vraiment connectée à cette planète. Même l'immense chute d'eau de la rivière Tak ne m'impressionne plus. Cette rivière large comme une mer. Qui coupe le continent en deux. Et dans laquelle j'ai appris à nager... Je ne me rappelle même pas la dernière fois où j'ai vu autant d'eau. Je n'ai pas nagé depuis que je suis partie d'ici. Je crois bien que j'ai pas vu assez d'eau pour nager depuis. L'eau est une denrée rare dans l'espace.

Et cette grande rue. Avec toutes ses boutiques plus ou moins honnêtes. Elle ne me fait aucun effet. La rue de tous les rendez-vous. Celle-là même où j'ai rencontré Gary la première fois. Et lui ? Vais-je ressentir quelque chose en voyant Gary ? En tout cas, je ne me laisserai pas avoir cette fois. Cet enfoiré m'a attirée à lui comme une princesse. Avant de me traiter comme un trophée. Un pot de fleur qui n'est pas sensé parler ! Mais je ne dois pas me laisser emporter. Je ne suis pas ici pour régler mes affaires conjugales. Il y a urgence. Toujours cette peur d'arriver trop tard. Maintenant encore plus que jamais. Rien que de repenser à ces rêves, j'ai en la chair de poule. Ils ne me lâchent pas. Tous les deux jours, je me retrouve au milieu de ces bêtes sauvages.  

La dernière fois, le rêve avait changé. Mais ça restait la même histoire. Simplement avec la jungle remplacée par le désert. Et les corps des hommes par des corps d'êtres poilus. Des êtres légèrement plus petits que des hommes et enrobés dans une fourrure de longs poils marrons. Des poils collés, agglutinés, humides et tâchés par le sang.  

--- Hé ! Salut Jane !

La vache. Il a pris un coup de vieux celui-là. Il traverse la rue pour me rejoindre. Comment a-t-il fait pour me reconnaître si facilement ?  

--- Salut Jerry ! Toujours dans la revente d'objets douteux ?

--- Arrête avec ça. Et entre nous, je suis pas sûr d'être celui qui mérite le plus de finir au trou ici.

--- Qu'est-ce que tu veux dire ?

--- Ben tu sais, les rumeurs vont vite sur Taklo.

--- Et j'ai l'honneur d'être le sujet d'une d'elles ?

--- Oh, bien plus qu'une à vrai dire... Mais la dernière en date ne laisse présager rien de bon pour ton avenir.

--- Tu me fais rire Jerry. Tu crois vraiment que ces guignols du conseil me font peur ?

--- J'imagine que non, mais à ta place je ferais gaffe, dit-il en m'attirant dans l'entrée d'une ruelle perpendiculaire.
Écoute... on est plusieurs à se dire que t'as sûrement plus de jugeote que cette bande de trouillards... mais, tu sais comment que c'est, ils contrôlent tout ici.

--- Qui contrôle ? Lequel de ces chefs de clan tient les autres dans sa main ?

--- Y'a eu pas mal de mouvement depuis que t'es partie. Ça a un peu chauffé plus d'une fois, et j'ai du mal à me souvenir de toutes les bisbilles, les affaires douteuses, les pots de vins, les mecs qui tombent raides... On a même vu quelques fusillades dans cette rue si tu veux tout savoir. Avec tout ça, le terrain est assez mouvant, un jour l'un gouverne, le lendemain son pire ennemi règne en chef absolu, et ainsi de suite...

--- Et aujourd'hui ?

--- Ben... justement. À la fin de toutes ces histoires, Gary a fini par remporter l'adhésion du plus grand nombre, et à faire taire les autres.

Ouais, il est sacrément doué pour les coups fourrés celui-là.

--- Et il veut me faire la peau ? C'est ça que t'essaies de m'dire depuis tout à l'heure ?

--- Non, enfin je crois pas, pas comme ça. Mais il paraît qu'il a lancé un mandat d'arrêt contre toi.

--- Ben voyons.

--- Ne rigole pas, ça a l'air sérieux. Ce qui est sûr, c'est que dès que ton sujet est amené sur la table, il se fout en rogne comme pas possible.

--- C'est comme ça. J'lui ai toujours fait de l'effet.

--- Ouais. Prends ça à la légère si tu veux. N'empêche. Si t'as besoin d'un coup de main, moi et mes potes, on sera là. On n'a pas oublié comment t'avais calmé les chefs prêts à tous nous pendre à l'époque.

Une joyeuse bande de gens peu recommandables. Ça pourrait servir. Mais c'est aussi un beau ramassis de gens prêts à retourner leur veste n'importe quand.

--- Écoute Jerry, c'est sympa de m'avoir mis au jus. J'apprécie que tu te souviennes de moi comme ça. Mais ça va aller. Je vais juste aller leur parler. Et on va mettre tout ça au clair.

Il a l'air déçu.

--- OK, c'est toi qui vois. Tu sais où me trouver. J'suis quand même content de t'avoir revue.

--- Moi aussi.

Il repart vers la direction d'où il était arrivé. Je ne pense pas que c'était une rencontre fortuite.

***

On y est. Me voilà devant la douzaine de mecs qui dirigent, ou font semblant de diriger, les Hommes Libres. J'en reconnais quelques-uns, malgré leur âge. Mais y'a aussi pas mal de nouvelles têtes. Jerry avait raison. La guerre des gangs a dû faire le vide.  

--- Salut Jane. Heureux de t'accueillir à la maison.

En voilà un que le vide n'a pas réussi à engloutir. Toujours aussi souriant. Comme si de rien n'était. J'aurais aussi bien pu partir quinze jours en vacances. Comme si je n'avais pas refusé son invitation de la veille. Le soir même de notre arrivée. J'ai bien fait de le laisser attendre. Il règne en maître ici. Mais une audition devant le conseil est quand même plus sûre qu'un dîner en tête à tête avec ce type.  

--- Alors, qu'est-ce qui t'amène devant tes vieux amis aujourd'hui ?

Vieux amis, tu parles...

--- Je suis venue vous prévenir. Vous dire ce que nous devons faire. Et vous offrir une solution.

Ils bougent tous sur leur siège. La tension monte. Ils sont clairement mal à l'aise. Tous, sauf Gary. Lui sourit.

--- Ah Jane... toujours aussi pleine de vie... Mais tu vois, moi et mes collègues du conseil, on n'a pas vraiment l'habitude de se faire dicter notre conduite. Alors, puisque c'est toi, je veux bien essayer de les convaincre de t'écouter un peu, mais pour le reste...

--- OK, alors écoutez-moi. Premièrement, vous devez être au courant de ce qui se passe sur Coreberr. Deuxièmement, vous avez dû vous rendre compte de la merde galactique que ça va générer. Troisièmement, la seule issue plausible est un vainqueur avec les pleins pouvoirs. Et quel qu'il soit, il risque de nous en faire baver. À partir de là, vous pourrez garder vos beaux discours de liberté pour les petits enfants. Nous ne serons plus jamais libres.

--- Intéressant. Je vois que t'as réfléchi à la question. Mais vois-tu, nous aussi. Eh oui, prends pas cet air étonné, tu risques de vexer nos amis.

--- Et c'est quoi votre solution ?

--- Tu le sais très bien. C'est dans tous nos messages à destination des raideurs. Cette guerre qui s'annonce est l'occasion pour vous de piller en toute tranquillité dans la moitié de la galaxie qui ne sera plus gardée par personne. Vous allez nous ramener tellement de marchandises qu'on va presque être obligé de se transformer en Guilde Haxiennne pour écouler tout ça légalement.

--- Et ensuite ?

--- Ensuite, nous, les Hommes Libres, serons les seuls vrais rois de la galaxie ! Ils viendront tous ramper à nos pieds pour avoir nos faveurs. Et on pourra leur faire jouer la pièce de théâtre qui nous chante au Conseil Galactique.

--- Magnifique. Et t'as trouvé ça tout seul ? Ou les onze muets t'ont aidé ?

--- Fais gaffe Jane...

--- Ouais, c'est ça. Tais-toi et obéis. Mais tu sais quoi Gary ? Eh bien non. Pas aujourd'hui. Ce temps-là est fini. Tout comme le temps de jouer les pirates. Si on veut sauver notre peuple, on doit y aller. On n'a plus le choix. On peut plus se permettre de rester planquer sur Taklo ou derrière un astéroïde en attendant de devenir riches. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est une armée digne de ce nom. Quelque chose qui nous fasse passer pour autre chose que des insectes nuisibles devant les autres nations. Si toi et tes copains n'êtes pas capables de comprendre ça, alors on est foutu.

--- Et que proposez-vous Capitaine ? demande le plus vieux des muets, alors que Gary était sur le point d'exploser.

Il risque de s'attirer la colère du Chef sur lui celui-là... Mais non. Gary rumine juste au fond de son siège. Tiens, tiens. Il doit encore avoir un certain poids dans la rue le vieux. Un triple V. Un Vrai Vieux de la Vieille, avec la barbe des Hommes Libres, rasée d'un côté comme ses cheveux. Je vais lui faire les yeux doux.

--- Pour commencer, il faut s'emparer d'un maximum de vaisseaux. Construire une flotte de guerre, pas de pilleurs. Capable de rivaliser avec n'importe quelle autre flotte. Ensuite, il faut mettre le cap sur Corellia. Tous les autres y seront sous peu. Les choses se passeront là-bas. Et ceux qui n'y seront pas n'auront qu'à ramasser les miettes qu'on leur jettera.

--- Et ensuite ? insiste le vieux, intrigué.

Bonne question...

--- Ensuite, on verra. Mais ce qui est sûr, c'est que si on ne le fait pas, il n'y aura plus rien à voir.

--- Et tu nous racontes ça parce que tu l'as vu dans une boule de cristal ? Ou juste parce que tu es plus intelligente que nous tous réunis ?

Gary, fidèle à lui-même.
Il va pas me lâcher le salaud. Je le savais. Sa fierté l'emporte sur tout. Même sur la survie des Hommes Libres.
Tu veux savoir pourquoi je suis là ? Je vais pas te le dire. Ça te rendrait les choses trop faciles. Je veux des vaisseaux de guerre parce que j'ai la trouille de mes cauchemars. Mais si je dis ça, c'est fini. Je perds toute crédibilité.

--- T'as perdu ta langue ? Bien. Plus rien à ajouter ? On va en discuter entre nous maintenant, si tu veux bien.

--- Non. J'ai pas fini. J'ai déjà bossé sur les préparatifs. J'ai déjà réuni une flotte. Il ne vous reste plus qu'à me donner l'accord pour continuer. Et enjoindre tous les raideurs à faire de même.

--- Ah. Nous y voilà. Madame veut commander tous les raideurs libres pour mener sa petite guerre...

--- Non. Pas les commander. Simplement leur exposer mon plan. Et leur laisser le choix de sauver leur peuple. Mais pour ça, j'ai besoin du réseau de communication des Chefs.

--- Ah ! De mieux en mieux... Et tu voudrais pas mon siège tant que tu y es ?

J'y ai pensé Gary, j'y ai pensé... Regarde-moi bien en face. Dans les yeux. Et vois ma détermination. Fais pas le con. Ne m'oblige pas à faire ça.

--- Bien. Je crois qu'on en a assez entendu pour aujourd'hui. Laisse-nous maintenant.

Il a l'air de s'être calmé. Si seulement... En repartant je fixe le triple V. Avec mes yeux d'une femme suppliant pour la vie de son fils. Je mise tout sur lui.

***

Ça fait deux heures qu'ils discutent. Ou peut-être qu'ils me laissent juste poireauter pour le plaisir. Les gars sirotent leur bière d'un air maussade. Ils voient bien que leurs blagues à deux crédits ne servent à rien. Je ne pourrai pas sourire tant que je n'aurai pas convaincu tout le peuple libre de me suivre. À commencer par ces soi-disant Chefs de clans qui tirent les ficelles.  

Bip bip... Ça y est, les chefs ont délibéré. Je tremble avant d'ouvrir mon pad. Je ne suis pas sûre de vouloir voir leur réponse. Allez, un peu d'espoir...

Chère Capitaine, compte tenu de vos états de service, le conseil des Chefs a longuement délibéré sur vos propositions. Cependant, votre solution ne nous a pas semblé des plus judicieuses. Par ailleurs, vos récentes actions radicales et décidées unilatéralement n'ont pas permis de garantir votre dévouement au peuple des Hommes Libres et à leurs Chefs.
À compter de ce jour, nous vous déclarons inapte à la commande d'un vaisseau des Hommes Libres. Vous êtes priée de remettre les codes d'accès de votre croiseur ainsi que de tous les navires subtilisés dernièrement au Colonel Tran qui veillera à leur bonne utilisation.
      Le Conseil des Chefs, sur Taklo. 

Bande d'enfoirés ! Salauds. Non, une bande de crétins finis. Même pas capables de voir les choses en face...

--- Ça dit quoi Chef ?

--- Qu'ils n'en n'ont rien à foutre !

--- OK, désolé.

--- Moi aussi Micky. Mais ils vont pas s'en tirer comme ça. Allez les gars, on pose les verres. Décollage dans dix minutes.

Ça grogne un peu. Mais vu ma tête, ils vont pas chercher longtemps. Ils commencent à se lever. John et Ricco sont aussi énervés que moi. Même Silvio a perdu son sourire. Toute l'équipe sort du bar. Et on reprend la grande rue. Direction le port. Sans un mot. Tout le monde l'a mauvaise.

Tout à coup, une bagnole nous coupe la route. Trois mecs descendent, Gary au milieu.

--- Hé ! T'allais quand même pas partir sans dire au-revoir ?

--- J'vais m'gêner.

--- J'comprends que tu sois déçue, rapport à ton discours et la décision, mais c'est pas une raison pour tout prendre de travers.

--- Ah non ?

--- Merde Jane, soit raisonnable un peu. Qu'est-ce que tu comptes faire toute seule là-haut avec tes nouveaux jouets ?

--- Mes jouets ? Mes jouets sont peut-être bien la seule chose qui nous donne encore une chance.

--- Ouais, j'connais ton point de vue. Et je te l'accorde, t'as accumulé un beau butin avec tous ces vaisseaux. Mais qu'est-ce que tu peux faire avec des vaisseaux vides ? T'as quoi ? Une cinquantaine de mecs maxi ? Tu comptes faire comment pour envahir une planète ou le putain de Sanctuaire avec ça ?

Il n'a pas tout à fait tort. Mais on peut tuer des milliers de soldats en butant un seul vaisseau. Et il ne comprend pas...

--- À moins que... ce soit nous que tu vises ? C'est ça ? Tu veux nous faire peur et prendre ma place ?

--- J'y ai pensé.

--- Tu contrôles l'espace et c'est vrai que tu pourrais probablement liquider tous mes raideurs là-haut, mais franchement... c'est pas avec ça que tu vas me faire tomber ici, sur Taklo.

--- Tu sais Gary... Non, tu sais pas. Mais tu verras. Tu finiras par comprendre le jour où tu pourriras dans une cellule.

--- Putain Jane, tu m'laisses pas le choix... dit-il en faisant signe aux deux balaises qui l'encadrent.

Il n'en faut pas plus. Mes gars sortent leurs flingues. En trois secondes, tout le monde se tient en joue. On est plus nombreux. Mais faut faire gaffe. La moitié de la ville est armée. Les Hommes Libres sont libres de porter un flingue. Et libres de choisir leur camp. Entre leur Chef légitime qu'ils voient trimer à faire tourner la baraque depuis des années, ou celle qui s'est cassée et n'est jamais revenue en dix ans... Va falloir la jouer fine.

--- T'es en train de faire une belle connerie Jane. On n'est pas obligé d'en arriver là.

--- C'est toi qui dit ça ? Toi qui refuse de m'écouter ? Toi qui sort l'artillerie dès qu'on te dit non ?

--- Tu comprends pas... Tu peux pas faire ça... Ce que j'veux dire... Tu sais... Tu sais que je t'aime encore ?

C'est quoi ces conneries ? Il espère me faire fondre ? Avec une déclaration à deux balles sous les yeux de la moitié de la ville ?

--- J'suis tombée dans le panneau une fois. Pas deux.

--- Tu m'crois pas ?

Il perd pied...

--- Pourquoi tu crois que je suis au courant de tous tes déplacements ?

--- Tu me surveilles. Ça, je le sais. T'as peur de moi. Peur que je prenne la tête du Conseil et te fasse payer ta connerie.

--- Oui, je te surveille. Mais pas parce que j'ai peur... C'est sûr, ça me distrait, ton petit feuilleton avec des embuscades, la perte de tes amis etc...

L'enfoiré, il a pas intérêt à parler d'Harry.

--- Mais la vérité, c'est que j'ai besoin de toi. Je peux pas m'en passer. J'ai besoin de savoir où tu es, ce que tu fais, ce que tu penses...

--- C'est ça. Tu m'aimes passionnément, mais surtout en photo, ou quand je ferme ma gueule.

--- Non Jane. Je t'aime. C'est tout. Ça me rend dingue et je préférais en aimer une autre moins compliquée que toi, mais j'ai pas le choix. Je t'aime comme tu es, entière, pas qu'en photo ou vidéo... Et merde à la fin, pourquoi tu crois que j'aurais implanté un mémo-disque dans ton crâne si c'était pas pour t'avoir toujours près de moi ? Pour pouvoir sentir tes pensées, tes envies et tout le bazar à chaque instant ?

Qu'est ce que... Non. C'est pas possible. Il a pas fait ça... Comment ? Quand ? Je me sens prise de vertiges...

--- Ouais, je sais, c'est pas très classe, mais encore une fois, tu m'as pas laissé le choix. Le jour où tu m'as dit que tu préférais te casser d'ici, j'ai contacté les types qui refourguent le matos de la Fédé et je leur ai acheté un mémo-disque.  Tu te souviens de ce dernier verre qui s'est terminé en gueule de bois immonde le lendemain ? Je t'ai droguée et je t'ai fait opérer le soir même... J'suis désolé Jane, mais je pouvais pas faire autrement.

--- Tu t'fous d'ma gueule ? Va te faire foutre Gary ! On se barre !

--- Non.

--- Si. Et tu ne me reverras plus ! Ni ici, ni à travers ce putain de disque que j'vais m'faire retirer illico !

Je tourne les talons et commence à avancer. Pour me retrouver face au flingue de Micky.

--- Désolé Jane, mais non. Tu n'iras nulle part, affirme Gary dans mon dos.

J'en reviens pas. J'me suis fait avoir comme une bleue. Depuis le début cette crapouille de Micky roule pour Gary. Tout ça commence sérieusement à m'énerver.

Je fixe Micky droit dans les yeux pendant que Gary déblatère ses conneries.

--- Je suis vraiment désolé, je le suis. Mais j'te l'ai dit, je ne peux pas te laisser partir. Pas encore. Tu vas rester ici bien sagement, toi et tes copains et on va s'occuper de tout ça à ma façon.

Micky n'est pas un dur. Il cache bien son jeu. Mais c'est pas un dur. Je vais avancer sans me retourner. Il n'osera jamais me tirer dans le dos. Il n'osera pas...

--- Et dire que t'étais tellement contente que Micky commence à s'intégrer à l'équipe... Tu te disais même que tu finirais peut-être par le laisser te toucher... Tu dois être déçue. Mais vois-tu, Micky est sur le point de devenir le plus riche de mes fidèles serviteurs.

Il n'osera pas. Il suffit que je me tourne et il n'osera pas.

--- Tu vaux mieux que ça Micky. Je le sais.

Maintenant. J'y vais. Ne pas se retourner... Clic. C'est quoi ce clic ? Je me retourne. Micky a désactivé son arme. Ses yeux sont humides. Il marmonne :

--- J'peux pas, j'peux pas...

--- Tu peux pas ?! Putain de tir au flan de mes deux ! Tu crois que ce sera plus facile avec le bide troué ?!

--- Nooon !!

J'ai beau hurler, c'est déjà trop tard. Micky est allongé par terre. Le sang coule de son ventre. Je me penche sur lui. J'ai envie de pleurer. Les balles sifflent tout autour de moi. Je ne les entends même pas. Micky n'était qu'un gosse... Un gosse qui fait des conneries. Un gosse qui traîne avec des mauvais types. Mais un gosse...

Je me réveille quand je sens une main sur mon épaule. Je tourne la tête et vois John. Il est flou. Il a l'air de me parler. Mais je l'entends à peine.

--- Jane, faut qu'on y aille.

Tout est ralenti. Les images comme les sons. Comme dans du coton.

--- Jane !

Il se met à hurler. Et me secoue. Je regarde autour de moi. Gary et ses deux sbires sont morts. Les miens sont debout. Ils m'entourent. Lenny est touché.  Sa jambe gauche est en sang. Il aura plus de mal à grimper dans tous les conduits pour jouer au chimpanzé-mécano maintenant.

Je commence à reprendre mes esprits. Je ne peux pas me laisser aller. Ceux qui sont debout ont encore besoin de moi.

--- Lenny, tu peux marcher ?

--- Ouais, j'en ai vu d'autres, assure-t-il.

OK. C'est reparti. On se redresse et on reprend le contrôle. Comme ça. Vas-y ma cocotte. Tu peux le faire.

Une douzaine de badauds s'approchent. De chaque côté de la rue. Ils ont sorti tout un assortiment d'armes plus ou moins loufoques.
C'est pas le moment de flancher.

--- OK, on y va. En douceur, sans se presser. Et on ouvre l'oeil.

Mes jambes tremblent. Micky est mort. Gary est mort. Deux autres sont morts. Harry et les autres sont morts. Ça commence à faire beaucoup. Combien d'Hommes Libres dois-je tuer avant de pouvoir les sauver ? Les gars me diront que c'est pas de ma faute. Mais c'est faux.

J'entends les autres de derrière. Ils commencent à regarder la scène. Ils cherchent à comprendre qui est mort. Et à qui appartient le matos qu'ils sont sur le point de piquer.  

--- Hé Kevin ! C'est pas le chef du conseil celui-là ?

--- Ça m'étonnerait Zep, ce mec-là n'ose plus se promener dans la rue sans une armée de flingues autour de lui depuis belle lurette.

--- N'empêche, viens voir, sa tronche me dit quelque chose.

--- Putain ! T'as raison mec. Hé ! Vous savez qui vous venez de buter bande d'enfoirés ?

Un peu que je le sais. Mais ce cadavre-là ne va pas m'empêcher de dormir. Je marmonne :

--- On continue, en douceur. Ne vous retournez pas.

--- Hé ! La bande de guignols, j'vous cause !

--- On continue. Droit devant. Deux cents mètres max. On y est pr...

Je repère une autre douzaine de mecs qui sortent d'une ruelle. Une centaine de mètres devant nous. Ceux-là ne sont pas là par hasard. Et leurs flingues ont l'air plus sérieux. Des hommes de Gary. Merde. Ils nous couperont forcément la route. On n'y arrivera pas. Ricco les a vus aussi :

--- On fait quoi chef ?

J'en sais rien... Les autres sont pratiquement sur nous. On pourra pas s'échapper si facilement.

--- Oh ! Ça suffit ! On bouge plus ! Un pas de plus et je vous allume !

--- OK, OK... Kevin ? On bouge plus. On va juste se retourner pour pouvoir discuter, ça te va ?

Et en profiter pour te trouer la panse à toi et tes potes... Je respire un grand coup. Et j'entends une autre voix :

--- T'as raison ducon, on bouge plus. Mains en l'air même, tant qu'on y est.

Je me retourne et je vois la douzaine de guignols les mains en l'air. Chacun est braqué par au moins deux gars, arrivés derrière eux.

--- Salut Jerry.

--- Salut Jane. Tu vois, j't'avais bien dit que tu pouvais compter sur nous.

--- J'vois ça. Et puisque t'en parles... T'as repéré les autres devant ?

--- T'inquiète pas, ceux-là ne te feront rien non plus.

Je jette un oeil en arrière vers la ruelle. Effectivement, ceux-là sont tous à genoux, les mains sur la tête.

--- T'avais prévu ça depuis le début, pas vrai Jerry ?

--- À peu près... Mais j'avais pas vu venir le coup du gosse qui retourne sa veste derrière toi... Désolé.

Micky...

--- Écoute, ça fait un bail qu'on est un paquet à vouloir lui fermer son clapet à ton ex. Mais, comme le dit si bien Kevin, il le savait et se barricadait comme un rat. Quand je t'ai vue arriver, j'ai su que c'était notre seule chance de le faire sortir de son trou.

--- Un appât... c'est tout ce que j'suis pour toi alors ?

--- Non Jane. T'es bien plus que ça. Mais l'occasion était trop belle. Tout ce que je t'ai dit reste vrai. Sauf que maintenant, c'est du concret. On est prêt à te donner les clés de Taklo. À toi de les prendre et de nous guider.

Les clés de Taklo... Il veut que je remplace Gary. C'est bien ce que je m'apprêtais à faire d'une manière ou d'une autre. Mais maintenant, c'est réel. Et ça paraît moins simple.

--- OK, je vois. J'vais réfléchir.

Tout autour de nous, les gens commencent à s'attrouper. Mais ils ne sont plus menaçants. Ils veulent me voir. Ils veulent entendre ce qu'a à dire celle qui a tué leur chef. Voir si elle vaut mieux que lui. La plupart doivent avoir de quoi lui en vouloir. Ça devrait pas être bien dur de faire mieux. Mais il faut que je dise quelque chose.

--- Hommes Libres. Vous étiez gouvernés par un lâche. Un menteur. Un hypocrite. Un homme qui ne voyait que son propre intérêt immédiat. J'ai essayé de le prévenir. Je lui ai dit quoi faire. Pour que les Hommes Libres restent libres !

Je suis obligée de crier pour me faire entendre.

--- Il ne m'a pas écoutée. Il a voulu me faire taire. Et il vous a tous condamnés ! Nous n'avons plus d'autre choix aujourd'hui. Nous devons nous battre pour notre liberté !

La foule reprend en coeur :

--- Liberté ! Liberté !

--- Oui mes amis ! Suivez-moi ! Battez-vous à mes côtés ! Et vous resterez LIBRES !

La clameur devient assourdissante. Les tirs de pistolets et mitraillettes en tous genres n'arrangent rien. Au moins, ils tirent en l'air. J'ai l'impression qu'ils n'attendaient que ça. Je leur ai donné une mission, un but. Quelque chose qu'ils n'ont pas eu depuis si longtemps. Et ils m'adorent pour ça. Je le sens. Ils sont à moi comme mon équipe est à moi. Ils me suivront jusqu'à Corellia sans ciller. La voilà mon armée. Je l'ai. Enfin. Je vais pouvoir les sauver !  

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