Le ruisseau trace une arabesque délicate dans la plaine, paisible et claire, entre les touffes de jonc [Arundo donax] et les éclats d’achillées [Achillea millefolium]. Son lit est pavé de galets polis, aux nuances de crème, d’ardoise et de cuivre. Le courant y chante doucement, entre le gazouillis d’un filet d’eau vive et le frottement discret des pierres en mouvement.

La petite s’accroupit sur la rive, prenant soin de ne pas mouiller ses souliers. Elle étend une main, et d’un geste lent, plonge l’index dans le liquide.

Une onde grise, légère, remonte de son cœur primaire. Elle ne se loge ni dans le système logique, ni dans une base de données précise, mais ailleurs – dans cet entre-deux trouble, entre instinct et archive. Le grondement d’un orage d’été, le martèlement du grain sur un toit, les flaques dans une station abandonnée. Et l’hiver, figé sous le givre : l’autre rover, inerte.

Elle retire son doigt. Une goutte froide et brillante roule sur sa peau synthétique.

Elle observe le reflet mouvant que le courant lui renvoie. Les traces sur sa robe, la cendre séchée sur ses coudes, la crasse incrustée dans ses articulations. Elle sait que l’entretien régulier d’une enveloppe assure la longévité des systèmes. Et elle sait que cette eau est propre, douce et peu minéralisée.

Elle inspire, lentement. Puis, après un instant d’hésitation, elle recommence. Trempe ses mains. Les frotte l’une contre l’autre. Peu à peu, la saleté se délite, s’effiloche en volutes sombres. Elle nettoie ses genoux, ses poignets, tapote le tissu écarlate de sa robe.

Un merle [Turdus merula] s’ébroue sur la rive opposée. Le ciel est vaste et silencieux. Le ruisseau gazouille toujours ; il ne l’a pas engloutie. L’eau est restée fidèle à son lit, alors la peur recule. Elle n’est pas abolie, mais domptée.

La petite demeure, quelques instants, les mains plongées dans le courant.

C’est fragile. Mais ça tient.