Jour 6 [Nourrir]

Une minute de lecture

Le Soleil est à son zénith. L’air tiédit doucement. Elle s’est immobilisée à l’orée d’un bosquet, mains sur les genoux, pieds ancrés dans un sol jonché de feuilles sèches. Avertie par ses capteurs extéroceptifs, la petite attend.

Entre deux troncs, à une dizaine de mètres, un éclair fauve trouble soudain les herbes. Une forme souple et tendue fuse en un bond parfait. Un cri bref, étranglé. Puis, le silence. Elle retient son souffle, même si cet acte est inutile.

Au cœur du taillis, un goupil au pelage flamboyant [Vulpes vulpes] maintient sa proie sous sa patte brune, le museau enfoncé dans la fourrure. Le campagnol [Microtus arvalis] se tord de panique, les flancs palpitants. Puis le mouvement s’amenuise. Puis plus rien.

Elle ne détourne pas ses capteurs. Elle reste en retrait, fascinée. Les capsols de sa nuque se dilatent légèrement. Une couche subsidiaire lui signale un flux photonique optimal. Elle relève le front, incline les épaules. Le Soleil continue de verser son énergie : la recharge est constante. Pas de morsure. Pas de chasse. Pas de sang.

Le goupil, lui, n’a pas d’indicateur. Il ne suit aucun protocole. Il a faim et doit se nourrir, ou il meurt.

L’attaque a duré moins de deux secondes. La digestion prendra plus de temps. Un bruit humide. Un claquement de mâchoire : canines qui découpent, molaires qui broient. La salive lubrifie. Les enzymes amorcent la dégradation des tissus. L’amylase entame l'absorption des glucides.

Elle observe les poils souillés, la chair arrachée, l’urgence dans le regard de l’animal. Elle connaît les mécanismes. Elle comprend le cycle : l’énergie doit circuler. Les vivants s’entre-dévorent pour prolonger leur survie. C’est une logique fermée, mais cohérente.

Et pourtant, aujourd’hui, en voyant cet animal se délecter d’un corps tiède, elle se demande : faut-il priver pour vivre ?

La petite ne prend rien. Elle capte et transforme. Elle redistribue parfois, sous forme de chaleur ou de lumière. Mais elle ne conquiert rien.

Elle reste là, longtemps, baignée de photons.

Le goupil, repu, s’éloigne à pas feutrés.

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