Jour 7 [Observer]
Une portion de colline s’est effondrée, plusieurs centaines d’années plus tôt, lorsque la Terre, à bout de souffle, a chassé les humains. Une pluie torrentielle, une faiblesse du sol souillé, un simple glissement. Le flanc arraché dévoile une falaise de roche nue, zébrée de franges obliques, de nervures d’argile, d’entailles de schiste.
La petite descend prudemment, ses semelles dérapant sur la boue sèche. Elle s’arrête face à une paroi ocre, striée de lignes fines qu’elle suit du regard. Une accumulation de mémoires, couche après couche ; un empilement d’évènements, de bouleversements, à une échelle géologique. Des intervalles de temps immenses réduisant le règne de l’homos sapiens à un claquement de doigts.
À mi-hauteur, un détail attire ses capteurs : un motif torsadé, pris dans la roche comme un sceau délibéré. Elle s’accroupit, tend la main, caresse ses contours du bout des doigts. La texture est rugueuse, mais régulière. L’empreinte est complète. La petite interroge l’encyclopédie impériale qui lui répond : Ammonite [Ammonoidea]. Mollusque marin, céphalopode à coquille spiralée. Espèce éteinte à la fin du Crétacé, il y a soixante-six millions d’années.
Elle contemple le colimaçon. Chambre après chambre. Un schéma d’expansion, comme une architecture intérieure projetée vers l’extérieur. Elle imagine la créature vivante. Un animal sans os, sans langage, sans mémoire. Mais une forme parfaite, dont le fossile a traversé les âges.
Elle reste immobile. L’étoile solaire abreuve ses capsols. À haute voix, elle prononce : « soixante-six millions d’années. »
En contrebas de la petite pente, elle distingue d’autres motifs géométriques, gommés par les taillis et les bois. Il y a quelques centaines d’années, des hommes vivaient dans ce village.
« Une paille », souffle-t-elle. Une expression chérie de Keryan.
Elle se redresse doucement. Elle sait que, malgré ses sauvegardes et ses réplications, elle aussi s’effacera. Lisse ou corrodée. Dissoute et oubliée.

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