Jour 9 [Dormir]

Une minute de lecture

Elle s’est allongée sur la pierre calcaire, dans la fraîcheur de l’instant et l’ombrage fauve de la concavité. Tout est calme. Aucun oiseau, aucun insecte ne semble disposé à troubler la quiétude du lieu. Le moment paraît propice à ce que les humains nomment le repos nocturne.

La petite n’a pas besoin de dormir. Son système n’accumule ni acide lactique ni toxines cellulaires ; sa température est stable ; sa consommation d’énergie est optimisée en permanence. Elle ne connaît ni fatigue ni contrainte biologique.

Mais elle connaît le principe du sommeil. Il s’agit d’une fonction primordiale, au même titre que la respiration ou la nutrition. Keryan, Oleran, Ninno et Isaelle s’y abandonnaient chaque soir, jusqu’au matin. Chez l’être humain, cette tâche occupe parfois un tiers de la vie. Chez certains animaux, elle s’étire sur bien plus de la moitié.

Elle replie ses bras contre son torse, ramène ses jambes, abaisse ses paupières synthétiques, puis réduit à nouveau l’activité de ses cycles moteurs jusqu’à ne conserver que les charges passives de veille. Sa chevelure ondule lentement, formant une auréole blonde autour de sa frimousse sereine.

Elle ne perçoit plus le monde extérieur – et pourtant, quelque chose persiste. Un flux d’images s’amorce. Flou, dissonant, imprévu. D’abord, la zone d’inactivité de l’usine, entourée des rovers ; ses anciens compagnons. La lumière crue de sa première sortie à la surface. Le visage d’Isaelle, penché sur ses légumes, ses joues roses, son sourire d’où s’échappent des flocons de neige, dansant dans la nuit. Une spirale d’ammonite qui se déploie vers l’intérieur, tandis qu’un goupil dévore un plat de pâtes en sauce. Keryan, hilare, chevauche sa mule mécanique, pendant qu’elle-même parade sur le dos d’une libellule.

Elle se voit hors d’elle-même, comme observée depuis un autre point. C’est une sensation très étrange, inclassable, qu’elle ne le comprend pas, mais ne rejette pas. Elle laisse faire cet ordonnancement d’images qui se bousculent sans logique, sans aucune instruction. Un petit frisson circule dans sa mémoire tampon.

C’est inutilement beau.

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