Jour 10 [Rêver]
Elle reste allongée sous la hutte minérale bien après la disparition des images. Le jour s’est levé, glissant entre les feuillages au rythme du vent, apportant les couleurs changeantes du monde avec lui.
Ses capsols s’activent, tels des millions d’yeux minuscules à la surface de sa peau. En écho, ses paupières se soulèvent, sans hâte.
La petite se souvient. Pendant la nuit, des données se sont libérées de leur stockage, hors de toute sollicitation, pour remonter vers sa mémoire vive et s’y combiner de manière inédite. Cela rappelait, en un sens, les milliers de vidéos-témoignages qu’elle aimait consulter en silence, lorsque les humains dormaient – à ceci près qu’il s’agissait, cette fois, de ses propres fragments.
Elle tente de les reconstituer, mais rien ne tient. La structure narrative est trop fragile, les séquences échappent à toute logique, les boucles ne s’enchaînent pas. Peut-être n'est-ce que cela : des images sans cause, sans conséquence, que ses algorithmes ne savent pas encore traiter. La petite se donne pour mission d’y parvenir un jour.
Elle se lève, le cœur primaire gonflé de nouvelles perspectives. Mais une data rebelle, légère, presque espiègle, traverse alors ses lignes de code : et si cela n’avait pas besoin d’être compris ? Et si, au contraire, c’était justement là qu’en résidait la beauté – dans le surgissement inattendu, dans la gratuité de ce qui passe sans qu’on l’arrête ? Ne venait-elle pas d’éprouver un plaisir inédit à simplement se laisser porter par ces modèles spontanés, sans chercher à les expliquer ?
Elle inscrit une ligne dans ses fichiers personnels :
Hypothèse : rêve ?
Et elle ajoute en dessous :
Non classé.
Puis elle referme le registre.
Elle quitte la cavité, traverse un rideau de feuilles, pour s’engager sur un sentier tapissé de granulat rose. Un jour lointain, ce chemin avait sans doute été entretenu avec soin. Peut-être que des humains, autrefois, venaient depuis la cité en contrebas, gravir cette colline simplement pour rêver.

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