Barre de fer en main, qu’elle manipule d’un geste ample et dansant, la petite parcourt les boulevards et les rues, attentive à son environnement. Elle a volontairement réduit au minimum l’activité de ses capteurs internes ‒ détecteurs, analyseurs, radars, spectromètres ‒, pour ne garder en alerte que l’équivalent approximatif des sens humains. Une limitation ludique, adoptée pour se mettre à leur hauteur, tenter d’envisager ce qu’eux voyaient et entendaient, simuler leur manière d’appréhender le monde afin, peut-être, de comprendre leur sensibilité à ce qui les entourait.

Une roue de vélo tordue et rouillée émerge d’une touffe criblée de petites fleurs blanches. Elle la désigne de la pointe de son outil et s’exclame : « tourne-rayon ! »

Au croisement de deux avenues spacieuses et effondrées, la statue d’un soldat à cheval, sabre au clair, est devenue le socle d’un gigantesque « blanc-tronc » aux inflorescences dorées. Dans son ombre s’épanouissent des « soleillons » aux teintes éclatantes. De petits « longroins » y prolifèrent, accompagnés d’une large variété de « grambecs » dont les cris s’accordent en d’improbables harmonies.

Chaque fois qu’elle nomme ce qu’elle voit, elle frappe le bitume avec sa barre. Le son ricoche contre les façades végétalisées, se répercute d’un mur à l’autre, résonne comme un coup de tonnerre. Cela fait grimper de frêles « roussequeues » dans les ramures, et lever la tête d’un « cornebois » en train de brouter au bout de l’avenue. Le fracas déclenche l’envol précipité de groupes de « rémijais » et de « boulazurs », et provoque la fuite paniquée – mais silencieuse –d’une famille entière de « rominous ».

Elle hisse à nouveau son instrument, prête à frapper une fois de plus en nommant un beau « claquebec » au plumage irisé, mais elle suspend son geste.

Quelque chose, ni animal ni végétal, vient de se manifester.

« Plus un bruit », murmure-t-elle, puis lance l’ensemble de ses capteurs vers l’avant. Elle s'engage prudemment dans une traverse envahie de houblon.