Chapitre 1

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Épuisée par cette journée harassante, Rose retira son tablier et se dirigea vers l'arrière de la boutique afin d'aller se changer. En l'absence de vestiaires dignes de ce nom, elle avait aménagé un petit coin à elle. Un paravent, un portemanteau et même une petite boîte à rangement pour chaussures avaient trouvé leur place dans un angle de la pièce. Malgré un confort limité, elle appréciait travailler dans cette épicerie. L'ambiance y était agréable et le patron la laissait toujours emporter la nourriture dont la date de péremption avait expiré. Dégoûtant pour certains, mais pour sa part, cela lui permettait de faire des économies.

Elle se changea en vitesse, enfilant un simple pull en laine et un pantalon épais. Elle dut faire vite car Monsieur Milaire, son patron, l'avait convoquée pour une raison qu'elle ignorait encore. Elle attrapa le reste de ses affaires et se rendit jusqu'à son bureau. Là, la jeune femme toqua timidement à la porte.

« Entre, Rose ! » lui lanca-t-il.

Rose ouvrit la porte et le découvrit en train de regarder les vidéos surveillances, milkshake en main. Le bureau n'était pas plus grand qu'un placard à balais mais Monsieur Milaire avait toujours mis un point d'honneur à rendre l'endroit chaleureux. Les murs étaient parsemés de photos de sa femme, de ses enfants et de son chien, Pirouette. Quelques temps auparavant, ses enfants étaient même venu installer un sapin de noël et des guirlandes lumineuses pour égayer l'endroit. Guirlandes et sapin qui n'avaient pas bougé depuis Décembre, nous étions en Février. Elle s'installa sur le vieux siège en cuir qui se mit à grincer sous son poids et déposa son sac à dos sur ses genoux.

« Vous vouliez me voir, Monsieur ? »

« Oui. Comment s'est passé ta journée ? » lui demanda-t-il en se tournant vers elle.

« Bien, merci ! »

Il déposa son milkshake et se replaça dans le dossier de son siège, les doigts entremêlés entre eux comme pour annoncer quelque chose d'important.

« Les affaires vont bien en ce moment. Ma femme a retrouvé du travail et nous ne sommes plus obligés de nous serrer la ceinture. Je pense pouvoir ouvrir l'épicerie plus longtemps. »

Ne comprenant pas en quoi cela la concernait directement, elle le laissa continuer sans intervenir.

« Je sais que ce n'est pas facile pour toi en ce moment... » reprit-il « Alors j'ai pensé que, peut-être, tu accepterais d'assurer les services de nuit ? La différence n'est pas énorme mais tu toucheras un peu plus d'argent... Mon fils travaillera la journée. Si cela te conviens, bien sûr. »

Elle resta un moment incrédule, surprise par cette proposition. Il est vrai que Monsieur Milaire avait connu une période difficile... Sa femme était tombée en dépression quelques mois plus tôt. Elle avait perdu son travail, ses amies et sa propre famille l'avait abandonnée. Parfois, la situation était tellement critique qu'il laissait Rose gérer la boutique pour s'occuper de sa femme... Son fils, tout aussi affecté par les événements, l'avait remerciée à maintes reprises pour son aide. Peut-être était-ce la raison pour laquelle le poste de nuit lui était proposé. Toutefois, elle ne put s'empêcher de demander :

« Mais...Et votre fils ? »
« Il préfère travailler la journée. Et puis il finirait par s'endormir sur le comptoir, alors... »

Ils rirent tous les deux devant cette vérité. Il est vrai que Jérémy avait une fâcheuse tendance à s'endormir en plein milieu de l'après-midi, ce qui avait le don d'énerver son père. Elle prit une minute pour réfléchir à cette nouvelle éventualité. Travailler de nuit ne l'enchantait pas forcément mais elle avait absolument besoin de cet argent. Après une courte réflexion, elle accepta la proposition.

« D'accord pour moi » dit-elle avec un grand sourire.

« Parfait ! Voilà ton contrat et tes nouveaux horaires. » répondit-il. « Jérémy ouvrira la boutique, tu commences à partir de 18 heures. »

« Merci beaucoup Monsieur Milaire ! »

Il lui sourit chaleureusement et elle se redressa pour mettre son manteau. Elle quitta ensuite  la pièce après un petit signe de main et se retrouva dehors, piquée par la froideur de l'hiver. Le vent glacial vint s'immiscer dans le creux de son cou puis dans ses cheveux bouclés, mais pour une fois, elle s'en moquait ! Elle marchait joyeusement le long du trottoir lorsque quelqu'un la percuta de plein fouet. Elle manqua de tomber mais, par chance, ses deux pieds restèrent ancrés au sol. Rose leva la tête pour voir celui qui lui était rentré dedans et découvrit un jeune homme de grande taille avec de longs cheveux ondulés qui dépassaient de sa capuche. L'obscurité l'empêchait de discerner ses traits avec précision mais elle eu l'impression que ses yeux la transperçaient. Il n'avait pas l'air très content.

« Désolé » marmonna-t-il simplement avant de se décaler pour partir.

Bon sang, ce que les gens peuvent être désagréables de nos jours... pensa-t-elle. Elle tourna brièvement la tête pour le regarder s'en aller, puis se dirigea vers l'arrêt de bus pour rentrer chez elle. Et dire qu'à partir de lendemain, elle allait devoir prendre les bus de nuits. Quelle poisse.

Après trois quart d'heure de transports, elle arriva enfin chez elle. Rose vivait dans un petit studio qu'elle louait à Violette, sa propriétaire. Suite au départ de ses enfants, la retraitée avait entamé des rénovations pour convertir une partie de sa maison en logement individuel qu'elle louait à des étudiants de passage. Et bien que Rose n'en soit pas une, elle avait accepté de lui louer son studio à un prix plus que correct. Cette dernière monta les marches qui menaient jusqu'à chez elle et ouvrit la porte. Il faisait tellement bon à l'intérieur qu'elle s'empressa de tout verrouiller derrière elle.

La télévision allumée pour faire office de bruit de fond, elle attrapa ce qui traînait dans le frigo pour grignoter. Soudain, sa mère vint occuper ses pensées. Rose se demandait si elle est fière d'elle, si elle l'observait de là où elle était. Sa mort l'avait terriblement affectée, à tel point qu'elle en avait abandonné sa licence d'Histoire de l'Art et d'Archéologie. Son rêve de devenir égyptologue s'était éteint en même temps qu'elle. Elle s'était retrouvée sans famille, seule, désorientée, et il lui avait fallu des mois pour sortir de ce gouffre. Monsieur Milaire lui avait offert une chance de s'en sortir et elle ne le remercierait jamais assez pour ça.

Elle s'allongea sur le canapé-lit et repensa à ce type qui l'avait bousculée. Bientôt, ses pensées vagabondèrent et elle finit par s'endormir avec la télévision allumée et les restes de nourriture sur la table.

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