Chapitre 5

7 minutes de lecture

- 3 semaines plus tard -

« Bonne soirée Saad, à demain ! »

Rose lui fit un petit signe de la main avant de retourner à ses tâches. Ses horaires de nuit avaient débuté depuis bientôt 1 mois et, entre-temps, elle était parvenue à sympathiser avec le fleuriste qui venait faire ses courses tous les soirs. Son comportement énigmatique et changeant avait quasiment disparu et Rose avait découvert un jeune homme timide, discret et sensible. Saad n'avait pas beaucoup d'amis, voire pas du tout. Aussi, Rose avait fait tout son possible pour l'aider à s'ouvrir un peu plus.

Ils n'étaient pas particulièrement proches et ne se connaissaient pas vraiment, mais ils prenaient plaisir à discuter. Une fois, Rose, qui était exaspérée par son alimentation digne d'un adolescent de 17 ans, lui avait apporté un plat qu'elle avait cuisiné elle-même. Cette attention, pourtant banale, avait touché Saad au plus profond de son âme. Ce jour-là, il lui avait révélé que jamais personne n'avait été si gentil avec lui.

L'heure de la fermeture approchant, Rose clôtura la caisse avant de fermer boutique. Comme à son habitude, elle prit les transports et rejoignit son domicile pour y passer le reste de la soirée.

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Le lendemain, Rose se rendit au travail malgré son jour de repos. En effet, aujourd'hui était un grand jour. Monsieur Milaire fêtait le rétablissement officiel de sa femme et son nouveau poste en tant que responsable qu'elle venait d'acquérir. Rose était bien sûr invitée, mais elle avait décliné l'invitation, estimant que cet événement devait se fêter en famille uniquement. Toutefois, elle avait promis à Jérémy de venir le voir pour valider sa tenue.

Lorsqu'elle passa devant le magasin de fleurs, elle fit un petit coucou à Saad qui semblait en pleine conversation avec une cliente. Ses joues rosirent à la vue de Rose et il baissa les yeux pour tenter de cacher sa gêne. Adorable ! pensa-t-elle.

Une fois dans l'épicerie, elle salua son collègue qui l'attendait de pied ferme.

« AH, ENFIN ! » râla-t-il

« Hé, calme-toi ! Je suis en repos, je te signale ! »

« Ça fait des heures que je t'attends. Bon, ne bouge pas, je reviens. »

Jérémy s'éclipsa dans l'arrière-boutique et ressortit vêtu d'un élégant costard cravate bleu nuit. Cet air sérieux contrastait énormément avec son visage espiègle, à tel point que Rose en resta bouche-bée. Devant son absence de réaction, il s'approcha d'elle pour la confronter directement.

« Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Ça ne me va pas ? »

Elle déglutit tout en secouant légèrement la tête pour retrouver ses esprits.

« Si si, tu es très chic. Ta mère sera fière de toi. »

Il esquissa un sourire à sa réponse puis, sans prévenir, la saisit par le poignet pour la serrer dans ses bras. Stupéfiée par ce rapprochement soudain, Rose écarquilla les yeux et se figea. Les bras tendus dans le vide, elle ne savait pas comment réagir et c'est un petit rire nerveux qui vint s'échapper de ses lèvres en guise de réponse.

« Merci. Merci pour tout ce que tu as fait pour nous, Rose. » lança-t-il.

Touchée, elle lui tapota gentiment le dos puis s'extirpa lentement de son emprise pour lui ébouriffer les cheveux.

« Ne dis pas de bêtises, je n'ai pas fait grand-chose. En tout cas, ça ne te ressemble vraiment pas cette soudaine dose de gentillesse... Est-ce que tu es malade ? »

Il ouvrit la bouche pour répondre mais un "BAM !" sonore les fit sursauter tous les deux. Rose se retourna et reconnut immédiatement Saad. Il avait l'air hors-de-lui et le regard noir qu'il lui lançait le lui confirma. Il tenait une bouteille d'eau entre ses doigts et la serrait tellement fort qu'elle eut l'impression que le bouchon allait exploser. Jérémy, qui était resté silencieux jusque-là, prit la parole.

« Un problème, mon vieux ? » lui demanda-t-il en arquant un sourcil.

« J'aimerais acheter une bouteille d'eau. »

Son ton glacial fit frissonner Rose. Elle ne l'avait jamais vu si agressif et avait l'impression qu'en cet instant, il pouvait étriper n'importe qui. La façon dont il la regardait la terrorisait. Qu'avait-elle pu faire pour le mettre dans cet état ?

« Ok ok, pas de soucis. » répondit Jérémy qui ne semblait pas inquiet le moins du monde.

Il encaissa Saad et celui-ci partit à toutes jambes sans un regard pour Rose. Pour une raison qu'elle ignorait, elle ressentit soudain le besoin irrépressible de le suivre. Il fallait qu'elle le rattrape, qu'elle comprenne pourquoi il agissait ainsi. Elle se lança à sa poursuite, ignorant les appels de Jérémy.

Elle arriva rapidement à son niveau et le devança pour se placer devant lui et l'obliger à s'arrêter. Il se décala sur le côté pour l'éviter mais elle l'en empêcha en se déplaçant en même temps. Piégé, il baissa les yeux et la toisa de toute sa hauteur, poings et mâchoire serrés. Le dédain qu'elle lisait dans son regard la laissa un instant sans voix mais elle parvint à prendre son courage à deux mains pour lui demander :

« Je... J'ai fait quelque chose de mal ? »

« Non. »

« Qu'est-ce qu'il y a alors ? Je vois bien que ça ne va pas... »

Il détourna le regard et reprit d'une voix plus calme.

« J'aimerais aller voir mes parents au cimetière mais ça fait très longtemps que je n'y suis pas allé... Vous voudriez bien m'y accompagner ? »

Surprise par cette demande plus qu'inattendue, Rose cligna plusieurs fois des yeux, comme pour s'assurer qu'elle n'était pas en train de rêver. Était-il en colère pour ça ? Cela n'avait aucun sens...

« Euh, oui, bien sûr. Avec plaisir. »

« Super. Dans ce cas, rendez-vous au cimetière de l'Est à 19 heures. »

Elle hocha la tête et il partit sans se retourner. La dernière fois qu'il s'était montré aussi hostile remontait à leurs premiers échanges. Au fond d'elle, Rose était convaincue qu'elle avait fait quelque chose de mal. Elle espérait que cette sortie au cimetière apaiserait un peu sa colère.

Elle refit un saut à la boutique pour dire au revoir à Jérémy. Il l'inonda de questions mais Rose se contenta de dire que Saad était un bon client et que le perdre serait mauvais pour leurs affaires. Elle rentra chez elle et passa le reste de son après-midi à se demander ce qu'elle avait bien pu faire.

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Son téléphone afficha 18 h 50 lorsqu'elle arriva à l'entrée du cimetière. Saad l'y attendait déjà, abordant un air qu'elle ne saurait déchiffrer. Elle s'approcha de lui et le petit sourire qu'il lui adressa la réconforta. Il portait un long manteau noir dont la capuche était recouverte d'une épaisse fourrure blanche. Le col roulé qu'il portait en dessous était assorti à la blancheur de la fourrure et son jean noir contrastait avec celui-ci. Rose ne put s'empêcher de rougir. Il était à tomber par terre.

« Merci d'être venue. »

« De rien. C'est normal ! »

Il ouvrit le portail dans un grincement sonore et ils pénétrèrent tous les deux dans le cimetière. Cela aurait pu l'effrayer, mais non. Rose considérait les cimetières comme un lieu paisible et rassurant. Elle aimait s'y retrouver et parler avec les défunts qu'elle considérait plus sympathiques que les vivants.

Ils marchèrent pendant quelques minutes avant de s'arrêter devant deux tombes. Là, Rose prit le temps de lire les inscriptions. Asija et Rakesh Al Khan. Décédés tous les deux la même année. Comme s'il avait deviné ses pensées, Saad expliqua :

« Ils sont morts dans un accident de voiture. J'étais chez ma tante quand c'est arrivé. »

Compatissante, Rose vint poser une main sur son épaule pour la caresser légèrement. Il baissa les yeux vers elle et la scruta pendant de longues secondes.

« Vous êtes bizarre, vous savez... » lâcha-t-il soudainement.

« Moi ? »

« Oui. »

Ne sachant pas comment prendre cette réflexion, Rose ne dit rien. Ils restèrent devant les tombes durant un petit moment, sans s'échanger un mot. Puis, après quelques minutes, Saad recula et fit un petit mouvement de tête vers la sortie.

« Venez, je vous raccompagne chez vous. »

« Oh, je peux rentrer en bus, c'est bon. »

« J'insiste. Vous vous êtes déplacée pour moi et je n'aime pas vous savoir seule dans les rues la nuit. »

Elle baissa les yeux et hocha la tête. Après tout, elle irait plus vite qu'en transports. Ils sortirent du cimetière et montèrent tous les deux dans la voiture. Saad prit la route et Rose fut surprise par sa conduite agréable. Il n'avait rien à voir avec Jérémy qui conduisait comme un fou dangereux.

15 minutes plus tard, ils arrivèrent devant chez elle. En bon gentleman qu'il était, Saad lui ouvrit la porte et la raccompagna jusqu'à l'entrée de son studio. Elle lui offrit son plus beau sourire et le remercia de l'avoir conduite jusque ici. Elle pivota pour insérer la clé dans la serrure et se stoppa net. Ses sourcils se froncèrent et elle se retourna pour interroger Saad du regard.

« Attendez... Comment avez-vous su où j'habitais ? »

Il la regarda droit dans les yeux et, sans crier gare, lui bondit dessus pour plaquer sa main contre sa bouche. Rose poussa un cri étouffé et commença à se débattre pour tenter de lui échapper. Il saisit son poignet puis l'autre sans difficulté et la plaqua dos à lui pour l'immobiliser. Les larmes commencèrent à brouiller la vue de Rose qui essayait désespérément d'appeler à l'aide. Elle tira de toutes ses forces sur ses poignets pour se défaire de son emprise mais rien n'y faisait. Il était bien trop fort pour elle.

Sa fougue commençait à agacer Saad qui raffermit sa prise en grognant.

« Ferme ta gueule, salope. Encore un bruit et je t'éventre sur place. »

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