II

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Bien loin de Luzina, sur un chemin de pierres, Jamal, fier vêtu d’une houppelande anthracite aux bordures et aux boutons dorés, aiguisait son épée, dans le plus grand silence. Face à lui, la personne qui avait sauvé Rakièl retira sa capuche. Lorsque celle-ci retomba sur son dos, elle laissa apparaître le visage d’une femme à la chevelure dense et rouge sang. Cette femme observa Jamal de ses iris d’argent. À côté d’elle, Rakièl regardait aussi cet homme aux longs cheveux gris, d’un air interrogateur. Jamal se releva de son rocher et le fixa de ses yeux corail :

— Cela fait longtemps, n’est-ce pas ?

Rakièl ne comprenait pas, et avant qu’il ne puisse lui répondre, il prononça :

— Je vois, tu n’en as pas le souvenir. Dommage ! Eh bien, je vais te laisser chercher. La rouquine fut prise d’un rire soudain :

— Toujours fidèle au gros con que tu es, lança-t-elle.

Jamal grinça des dents.

— Raliha… mon amour ! Tu as de la chance que je t’aime.

— Oh, mon cœur… depuis quand tu aimes les autres ?

D’un mouvement du bras, elle poussa Rakièl et se protégea d’une attaque-surprise. Jamal croisait le fer avec sa femme.

— Toujours aussi rapide, très chère, répliqua-t-il en se noyant dans son regard. — Disons que je te connais mieux que quiconque.

Le combat continua sous les yeux béats de Rakièl, fesses contre terre. Raliha effectua une roue arrière laissant apparaître ses longues cuisses. Voyant cela, Rakièl se mit à rougir. Jamal tourna aussitôt la tête dans sa direction :

— Eh, toi, te rince pas trop, sinon…

Un autre tintement retentit alors :

— Sinon quoi ? annonça-t-elle, dagues en mains.

— Allumeuse et... qui plus est opportuniste !

— Et toi, tu n’es qu’un traître !

Et sortirent de son dos des ailes d’argent qu’il déploya et il s’envola à quelques centimètres du sol et rengaina son arme dans son fourreau.

— Et c’est justement pour cela que tu m’aimes. Avoue-le, Raliha !

Elle projeta une salve de poignards contre son bien-aimé qui se téléporta si près d’elle qu’elle en devint aussi rouge que sa chevelure. Et tous deux s’embrassèrent sous le regard de Rakièl, visiblement tombé sur un duo d’enflammés.

Puis ilcoupa son baiser langoureux, s’éloigna de sa belle et tourna son visage blafard vers Rakièl : — Alors, toujours pas de souvenirs ? Plutôt, étrange en fait, pensa-t-il tout haut. Rakièl se releva et tapa sur son pantalon la poussière blanche qui s’y était déposée.

— Il me semble vous avoir vu, mais je n’arrive pas à poser un souvenir dessus. Sinon, je crois bien que je m’en serais rappelé, au regard de votre tempérament.

— Fantastique, Ramirez ! déclara-t-il haut et fort suivi d’un rire jaune.

Il s’approcha de Rakièl :

— Face à toi, se tient Jamal Diaz, premier du nom ! Je crois bien que notre père a dû t’effacer la mémoire. L’infâme qu’il est n’a jamais apprécié la rébellion. Et pas de « vous » entre nous, veux tu ?

Rakièl contracta sa mâchoire et approuva son propos.

— Père m’a dit que tu étais mort et que tu étais blond aux yeux bleus.

Jamal mit son index sur la bouche, sembla réfléchir un instant et se retourna vers sa femme : — Raliha, approche, je te prie.

Elle s’approcha et prit la main de son homme :

— Voici ma Flamme, Raliha. Elle est tout pour moi. Pour elle, je serais prêt à détruire ce monde. Prends exemple sur moi, petit frère. Un jour viendra où la Flamme que tu adoreras deviendra ton ultime raison de vivre. Sache que nous, demi-immortels, avons tous un destin particulier. Enfin, tu le comprendras bien assez tôt. Me concernant, il se trouve à ma droite.

Jamal resserra sa main et de l’autre, il l’invita :

— Viens avec nous, tu as un destin hors du commun à vivre !

Cette fois-ci, Rakièl avança sans hésiter puis la magie de Raliha les enveloppa.

***

Pendant ce temps, dans le bureau du Préfet de Luzina, on pouvait entendre le Prefet crier de derrière la porte de son bureau.

— Comment ça, il a disparu ?!

Luzi, de peur, baissa les yeux le temps qu’il se calme. Car, il savait mieux que quiconque de quoi il était capable et il y avait de quoi avoir peur. Par le passé, Ramirez Diaz avait fait exécuter nombre d’immortels qui avaient voulu lui ternir tête. Et en ce moment, Luzi transpirait.

— J’avais mis toute ma confiance en toi, alors trouve-le-moi, ou ça risque de chauffer ! Luzi le regarda et annonça :

— Je le retrouverai !

Ramirez se dirigea vers son bureau et s’assit. Il prit la plume de son encrier et se mit à écrire sur une feuille. Luzi, attentif, attendait. Et lorsqu’il eut fini de rédiger, il observa son bras droit :

— Qu’est-ce que tu fais encore là ?!

Luzi tourna les talons et sortit expressément du bureau, avec à l’esprit un objectif : trouver Rakièl, et s’il fallait tuer, Luzi tuerait. Pour cela, il se dirigea vers le quartier des mages d’élite pour qu’ils lui prêtent main-forte.

***

La chaleur matinale réveilla Anaëlle, tête toujours calée contre l’épaule du Maître qui ronflait comme jamais. Elle se reprit et se leva en l’observant. Puis elle vit par terre le journal. Anaëlle le ramassa et quand elle l’ouvrit, elle s’aperçut que c’était celui de Rakièl. Gênée à l’idée de corrompre son intimité, elle le referma. Ce n’était pourtant pas l’envie qui lui manquait. Cependant, Anaëlle l’aimait dans le respect et ne voulait en aucun cas troubler l’amour qu’elle lui portait. Elle le reposa aux pieds de Maître Ross, lui jeta un regard désolé et partit.

Anaëlle se retrouva chez elle. Mais à son grand dam, il n’y avait personne, il fallait qu’elle parle à quelqu’un de haut placé pour lui soutirer des informations. Quand Anaëlle se mit soudain à penser à Luzi, mais elle y renonça aussitôt. Elle monta à l’étage, se dirigea dans sa chambre où elle fit sa toilette et changea de tenue pour une autre plus affriolante. Elle n’avait pas le choix, elle devait user de sa meilleure arme pour avoir des informations sur Rakièl. Elle se rappela alors que son père aimait les belles femmes. Et puis c’était son père après tout, il devait être l’une des seules personnes à savoir où il pouvait se trouver. Anaëlle en était convaincue. De toute manière, elle avait bien entendu de la part de l’émissaire « ordre préfectoral ».

Sa robe de couleur carmin qu’elle avait choisie lui seyait à merveille et quand elle glissa les mains dans ses cheveux acajou, ils se mirent à onduler. Anaëlle était devenue tout autre, une femme fatale qui allait faire le nécessaire pour avoir ce qu’elle vouvlait. Lorsqu’elle ferma la porte de la maison familiale, les nombreux passants qui marchaient dans la rue la remarquèrent. Ces nombreux regards se posaient sur elle, avec comme lueurs : désir et fantasme. Elle ferma son esprit pour ne pas avoir à écouter les insanités des hommes qu’elle croiserait.

Elle ne possédait qu’une forme de télépathie due au fait que ses parents n’étaient issusque d’une lignée indirecte d’immortels, contrairement à Rakièl ou ses frères. Frères qu’elle n’avait jamais vus, mais en connaissait l’existence. Après quelques minutes à marcher dans le centre de Luzina, Anaëlle se retrouva sur une grande place où siégeait l’immense bâtiment préfectoral, dont deux soldats armés jusqu’aux dents, tous deux de chaque côté de son entrée, montaient la garde. Elle s’avança en leur faisant un sourire charmeur.

— Halte ! ordonna l’un d’entre eux.

Les yeux saphir d’Anaëlle luisirent et mains derrière le dos, elle s’inclina très légèrement en avant, afin que le soldat puisse entrevoir la finesse de son décollé. Ce qui ne tarda pas à arriver et le soldat déglutit. Cette fois-ci, il demanda plus gentiment :

— Mademoiselle, comprenez que vous ne pouvez passer, si ce n’est pas important… Elle plongea son regard plus intensément dans le sien :

— Je serais triste d’apprendre que Ramirez Diaz ait pu refuser une personne de mon genre à cause de l’un de ses gardes.

Anaëlle avait touché un point sensible. Il regarda son coéquipier qui acquiesça à sa requête :

— Mille excuses mademoiselle, je vais vous accompagner, voulez-vous ? proposa le soldat.

La porte s’ouvrit et accompagnée du soldat, Anaëlle était déterminée. Quand elle pénétra à l’intérieur, ses pensées se dirigèrent vers celui qu’elle aimait et ce depuis sa tendre enfance.

Lorsqu’elle arriva devant la porte du bureau, elle entendit crier le Préfet. Le soldat lui demanda de patienter un instant avant de pouvoir entrer, elle patienta donc.

Quelques minutes passèrent et la porte s’ouvrit. Quand elle vit Luzi partir les yeux injectés de haine, elle fut prise d’un haut-le-cœur. Anaëlle avait lu dans son esprit en ce moment trop ouvert :« Retrouver Rakièl à n’importe quel prix », et avant que le soldat ne frappe à la porte, elle lui saisit le bras :

— Je crois que j’ai vais avoir un malaise… S’il vous plaît, raccompagnez-moi, proposa Anaëlle le regard attristé.

Le soldat ne savait que faire.

— Soyez clément... s’il vous plaît.

L’homme finit par accepter et la raccompagna. Elle avait fait d’une pierre deux coups, bien que cela avait été fort risqué. Le Préfet avait la réputation de violer ses prétendantes et ce détail, le soldat en avait pleine conscience et il ne fit part à personne de sa venue. Anaëlle repartit vers la Forge, une touche d’espoir l’avait caressée grâce à la haine croissante de Luzi.

***

Pendant ce temps, loin de Luzina, Rakièl, Jamal et Raliha apparurent devant l’entrée d’un gouffre au fond obscur, d’où soufflait un vent glacial, qui avait refroidit le corps de nos trois héros. Jamal observa l’entrée et avança, suivi de sa femme, et l’instant qui suivit, ce fut au tour de Rakièl. Ce dernier avança, mais d’un pas plus hésitant cette fois-ci.

— N’aie crainte, petit Frère, ici c’est chez nous. Et tu y seras aussi comme chez toi ! Cette parole le rassura et il rattrapa Raliha :

— Il a peur, c’est trop mignon, lança-t-elle.

Jamal rit en son for intérieur. Car en ce moment, il comprenait ce ressentiment qui était en train d’envahir son frère comme personne. Puis tous furent comme absorbés par le noir omniprésent et humide de cet antre. Lorsqu’ils réapparurent de l’autre côté, Rakièl fut sidéré par la beauté des lieux. Un paradis perdu dans les enfers s’étendait à perte de vue. Même des volatiles planaient dans un ciel azur d’apparence naturel.

— Bienvenue à Idrézia, Rakièl ! Ici, tu pourras parfaire ton entraînement. Parce qu’à présent la Forge est devenue bien trop risquée pour toi. Mais nous aurons le temps d’en reparler, qu’en penses-tu ?

Rakièl n’avait presque pas entendu son propos, il était tellement absorbé par l’immense cascade au fond de cette vallée déversant sa toute-puissance hydraulique. Elle séparait cette plaine par le milieu et se déversait sur une rive aux couleurs des lagons. Sur les côtés, deux falaises d’une centaine de mètres de haut chacune abritaient des habitations troglodytes où se posaient, par intermittence, des volatile.

— Enfin chez soi ! affirma Raliha d’un air enjoué.

— Allez, on y va ! Nous avons du monde à te présenter.

Tous trois descendirent sur un chemin pentu fait d’innombrables marches afin d’aller vers la vallée où se situait un fort à l’architecture médiévale au milieu de ce fleuve.

***

De nouveau à la Forge, Anaëlle retrouva Maître Ross qui terminait le travail qu’avait commencé son apprenti. Une commande pour un district voisin, une petite hache à double tranchant et un bouclier rond, un équipement a priori fait pour le gabarit d’une femme. Le Maître l’aperçut pendant qu’il terminait les finitions de la hache à la meuleuse. Il s’interrompit pour l’écouter :

— Maître… hésita-t-elle, il s’est enfui. Enfin, Rakièl a disparu.

Elle mit sa main devant sa bouche et voulut éclater en sanglots. Voyant cela, le Maitre se leva, s’approcha d’elle et posa les mains sur ses fines épaules :

— T’en fais pas pour lui, je crois bien qu’en ce moment, il est plus en sécurité là où est qu’auprès de son satané Père. Allez, laisse-moi terminer mon travail et ce soir, je prépare la recette préférée que me faisait autrefois Daria. Tu m’en diras des nouvelles.

Anaëlle releva son visage, rassurée par la parole du Maître.

— Merci...

— Allons, ne me remercie pas ! exclama-t-il en reprenant sa place.

Ross remarqua qu’il lui manquait de l’eau.

— Tiens, Anaëlle, passe-moi le seau d’eau, je te prie. Et s’il en manque, tu pourrais m’en chercher dehors. Mais avant, change-toi ! Tu vas salir ta belle robe… D’ailleurs ce soir, tu vas m’expliquer pourquoi t’es vêtue avec un tel accoutrement.

Elle s’approcha du seau, remarqua qu’il était vide et partit en chercher à l’extérieur. Voyant qu’elle n’avait pas écouté son propos, Ross se mit à réfléchir :

Hommes, femmes, ils n’en font qu’à leur tête, c’est incroyable ! Et plus encore ces deux-là, étrange, pensa-t-il en soufflant sur la limaille de fer déposée sur la hache.

Le repas fin prêt, tous deux s’assirent devant une assiette pleine d’une bouillie à la couleur douteuse, mais dont l’odeur n’en restait pas moins délicieuse. Lorsqu’Anaëlle plongea la fourchette dans son assiette et qu’elle la mit dans sa bouche, elle fit les yeux gros. Ross se mit à sourire, il savait que c’était bon même si ça n’en avait pas l’air.

— Alors, pourquoi cette robe ?

Elle posa sa fourchette et baissa les yeux.

— Comment vous dire ?… J’ai voulu agir sans réfléchir et suis allée voir le Préfet de Luzina.

Anaëlle était morte de honte, Ross serra des poings, il savait quel personnage était Ramirez et sut ce qu’elle en avait risqué. Un silence s’empara d’eux et il ajouta :

— Allez, mange, sinon ça va refroidir.

Le repas se termina dans le calme et la douleur, tous deux aimaient Rakièl au point de faire de belles erreurs. Quand, dans l’esprit du Maître, une idée apparut :

— Que dirais-tu de venir avec moi demain au district voisin porter les armes que j’ai terminées aujourd’hui. Cela nous changera les idées, qu’en dis-tu ?

Anaëlle sourit et acquiesça, visiblement ravie d’entendre cette proposition. Et la clarté du jour laissa place à une nuit plus douce que la précédente.

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