VI
Durant ces longues semaines, le préfet de Luzina, Ramirez Diaz, toujours dans son bureau, tentait de sa plus belle écriture de séduire ses alliés et même ses ennemis. Et il fallait croire qu’il écrivait divinement bien car, des réponses il en avait eu et pas qu’un peu.
Le district de Lenny, le comté d’Annihila, le royaume de Ralihan, le pays sombre de Gridès, et plus loin encore où en surface restait l’unique continent du nom d’Enzio. Enzio qui était situé aux antipodes d’Erizhaé. Bien sûr, il n’avait pas écrit au dirigeant du pays d’Idrézia. Parce que l’unique fils de son défunt frère, Lars, ne lui aurait jamais répondu.
Ainsi, durant ces quatre semaines, Ramirez avait reçu la plupart des réponses, mais celle qu’il attendait impatiemment était celle du Roi d’Enzio.
***
Quelques jours avant la réincarnation de la Flamme Destinée, le préfet de Luzina commençait à écrire son premier courrier. Courrier qu’il confia à deux de ses émissaires accompagnés d’un guerrier. Tous vêtues de tuniques rose pâle, la couleur de la paix.
— Je compte sur vous pour ne pas offenser le Consul de Ralihan ! prononça le Préfet.
Les émissaires ne dirent motcar le silence était, en ce moment, la plus sage des réponses. Et tous trois se dirigèrent vers le nord en direction du royaume de Ralihan. La route allait être longue. Les trois émissaires marchèrent trois jours et trois nuits sans répit.
28
À Ralihan, la magie était prohibée et, de toute manière, l’ensemble du territoire était protégé contre tout type de sortilèges, et ce depuis des siècles. Quand ils arrivèrent à l’unique chemin menant à Ralihan, nos émissaires virent de chaque côté de la route de hauts piquets où des squelettes avait été accrochés et à en juger par leur accoutrement, déchiré sur plusieurs endroits, signifiait à quiconque voulant utiliser la magie, qu’il serait puni au prix de sa vie. Ralihan avait pour seule lumière environnante une immense faille au-dessus de la ville leur permettant de voir un minimum. Ralihan était le pays que devait absolument convaincre Ramirez. Bien que cela s’avère des plus compliqué étant donné leurs idéaux opposés. Nos trois émissaires cheminèrent accompagnés par l’odeur putride de la mort.
Bien plus haut, cette voie menait à une immense ville étendue sur des dizaines de routes toutes suspendues dans le vide d’un gouffre d’apparence sans fond. Les bâtiments de Ralihan étaient composés d’immenses murailles gravé dans la roche d’où il ressortait de larges tours à l’architecture Renaissance. Et leurs mille et une toitures s’élevaient si haut qu’on aurait pu croire qu’elles voulaient transpercer cette faille pour faire bénéficier à Ralihan de plus de lumière. Enfin, quand nos trois émissaires arrivèrent aux portes renforcées, ils durent attendre longtemps avant qu’un garde ne vienne les interroger.
Quand la grille du portail se leva par le haut, une porte plus petite s’ouvrit et un garde massif protégé d’une cuirasse vint à leur rencontre :
— Étrangers, déclinez votre identité ! affirma-t-il d’un ton agressif.
Et même en voyant la couleur de la paix, le garde semblait ne pas vouloir lâcher la fusée de son sabre. Il était vrai que personne de l’extérieur ne venait à Ralihan du fait de son territoire anti magie. Et pour cet homme, voir des émissaires dont il ne connaissait la provenance, le laissait quelque peu méfiant. Méfiance que le petit émissaire tenta d’apaiser :
— Vous m’en voyez navré, Garde de Ralihan, mais nous ne pouvons décliner notre identité pour la raison que voici. Si tel était le cas, vous nous couperiez sûrement la tête, ou pire encore, nous nous retrouverions aux côtés de ces mages crucifiés, dont l’odeur me semble être le meilleur avertissement à qui voudrait vous leurrer.
L’émissaire avait raison et l’avait rassuré. Personne de l’extérieur n’oserait entrer en conflit avec Ralihan. Le garde grommela dans sa barbe drue d’une bonne semaine et reformula :
— Si c’est pour faire parvenir un message, vous risquerez d’attendre un très long moment ! Le plus grand émissaire prit la parole :
— Nous serons donc des plus patients. Dans l’attente, nous demandons seulement un peu d’eau selon votre bon vouloir.
Le soldat fronça les sourcils, mais avant de demander plus de précisions, le plus petit émissaire lui tendit un rouleau de papier, scellé d’un poinçon de cire vert empire. Le soldat le saisit et affirma :
— Et, c’est à quel sujet ?
— C’est pour votre Consul, répondit le guerrier d’un ton neutre.
Étonné, le garde ne tarda pas, bien qu’il fut froissé d’être dérangé ainsi. Il devait parler à son supérieur car il n’avait pas le grade pour se saisir de cette lecture. Il tourna les talons, referma la porte qui claqua brusquement.
29
Tous trois attendirent des heures entières. Et l’obscurité nocturne commença à envahir les lieux. Quand tout à coup, la porte se rouvrit avec le même soldat, lampe en main, accompagné d’un officier qui portait d’un grand chapeau et vêtu comme un mousquetaire :
— Bien le bonsoir, émissaires de Luzina. Moi, Romain Villat, second général des armées de Ralihan, viens de la part de notre Consul qui vous présente ses respects. Or, notre Consul se voit désolé de ne répondre immédiatement à votre offre et vous propose de patienter. Soit trois semaines tout au plus pour qu’il puisse mûrir une réponse à la requête de votre Préfet.
C’est ainsi que nos trois hommes repartirent vers Luzina, gourdes sous le bras, qu’ils eurent de la part de Roman Villat de Ralihan.
Ce même matin, juste après qu’il ait envoyé ses émissaires devant le bâtiment préfectoral, Luzi réapparut avec les quatre mages noirs. Il leur proposa de rompre les rangs et ces derniers s’éclipsèrent. La peur se lisait sur son visage, il ne savait pas comment allait réagir Ramirez. Luzi attendit un instant, tête basse, fit quelques pas devant les deux gardes devant la porte qui l’observèrent d’un air interrogatif. Visiblement, il cherchait une solution, mais rien ne lui vint, et sans attendre il avança. Lorsqu’il arriva devant la porte, il prit soin de frapper et entra :
Derrière son bureau, Ramirez était en train d’écrire et releva la tête. Ses yeux brillaient de rouge et le sourire sur son visage, en cet instant, était effrayant.
— Alors comme ça, Destinée t’a échappé ! Tu as donc, failli à ton serment ! Luzi déglutit.
— Non... ce n’est que temporaire.
Ramirez posa délicatement la plume dans son encrier et se leva. Luzi frissonnait de peur, et il y avait de quoi, l’immortel qui se tenait face à lui avait arraché le cœur de son frère, tué l’un de ses fils et pire encore. Et il fut forcé d’assister à toutes ses atrocités. Et il était de plus en plus en train de douter et Ramirez commençait en s’en rendre compte.
— Voyons Luzi, n’aie crainte, tu le sais. Pour moi, tu es bien plus qu’un ami, confia Ramirez en se rapprochant de lui.
En ce moment, il avait les paupières closes pour fermer son esprit et lorsqu’il les rouvrit, Ramirez avait le dos tourné et enroulait son courrier.
— Je vais te donner une autre mission que tu effectueras seul. Tu vas porter ce message au pays sombre de Gridès. Et cette fois-ci, Luzi… ne me déçois pas !
Il saisit le courrier, le rangea dans sa large manche et sortit. Ramirez se rassit et son regard s’illumina de la même lueur braisée quand il commença la rédaction de sa nouvelle lettre.
Et ce voyage allait lui être difficile car sa Flamme avait perdu la vie en ces terres et il ne savait comment ni par qui. Ramirez le testait et il serra les poings à cette idée. Et Luzi se dirigea vers un portail situé dans le quartier des mages.
Ce quartier, comme tout Luzina, était faite d’une architecture coloniale. Lorsqu’il parvint au centre de ce portail, il perçut au loin Roderez Delattre qui demandait à des passants où se trouvait sa fille. Voyant cela, Luzi ferma les yeux et l’instant d’après, il se retrouva aux portes de l’enfer. En le missionnant dans le sombre pays de Gridès, Ramirez le faisait souffrir et Luzi n’avait pas le choix que d’accepter.
30
Devant lui, un chemin, sinueux, pentu, fait d’une terre noire, était balayé par un vent froid comme la mort. Et en ce moment, Luzi repensa à celle qu’il aimait. Cette Flamme qui l’avait fait sombrer dans les ténèbres, et ces mêmes ténèbres se tenaient face à lui. Durant sa progression, Luzi ressentait cela comme une sentence. Et Luzi sombra de nouveau dans la haine, effaçant ainsi tous ses doutes. Puis, quand il se trouva au sommet, le regard triste qu’il avait eu pour Roderez n’était plus.
Autour de lui, il n’y avait rien que le néant avec pour seule lumière des torches posées toutes les dizaines de mètres. Cette fois-ci, Luzi poursuivit son chemin en descente et plus il s’enfonçait dans les profondeurs, plus son âme s’obscurcissait. Quand il arriva aux portes du sombre pays de Gridès, ses yeux or luisaient de la même intensité qu’au début.
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