VII

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Deux semaines après son éveil, Anaëlle se trouvait entre de bonnes mains. L’immortelle Raya supervisait la maîtrise de sa souffrance. Cette souffrance qui avait par le passé détruit un continent, Erizhaé. Elles étaient recluses dans un lieu tenu secret : les profondeurs de la planète Kuahra.

Cette cavité, aux milliers de cristaux, étincelait par la grâce d’Anaëlle dont il s’échappait du corps des étincelles de couleur mauve. Bien plus haut, sur un rocher, Raya observait cette magie d’un air admiratif. Puis elle se rappela que cette même magie avait tout éradiqué et elle détourna le regard de son apprentie. Raya était en colère, mais cette colère était dirigée non vers Anaëlle, mais vers elle-même. Elle posa la main au centre de sa poitrine, ferma ses yeux de bronze et se plongea dans de vieux souvenirs.

Dans ceux-ci se formait l’image de Daria, sa meilleure amie. Une petite femme au fort caractère et à la puissance sans équivoque. Son visage caramel lui réapparut comme si Daria était en face d’elle, ses cheveux noirs bouclés jusqu’aux épaules se mouvaient comme des tentacules tant elle avait énergie dense. Dans ce souvenir, Daria lui faisait un chaleureux sourire à faire plisser ses yeux vert réséda. Ce vert pâle tirant sur le jaune donnait à son regard une intensité à faire battre le cœur des plus endurcis. Daria annonça :

Si toi-même n’as point confiance, tu ne pourras lui transmettre !

Quand elle rouvrit les paupières, Raya avait comme ressenti sa présence. Elle se retourna et observa Anaëlle méditer d’un autre œil.

À l’entrée de cette cavité, Ross attendait aux côtés d’Angelo. Tous deux, assis, observaient la fluorescence de l’eau qui chutait dans les entrailles de Kuahra. Le bruit assommant de cette cascade les empêchait de parler et a priori, ils n’avaient pas l’air de bien s’entendre. Et pourtant, ils étaient assis l’un près de l’autre.

Et cela était dû au simple fait que le pays d’Idrézia et Luzina étaient en froid, et ce depuis des dizaines d’années. Froid qui avait fait des morts des deux côtés. Du côté de Ross, il avait perdu l’un de ses apprentis alors qu’il n’était qu’un simple adolescent. Le Maître de la Forge vit la hache que tenait Angelo et sut aussitôt que cette même arme avait tué son apprenti. Dans quelles circonstances ? Il l’ignorait, mais l’âge d’Angelo ne coïncidait pas avec son décès.

Quand le Maître voulut lui poser la question qui lui taraudait l’esprit, la voix d’Amélia l’interrompit :

— Visiblement, vous semblez être plus proches par le corps que par l’esprit ! railla-t-elle haut et fort.

Aussitôt, Angelo se leva, empoigna sa hache en se dirigeant vers sa chef. À son niveau, il lui mit un léger coup d’épaule. Geste qui la fit sourire car elle avait tapé dans le mille, comme toujours. Amélia s’approcha du précipice, regarda en bas et posa une question au Forgeron :

— Vous pensez qu’il y a quoi au fond ?

Ross resta silencieux, mais cette question l’avait aussi interrogé. Il se leva et regarda à son tour :

— Pour être honnête, je l’ignore ! Mais pourquoi ne pas aller vérifier ? Cela ne m’a pas l’air bien profond.

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Et nos deux protagonistes tournèrent la tête du même côté et perçurent la même chose. Un peu plus bas à droite se trouvait des escaliers creusés dans la roche. Leur curiosité avait pris le dessus et ils s’y dirigèrent. Derrière, Angelo les avait observés partir mais lui, plus passif qu’intéressé, en profita pour se reposer.

Ainsi commença leur descente. Descente que ressentit Anaëlle car elle voyait en ce moment leur âme et même celle de Liban, plus éloignée. Ce dernier se situait bien plus bas, et quand elle capta que le Maître et Amélia allaient dans sa direction, elle se détendit plus encore, confiante. Raya se maintenant à ses côtés dans la position du lotus, lui parlait par la pensée :

Maintenant Anaëlle, je souhaiterais que tu focalises ton attention plus loin encore et ce que tu verras quand tu y seras parvenue.

Anaëlle augmenta sa force graduellement. Cette même force faisait vibrer le sol et Raya n’en revenait pas. Puis elle repensa encore à des souvenirs, cette fois-ci plus douloureux :

Sur le continent Erizhaé, Raya marchait le regard perdu dans un décor chaotique. Avant cela, elle était partie en catimini avec Liban. Relation avait été interdite par leur famille. Tous deux se voyaient donc en cachette, dans une forêt luxuriante. Quand le pire arriva. A son réveil tout avait été balayé, soufflé par une vague particulaire qui s’attaquait à toute forme de vie, la réduisant ainsi au néant. Autour d’elle, la forêt était devenue noire comme le charbon et se morcelait en millions de fragments. Ce terrible instant avait été accompagné par la panique de ne plus voir son aimé, Liban. Mais elle finit par le retrouver sous une branche d’un arbre noirci. Bien qu’affolée, elle fut soulagée de le voir en vie. Puis elle ressentit une dernière fois la chaleur de son amie circulait dans ses veines. Son amour les avait protégés d’une mort certaine et, à sa manière, Daria lui avait dit : « Au revoir ! »

Raya, l’unique descendante des Maîtres des magies ancestrales, était en ce moment en train de se noyer dans le chagrin, et cela ne lui était pas arrivé depuis fort longtemps. Elle voulait la revoir, mais aucun signe de Daria. Raya crut même que son esprit l’avait leurré. Quand elle regarda Anaëlle et vit ses cheveux voleter, le message devint un peu plus clair.

De son côté, Anaëlle se focalisa davantage mais ne put aller plus loin. Elle observait plus que leur âme, c’était comme si elle se trouvait à côté d’eux. Tous trois s’étaient retrouvés plus bas dans ce qui semblait être une ruine qu’avait découverte Liban. Au fond de celle-ci, se trouvait un autel et derrière, sur le mur en pierre, des inscriptions lumineuses que Liban tentait de traduire.

Cela interrogea Anaëlle qui se rapprocha et elle fut soudain prise d’un flash. Dans celui-ci, elle vit les prémices d’une civilisation maintenant révolue. Et dans ce groupe, deux enfants se tenaient la main. Le petit brun tourna la tête, son regard de jais l’avait vue, et sans comprendre comment, il lui sourit. Elle se retourna, mais ne vit personne. Prise de panique, Anaëlle cessa son introspection.

Durant ce laps de temps, autour de son corps, de larges pétales rosâtres enflammés se dépliaient un par un, comme pourrait s’ouvrir une rose à la clarté du jour. Raya recula car plus Destinée remontait le temps, plus ces pétales s’embrasaient et dégageaient une énergie mortelle. Jusqu’à l’instant où elles se désagrégèrent et Anaëlle revint à elle. Raya avait été témoin de l’effrayant pouvoir de Destinée et cela lui provoqua un doute qui n’allait pas s’effacer de sitôt.

Dans la ruine, Liban cherchait de quoi noter mais il n’avait pas pris de carnet et demanda : — Mes amis, par hasard, vous n’auriez pas de quoi prendre note ?

Ross se mit soudain à repenser au journal de Rakièl et le sortit de sa ceinture : — Vous avez de la chance que j’ai pris le journal de mon apprenti, l’un des fils de Ramirez !

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Lorsque Liban l’ouvrit, l’écriture de Rakièl était rédigée de la même lumière que cette fresque. Un orangé virant sur un doré. Liban regarda le Maître d’un tout autre regard et lui demanda :

— Vous parlez de quel fils ?

Il eut sa réponse quelques secondes après que Ross capta cette même couleur que leur montra Liban :

— Le quatrième du nom !

Liban feuilleta son carnet et tomba sur cette note :

Depuis quelques semaines maintenant, je ressens comme une irrépressible envie d’écrire, même lorsque je forge, et ressens encore et toujours que cette envie n’est point naturelle, non ! J’ai comme l’impression que chaque déboire écrit se matérialise sous la forme d’un événement, certes indirect, mais étroitement relié…

En ce moment, je pense de plus en plus à un feu ardent me brûler, comme un doux baiser pourrait m’enrôler, et ce jusqu’à l’unisson… jusqu’à m’en faire mourir, de bonheur, de plénitude.

Ce soir, comme tous les autres, je pense à cette Flamme que parfois je vois dans mes rêves m’appeler... Rakièl.

Liban comprit que ce journal était écrit par une puissance créatrice ignorée de son propre auteur et demanda :

— Et il est où en ce moment ?

— Je l’ignore !

Puis Amélia s’avança :

— Si vous parlez de Rakièl Diaz, sachez qu’il doit sûrement être au pays d’Idrézia avec son grand frère Jamal. Je pourrais vous y conduire. En fait, j’en ai un peu assez de ne rien faire en ce moment ! Et puis pour être honnête, j’ai le besoin vital de changer d’air ! Mais aussi, j’ai de plus en plus envie de cogner, Angelo !

Les deux hommes se regardèrent l’air d’avoir compris tout autre chose, mais ils se trompaient sur les véritables intentions d’Amélia, elle avait vraiment envie de le frapper.

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