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De nouveau à Idrézia, Alves supervisait les entraînements des plus braves. Il les observait d’un œil avisé ces jeunes recrues qui s’annonçaient fort prometteuses. Quand vint Amélia pour le rejoindre :
— Maître Lars, accompagné de Liban, vous demande dans la salle des Officiers.
Et Alves partit sans dire mot, a priori, cela devait être important pour qu’il soit convoqué durant ses commandements. Alves possédait une capacité à décrypter les messages magiques. Et il fut surpris lorsque Liban présenta le journal de Rakièl où dedans avait été recopié un dialecte très ancien. Lars ordonna :
— Alves, traduis-moi cette écriture !
Alves tourna les pages qu’il lut en diagonale et enfin, tomba sur l’écriture retranscrite. Alves semblait impressionné et regarda son Maître d’un air interrogatif. L’instant d’après, il comprit le sens de cette écriture. Liban voulait lui poser une question,mais la réponse sortit de Maître Lars :
— Si j’ose dire ainsi, nous avons là un fragment de l’écrit de nos propres origines, ou dirais-je plutôt de la tienne.
Les questions de Liban se multipliaient :
— Ce dialecte n’est autre qu’un morceau du présent secret de la formule de l’immortalité et si par cas, cette formule parvenait entre de mauvaises mains, alors nous pourrions dire au revoir à la paix que nous avons mis tant d’années à instaurer.
Lars prit un temps de parole, pendant qu’Alves poursuivait sa traduction. Maître Lars eut soudain une autre vision, et dans celle-ci, il voyait bien au-delà qu’une simple année. Ce dialecte avait amplifié son pouvoir divinatoire. Lars avait vu l’impossible et il tomba sur les genoux. Pris de douleur, il mit les mains sur son visage et hurla de douleur. Alves et Liban se demandaient ce qu’il se passait. Enfin, Lars enleva, son regard était soudain devenu opaque.
Alves et Liban venaient de comprendre ce qu’il s’était passé et ce châtiment ne laissait présager rien de bon. Lars se reprit et annonça d’une voix affaiblie :
— Il faut détruire ces reliquescar...
Ses mains se mirent à brûler, Lars en avait trop dit. Quelques instants, après il annonça d’une voix plus faible encore :
— Navré, mais je ne peux en dire plus au risque d’y laisser ma vie. Pour cela, mes amis, laissez donc Destinée écrire nos vies et pardonnez-moi.
Et le Maître effaça d’une seule pensée leur mémoire. Rakièl, dissimulé, avait tout entendu et il partit en douce du pays d’Idrézia.
***
Raliha avait sauté pour sauver sa Flamme qui chutait dans le précipice sans fond. Elle joignit ses bras contre ses hanches pour accroître sa vitesse et ainsi le rattraper. Alors qu’elle semblait si proche de lui, elle tendit le bras, mais Jamal disparut, comme soudainement aspiré par le néant. Cette disparition fut accompagnée d’une angoisse de mort imminente et Raliha vit défiler ses derniers instants comme file une étoile dans un ciel. Quand tout à coup, avant de toucher le sol, un bras sorti du néant l’attrapa. Le couple de Feu avait disparu dans une dimension parallèle, laissant seule Anaëlle face à ses ennemis. Pendant ce temps, les six mercenaires attendaient patiemment devant la grotte que sortent Destinée et ses acolytes, et cela ne tarda pas à arriver.
En effet, Anaëlle sortit avec en main son arc de feu chatoyant de flammes indigo et lorsque ses ennemis la virent, une chose improbable arriva. Les corps des six ne firent plus qu’un, à la
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stupéfaction de tous. Ce n’était plus six chasseurs de créature divine mais une seule qui leur faisait face. Les hommes aux visages sombres n’étaient plus et leur masque était désormais tombé et il apparut enfin. Son regard se mit à briller d’une lueur émeraude qui scintillait comme jamais. Anaëlle le cibla et la flèche partit en plein cœur. Or, cette créature la retira du coup sec dont il avala aussitôt la Flamme divine. Voyant cela, Raya sut que son apprentie n’était pas de taille face à une telle force. Et se concentra, ferma les yeux, et dans un ultime élan de courage, la Maîtresse revint à elle. Son corps fut prit d’un éclat argenté. Cette lueur fit réagir le mage noir et il ouvrit la bouche pour éclater d’un rire fou suivi d’une parole inquiétante :
— Voici donc une magie intéressante, enfin ! répliqua-t-il en écartant les bras.
Et de ceux-ci, s’émana une magie ressemblant à des dragons de jade qui s’enroulèrent autour de son corps comme des boas. L’instant d’après, ses pieds ne touchaient plus le sol et il s’envola pour montrer sa toute-puissance à Destinée en évoquant le dialecte des anciens :
Enfin, nous t’avons retrouvée, magie des étoiles ! * »
Plus Ross regardait cet homme, plus il était effrayé, jamais il n’avait vu un tel pouvoir depuis des siècles. Cette sinistre magie lui rappelait celle de sa femme, Daria. L’inconnu effectua un signe de main et l’un des dragons brandit sur eux et il stoppa son attaque grâce à une sphère protectrice qui l’empêchait de parvenir à ses fins. Raya avait invoqué une deuxième fois la magie des anciens. Elle ne savait pas de quoi était faite la force adverse et elle avait en cet instant de quoi avoir peur. Car ce mercenaire n’en était pas un, mais était un tueur de magies divines, un démon au sang et à la chair d’immortels. Angelo n’en revenait pas et se retira derrière Raya qui méditait pour assurer ses arrières.
***
Rakièl s’était enfui du pays d’Idrézia avec le minimum sans savoir que son destin le menait droit vers le sombre pays de Gridès. Rakièl marchait sur cette terre obscure, et quand il arriva devant le portail, de nouveaux corps avaient été rajoutés mais n’en savait ô rien. Il franchit le seuil du portique dont l’odeur de charogne lui provoqua des relents de vomis. Cette fois-ci, et contrairement à Luzi, il ne fut pas accueilli par des soldats et il continua dans ce pays où les immortels étaient le mets préféré du peuple des ombres de Gridès.
Dans la descente, Rakièl observait l’horizon du sombre pays et son ciel semblait être à lui tout seule une créature noirâtre dont les formes circulaires regarder notre jeune imprudent. Imprudent certes, mais pas fou, il était guidé par son destin et ignorait que des forces au-delà de l’impossible s’étaient manifestées et l’avaient sciemment mené ici-bas. Rakièl s’enfonça dans les profondeurs de Gridès. L’un de ses habitants lui apparut comme sorti de l’ombre et lui barra le chemin. Cette manifestation aux allures spectrales lui annonça alors :
— Jeune fils d’immortels, que viens-tu faire en ces lieux, si n’est pour mourir.
Rakièl poursuivit son chemin comme si la peur ne faisait plus partie de sa personnalité et dépassa l’apparition fantomatique. Créature dont le sourire laissa apparaître une dentition pointue comme les crocs d’un loup affamé, puis il s’effaça pour revenir face à lui.
— Oh, je vois. Notre jeune enfant n’a point peur de nous, soit. Eh bien, nous te laissons une chance de repartir, mais une seule. Puisses-tu la saisir en cet instant, prévient-il en s’effaçant et s’esclaffant d’un rire argentin.
Haut dans le ciel de Gridès, les formes rondes s’ouvrirent pour laisser entrevoir des yeux tantôt rouges et tantôt jaunâtres, mais qui restaient invisibles pour Rakièl. Et cette chance donnée par cet inconnu allait de pair avec ce ciel aux allures des plus sinistres. Ainsi, Rakièl entra dans la ville de Gridès, ignorant le danger qu’il encourait.
Les bâtiments de ce sombre pays étaient recouverts d’une vapeur grise de plomb qui ruisselait de haut en bas comme peut s’échapper la fumée de l’azote liquide, et un froid soudain s’empara de Rakièl. Il plongea son regard dans les nombreuses ouvertures de ces bâtisses éclairées par des halos fantastiques et il aperçut plusieurs des formes le scruter. Ces mêmes formes se déplaçaient de part en part, provoquant ainsi une illusion hypnagogique qui le plongea dans les profonds
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méandres de son esprit. Son corps se mouvait sans qu’il ne s’en rende compte et Rakièl entra en transe. Celle d’un rêve ressemblant si fort à la réalité que vous pourriez en mourir. Et les forces divines qui l’avaient accompagné ne purent interagir et durent le laisser se débrouiller seul dans cette vile illusion. L’illusion d’un rêve maintenant perdu, et dans celui-ci, prenait forme une vie dont il ignorait tout.
***
De retour au pays d’Idrézia, Alves et Liban ne comprenaient toujours pas ce qu’il s’était passé et comment Maître Lars avait perdu la vue et par la même occasion l’usage de ses mains. Dure épreuve pour ce demi-immortel dont les pouvoirs auraient pu aider Destinée à combattre ce démon qui était en train de dévorer la magie rarissime des fondateurs de la Cité sans nom. Celle de l’immortelle et Maîtresse Raya.
— Maître Lars, dites-moi ce qu’il vous est arrivé, je vous en prie, supplia Alves.
Lars, assis sur son trône, ne disait mot et tentait simplement de voir ce qu’il lui était permis de voir. Son don, il ne l’avait pas perdu, mais fut influencé par ce qu’il y avait vu. Et il entra dans une dimension qui lui était alors inconnue. Cette même dimension qui avait absorbé le couple de Feu, et dès qu’il sut que leur vies se poursuivaient, il sourit et se mit à rire aux éclats. Voyant cela, Alves se dit soudain que son maître était devenu fou. Dès qu’il s’arrêta de rire, Lars répliqua :
— Ne pense plus Alves, veux-tu ? Et je t’en prie à mon tour, va donc préparer nos hommes au combat. Car le début est proche et la fin est si loin. Alors toi que j’ai autrefois accueilli, aie confiance s’il te plaît. S’il te plaît mon fils, déclara-t-il en prolongeant la dernière lettre.
Alves ne l’avait jamais entendu prononcer une quelconque marque d’affection le concernant et ce dernier mot réchauffa son cœur meurtri par cette relation qu’il n’avait jamais eue, et il partit, déterminé à honorer son Maître et celui qu’il avait tant attendu, l’icône d’un père qui était en train de perdre la raison. Mais qu’importe pour lui, car Lars le considérait maintenant comme son fils. Un cadeau qu’Alves attendait patiemment et ce fut la folie qui le lui avait offert.
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