3. Premiers doutes

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Dans les semaines qui suivirent, les sensations se firent de plus en plus précises. Parfois, c’était une main qui lui flattait la croupe, ou la sensation de griffes le long de ses cuisses. Un souffle sur sa nuque, des dents qui lui effleuraient le cou... ces impressions vivaces décuplaient son plaisir, et Maelys en était arrivée à se masturber plusieurs fois par jour. La chose, gorgée de son plaisir, semblait d’ailleurs plus vibrante, plus vive. Maelys croyait même qu’elle avait doublé de volume. Elle se demanda si elle avait raté une précision cachée sur le site, conseillant aux utilisateurs de ne jamais mouiller la chose après minuit ou quelque chose du genre. Elle se rappela même ce bouquin de sorcellerie subversive qu’Agathe et elle avaient réussi à se faire offrir au Noël de leurs douze ans, et que leur grand-mère avait failli confisquer. Entre deux précisions sur la température de la verge du diable et une illustration de sorcière sodomisée, le bouquin informait le lecteur sur les moyens de « charger » un objet, d’invoquer les anges déchus ou de créer une « entité servante » par la seule force de la pensée. Cela avait conduit à de nombreuses heures de proto-méditation, pendant lesquelles elles se livraient avec leur cousine Manon à la visualisation tantrique sur bouteille dans la grange abandonnée de la résidence d’été familiale. Les « classes préparatoires », comme elles les appelaient, qui avaient duré jusqu’à ce que leur tante y mette un terme ferme et définitif. Ce fut le point de départ d’une sulfureuse réputation que Maelys se traina toute son adolescence, alimentée par ses passe-temps atypiques, sa collection de serpents et d’araignées en plastique, et sa fâcheuse propension à raconter des histoires terrifiantes à ses cousins. On l’accusa même d’être dans une secte, ce à quoi elle ne donna jamais de déni véritable.

Sa famille s’inquiétait pour elle. On la croyait retombée en dépression. Sa mère tenta de lui faire rappeler le Dr Gayraud, mais Maelys tint bon. Elle se voyait mal raconter au psychiatre qui l’avait suivie toute son adolescence qu’elle fantasmait sur un phallus alien en silicone. C’était quelqu’un de respectable, ce Dr Gayraud : il la recevait dans un sublime appartement en ville, dans un salon où étaient exposés des bouquins aussi prestigieux que La maison de Freud ou le Sauvage et l’Artifice d’Augustin Berque. C’était lui qui l’avait poussée à faire de longues études inutiles et elle ne voulait surtout pas le décevoir. Ne restait plus que le curé de Saint Dominique du Camazou, et Maelys contempla un moment l’idée de lui confier ses explorations nocturnes. Mais les prêtres de nos jours ne croyaient plus au démon, et il l’aurait simplement prise en pitié, lui octroyant une fois de plus son laïus sur les femmes célibataires vertueuses : « Tout le monde n’est pas appelé à se réaliser dans la famille. Certaines personnes sont destinées à se réaliser autrement ». Foutaises. Elle était destinée à crever seule, bouffée par ses chats affamés dans une obscure maison de la France de l’envers. Le curé aussi le savait.

Mais, grâce à la chose et au plaisir qu’elle lui dispensait, Maelys n’angoissait plus à cette sombre perspective. Elle se voyait bien user de la chose jusqu’à un âge avancé. Il faudrait juste faire attention à s’en débarrasser à temps, comme le chabot de la légende... elle se voyait bien faire venir le curé sur son lit de mort : « J’ai quelque chose à vous avouer, mon père. Toute ma vie, j’ai gardé le secret... Il vous faudra veiller sur ma tombe. Trois jours et trois nuits... ». Comme dans l’histoire éponyme, le curé ne pourrait résister à ce dernier combat contre Satan et ses insidieuses tentations.

On n’en était pas encore là. Pour l’instant, la chose remplissait son office, et le corps de Maelys le sien. Elle ne se voyait pas se séparer ni de l’un, ni de l’autre.

*

Tout bascula le soir de Noël. L’automne avait été morne et Maelys n’en pouvait déjà plus de couper du bois tous les jours pour alimenter la minuscule chaudière de son logement. Elle passait plus de temps à côté, chez sa sœur ou sa mère, et ne rejoignait la chose que la nuit, après un bain bouillant qu’elle prenait avec un verre de coca light plein de glaçons.

La soirée n’avait pas trainé en longueur. Presque tout le monde avait travaillé pendant la journée, que ce soit aux écuries ou dans un bureau, et après avoir ouvert les cadeaux — Maelys avait reçu le dernier Musso — et but un verre en regardant vaguement les émissions de Noël, les yeux commencèrent à se faire lourds. Les voisins partirent pour la messe de minuit — cela faisait longtemps qu’ils ne proposaient plus aux Colinot de les accompagner — et le domaine retomba dans son obscurité silencieuse, troublée, çà et là, par le hululement du chat-huant.

— Bon, il se fait tard, attaqua Christophe. Vous m’excuserez, mais je vais me coucher.

Cette décision du militaire sonna le début de la reddition. Un à un, chacun regagna qui, sa chambre, l’autre sa maison. Maelys traversa la cour sans lampe de poche, se fiant aux lumignons laissés par les voisins sur leurs fenêtres pour s’orienter.

La maison était plongée dans le noir total. Passé la porte, elle appuya sur l’interrupteur. Mais rien ne se passa. Une fois de plus, les plombs avaient sauté. Cela arrivait souvent dans le domaine, avec les quatre maisons toutes branchées sur le même système électrique vétuste, en bout de ligne et en fond de campagne.

— Bon. On verra ça demain.

Avec un soupir las, Maelys alluma son téléphone et monta les marches pour rejoindre sa chambre. Pas de bain ce soir.

Arrivée sur le palier, elle se figea. Il y avait quelqu’un en haut. Elle sentait sa présence, lourde et envahissante, et surtout, son odeur. C’était celle du gel intime qu’elle utilisait avec la chose.

Les films montraient toujours des idiotes demandant d’une voix tremblante « qui est là ? », mais Maelys n’allait pas faire la même erreur. Primo, elle en était incapable. Secundo... elle avait une petite idée de l’identité de l’intrus.

Comme pour lui répondre, ce dernier se manifesta. Elle sentit soudain une masse chaude toute autour d’elle. Comme des bras, des mains, mais aussi des choses longues et sinueuses qui venaient l’entourer comme dans un cocon, faisant reculer le froid glacial de la maison vide. C’était lui, bien sûr. La créature.

— Tu es rentrée tard.

C’était vrai. D’habitude, elle était là plus tôt.

— C’était le soir de Noël, tenta-t-elle. Un soir spécial.

Est-ce que les monstres venus d’une autre dimension fêtaient Noël ? Elle se doutait bien que non.

— Spécial ? ricana la voix. Ça mérite quelque chose de spécial, alors.

Le cœur de Maelys manqua un battement. Était-ce la peur, ou l’excitation ? Probablement les deux.

Elle se sentit saisie, soulevée par des bras puissants et portée jusqu’au lit, où elle fut presque jetée. Dans les ténèbres opaques, elle crut presque discerner une haute silhouette, qui n’avait rien d’humain. Puis elle sentit son poids sur son corps. Massif, imposant. Des choses grasses et lourdes qui lui écartaient les cuisses, les maintenaient ouvertes. Des mains qui remontaient le long de ses jambes, douces et glissantes, jusqu’à ouvrir collant et culotte d’un seul coup de griffe.

Et la chose fut devant son entrée, humide et bourgeonnante.

La voix, dans le creux de son cou, se fit caressante, à l’image de ce que la chose accomplissait en bas.

— Je vais te pénétrer, ronronna-t-elle.

Maelys s’agita.

— Non, non ! On avait dit pas de pénétration !

Mais les mains de la créature — si c’était bien des mains — quittèrent ses cuisses pour venir se refermer sur ses poignets, et immobiliser ses bras. Au-dessus de sa tête, comme les antennes d’un insecte empalé. Une langue pointue et terriblement longue vint s’enrouler autour de ses mamelons, durs comme des cailloux. Et la chose, lentement mais sûrement, commença à s’enfoncer, centimètre par centimètre.

Maelys se sentit écartelée. Non seulement cela faisait dix ans qu’elle n’avait pas été pénétrée, mais en plus, elle l’était par ce sexe massif, à la forme atypique. Ses chairs palpitaient autour, cherchant désespérant à expulser le corps étranger. Mais la pression ne faiblissait pas et la chose continuait de plonger. En elle, de plus en plus loin. C’était si douloureux, et en même temps, si bon...

La jouissance explosa en elle comme une série d’échos se répercutant dans un bâtiment vide et abandonné. Elle passa son vagin recroquevillé, son utérus endormi. Ouvrit ses côtes et son œsophage avant de jaillir en un cri guttural, doublé par celui, plus rauque, de la créature. Ses yeux papillonnèrent, et elle s’évanouit, ou s’endormit, dans ses bras.

*

Maelys s’éveilla le lendemain toute habillée dans un lit désordonné. Dans sa hâte de se coucher la veille — elle était probablement bourrée — elle avait déchiré ses collants. Sa culotte gisait entre les draps, à côté de la chose souillée de gel lubrifiant et de cyprine séchée. Maelys se sentit dégoûtée d’elle-même. Ce petit jeu allait trop loin.

— Allez, à la niche, fit-elle en saisissant l’objet entre deux doigts.

En se levant, elle grimaça de douleur. Son entrejambe lui faisait mal. Elle avait dû pousser la chose plus profond que d’habitude... Au cours des rares rapports sexuels qu’elle avait eus, Maelys n’avait ressenti, au mieux, que de la gêne lors de la pénétration. En général, cela lui faisait mal. Ses partenaires se rengorgeaient en prétendant que leur sexe était trop gros, mais elle savait que c’était elle qui était étroite, avec ses petites hanches et ses fesses plates. Elle avait fini par arrêter de se forcer, et, progressivement, les volontaires s’étaient faits rares. Reprendre le sexe avec un dildo alien taille XL n’était sans doute pas une bonne idée.

Après l’avoir nettoyé, Maelys le rangea dans sa pochette, puis descendit le tout dans le grand salon du bas. Là, elle dénicha une boîte vietnamienne héritée de son arrière-grand-mère, qui fermait à clé. Elle y fourra la chose et tourna la serrure. Voilà. Fini les galipettes mentales et les fantasmes illicites. Elle allait retourner à la vraie vie et se reprendre en main.

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