4. Essais infructueux

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« Tibo, 42 ans, livré avec trottinette, deux p’tits bout’chou, bonne humeur... »

Maelys jeta un dernier regard au visage à la moustache ripoliné et au crâne luisant qui surmontait cette description. Encore un père de famille chauve au surnom idiot. À croire qu’il n’y avait plus que ça sur le marché. Pour elle, sûrement.

Cela faisait deux semaines que Maelys s’était sevrée de la chose et de ses plaisirs sataniques. Sur les conseils de sa sœur, qui n’était jamais restée célibataire plus d’une semaine, Maelys s’était inscrite sur les sites de rencontre en ligne. Une expérience qu’Agathe, plutôt chasseuse en milieu naturel, n’avait jamais tentée. Mais, comme disait-elle, « on sait jamais, ça peut marcher ! ». Sur un malentendu, alors, avait complété Maelys dans sa tête.

Aucun de ces types réels ne lui plaisait. Et visiblement, c’était réciproque. Il faut dire que Maelys n’avait pas énormément d’atouts à mettre en avant, dans ce monde de photos trafiquées, de culs refaits et selfies bouche de canard.

Elle referma l’ordinateur et soupira. Parfois, c’était dur de résister à la tentation, alors que la chose était là, dans sa boîte, tout près d’elle... elle se rattrapait sur les crêpes au Nutella et les tablettes de chocoletti. Les crèmes Montblanc et les cerises Haribo, de temps en temps. Elle avait déjà repris deux kilos.

Au moins, pas de complexe à avoir avec la chose. Il se fichait de ses bourrelets et de ses jambes non épilées, lui. Les critères aliens n’étaient pas les mêmes que les nôtres.

Allez, se décida Maelys.

Elle se leva et alla chercher le coffret en nacre.

*

— C’est pas trop tôt, ironisa la créature le soir même.

Maelys ne se chercha pas d’excuses. Avec lui, cela ne servait à rien.

— Je vais te punir pour ça. Mets-toi à quatre pattes.

Maelys s’exécuta, poussée en avant par la main griffue du monstre. Il lui mit quelques claques rapides sur les fesses, puis glissa son organe le long du sillon interfessier.

Maelys se figea. La sodomie, non jamais...

— Si, insista la créature, impitoyable.

Et, après l’avoir copieusement badigeonnée de gel parfumé, il s’enfonça en elle.

Maelys étouffa un râle dans l’oreiller. C’était aussi agréable qu’un suppo puissance mille, mais aussi diablement excitant. De sa main libre — le monstre lui tenait l’autre — elle se stimula l’entrejambe, jouant des hanches pour alterner douleur et plaisir. Elle devait reconnaitre qu’elle aimait ça. La seule idée de la chose qui allait et venait entre ses fesses lui donnait une bonne suée.

Lorsque ce fut fini, elle se laissa retomber dans les bras accueillants du monstre, repue de sexe, mais dégoûtée d’elle-même.

— Il faut que ça cesse, dit-elle tout haut.

— Pourquoi ? Ce que tu as avec moi, aucun homme ne pourra te le donner.

— Ce n’est pas bien. C’est stérile, vain.

— Je pourrais te féconder...

— Non merci. Retourne dans ta boîte.

La créature se redressa en grognant et quitta la chambre. Maelys ferma les yeux, puis se leva à son tour pour nettoyer la chose et la ranger.

C’était la dernière fois, se morigéna-t-elle en se dirigeant vers la douche.

*

Mais il y en eu une autre, et une autre encore. Comment résister à l’appel de la créature, qui se faisait de plus en plus entreprenante ? Dans sa boîte, la chose bourgeonnait, nourrie par tous ses sucs. Je pourrais te féconder, lui avait-il promis. À trente-neuf ans et des poussières, de surcroit toujours célibataire, Maelys avait renoncé aux enfants. À quoi bon en avoir, de toute façon, dans ce monde qui ringardisait Mad Max ? Mais l’idée d’une fécondation extraterrestre était excitante. Ou horrible, selon le point de vue où on se plaçait.

Maelys relâcha la chose pour le lui demander. Alors que la créature jouait des hanches au-dessus d’elle, elle se risqua à lui poser la question :

— Que se passera-t-il, si je te laisse m’inséminer ?

— Tu porteras mes enfants, lui répondit la créature sans s’interrompre.

— Tes enfants ? Comme des bébés ? Je déteste les bébés. Ça crie, ça chie et surtout, ça sent mauvais.

— Mes œufs. Je les déposerais en toi et tu les couveras. Jusqu’à la ponte.

Maelys sentit que son corps réagissait avec une décharge humide. Cette image la stimulait.

— Est-ce que ça fait mal ? réussit-elle à demander entre deux halètements.

— Très, précisa vicieusement la créature.

Elle ne pouvait pas voir son visage, mais il y avait eu un sourire dans sa voix.

*

Cependant, Agathe ne comptait pas laisser sa sœur s’en tirer à son bon compte.

— T’as raison, Finder et la SPA du cœur, c’est nul, lui concéda-t-elle lorsque Maelys lui avoua sa désinscription des sites susnommés. J’ai une meilleure idée pour toi.

— Ah oui, quoi ? demanda Maelys, méfiante.

— Il y a ce mec dans l’équipe de rugby de Christophe... Cédric. Ne dis pas non avant de l’avoir vu. Il est CA-NON ! Et artiste, en plus.

— Artiste ?

— Il fait de la photo. Animalière ! Pour toi qui aimes les animaux, c’est cool, non ? Le brame du cerf, tout ça. T’aimes bien, non ?

— Je vois.

— Je vais l’inviter à dîner. Il est nouveau dans la région, et il s’ennuie tout seul, dans sa grande maison... Je crois qu’il a du mal à s’intégrer parmi tous ces bouseux. Une tête d’ampoule, comme toi ! Il habite juste en bas, de l’autre côté du bois de Ficelle. Facile pour se voir ! insista Agathe avec un coup de coude enjoué.

— Mouais, articula Maelys en imaginant les cancans si une voiture inconnue se mettait à stationner dans le domaine à intervalles réguliers.

Toute la famille serait au courant en moins de deux, et sa mère viendrait frapper au carreau pour se faire présenter. Sa belle-sœur viendrait « jeter un œil » et la harcèlerait de sa voix pointue : « il est beau ? Ah non, il est dégueu ! ». Sa grand-mère l’appellerait pour la féliciter d’avoir enfin « ferré un mec », rassurée qu’en fait, elle ne soit pas lesbienne comme elle le croyait. Quant aux voisins... à leurs yeux, elle passerait d’ « aspirante nonne soutenant la famille » à « pècheresse néo-féministe soutenant l’IVG » en moins de deux. Possible qu’ils la virent du domaine.

Maelys accepta néanmoins que sa sœur organise ce dîner. Depuis le collègue complotiste et antisémite que son beau-frère avait ramené chez elle en croyant lui faire plaisir, Maelys se méfiait, mais Cédric n’était pas militaire. Il était juste rugbyman, et — probablement — chasseur repenti. Mais bon. On était en zone rurale. Ce n’était pas ici qu’elle allait rencontrer un architecte franco-japonais amateur de poésie et de musique indé avec anneau dans le nez.

*

Pour décoincer un peu les convives, Agathe eut la bonne idée d’organiser une soirée déguisée pour la Chandeleur, histoire d’accompagner le carnaval de Limoux qui venait de commencer. Le thème était « Disney », assez vaste pour que tout le monde y trouve son compte. Elle se décida en Maléfique ; Maelys, en Cruella. C’était plus simple pour les sœurs, vu la profusion de vêtements noirs dans leur dressing. Maelys mit une robe toute simple et un manteau doublé de fausse hermine qu’elle avait déniché chez « Jour de Fête ». Elle compléta le tout par une perruque bicolore : un carré strict qui lui donnait un air de maîtresse de donjon SM, assorti de faux cils rescapés de ses jeunes années. Christophe, lui, se déguisait en Jack Sparrow.

Lorsque les premiers invités arrivèrent, les sœurs Colinot eurent la surprise de constater que toutes les filles du groupe d’amis de Christophe s’étaient déguisées en Reine des Neiges. Maelys, qui était la seule célibataire, fut scannée des pieds à la tête, avant que le groupe de hyènes ne décrète qu’elle n’était pas une menace. L’une d’elles vint quand même recadrer leur hôte — dernière venue dans le groupe, et pièce rapportée : « Mais pourquoi vous vous êtes déguisées en sorcières, toi et ta sœur ? C’est bizarre ! »

Le fameux Cédric, lui, était grimé en Aladin. Maelys laissa discrètement trainer ses yeux sur ses abdos révélés par sa micro-veste, largement ouverte : elle devait reconnaitre que le costume lui allait bien.

Il vint se présenter de lui-même. Visiblement, Christophe et Agathe avaient déjà tout manigancé.

— Maelys, c’est ça ? Moi, c’est Cédeuric, annonça-t-il avec un accent local à couper au couteau.

Maelys faillit répondre qu’il se trompait de personne. Mais c’était trop tard. Sa sœur, au loin, veillait au grain. C’était limite si elle ne lui faisait pas un clin d’œil.

— Je vieng de m’ingstaller dans la région, continua-t-il. Je travaille à la coopérative de ving de Boutenac.

— Vraiment ? demanda Maelys en haussant un sourcil.

— En fait, je suis du Maleupère. Et toi ? Toi et ta sœur, vous n’avez pas l’accent !

Le Malepère. Un terroir situé à moins de cinquante kilomètres du domaine.

— Je suis née à Paris, comme Agathe, lâcha Maelys.

— Mais vous n’avez pas la mentalité parisienne ! la complimenta Cédric.

Oh, si, manqua répondre Maelys. Mais il était gentil, alors elle retint sa pique. À la place, elle lui proposa un verre. En réponse, Cédric l’invita à aller fumer dehors.

— J’ai arrêté, grinça Maelys, forcée de l’accompagner.

Pire encore, le Cédric sortit un paquet de Raw et une petite verrine à beuh. C’était un shiteux... comme 99,9% des gars de la région.

— Bon, lança-t-elle en tentant de dissimuler son sourire crispé. Et qu’est-ce que tu fais en dehors du boulot ? Tu as des passions, des hobbies ?

— La chasse, répondit-il du tac au tac. Et la photo. Mais surtout la chasse.

Bingo, songea Maelys. Comme elle l’avait deviné, c’était un chasseur.

— Tong beau-frère m’a appris que tu étais végétarienne, s’empressa-t-il d’ajouter.

— Ex-végétarienne, corrigea-t-elle. Je mange un peu de viande, de temps en temps.

— D’accord. C’est mieux, parce que les véganes et tout ça, ils sont un peu extrémistes tout deu même...

Le reste de son plaidoyer pour la tempérance fut interrompu par un appel à la première tournée.

— Il est des nôôôtreu ! vociférèrent les convives mâles lorsque Cédric les rejoignit, un petit sourire aux lèvres.

Maelys, quant à elle, rejoignit l’assemblée des princesses Disney, où Maléfique régnait déjà, distribuant verres de Carthagène, de Tariquet et de Gaillac perlé.

Le reste de la soirée s’étira sur ce mode-là. Lorsque Romain Rios, le témoin de Christophe et assureur de toute la famille, tomba dans le puits avec trois verres dans le nez, Maelys prétexta un mal de tête pour s’éclipser.

Dans le noir, la créature l’attendait.

— Ça te va bien, la complimenta-t-il en repoussant une mèche blanche de sa griffe.

— Merci. Tu es le premier à me le dire. On nous a regardées de travers, ma sœur et moi, parce qu’on était déguisées en méchantes.

— Oublie ces humains idiots. Ils ne te méritent pas.

Ces paroles — et le ronronnement rocailleux avec lequel elles avaient été proférées — calmèrent immédiatement l’angoisse de Maelys. Cette soirée l’avait épuisée, mais la chose savait lui parler.

— Oui. Je sais ce dont tu as besoin. Allonge-toi. Je vais te faire un massage. Ensuite, je te prendrai vigoureusement, comme tu aimes.

— Ça me parait être un bon programme, approuva Maelys.

Elle alluma son diffuseur d’huiles essentielles, régla la lampe Nature et Découverte sur « tamisé » et s’étendit sur le lit, s’abandonnant aux volutes de cannelle et aux mains expertes de la créature.

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