8. Demons to some. Angels to others.

8 minutes de lecture

— Tu appartiens déjà à un autre ! grogna Baphomet en la reniflant.

Maelys bascula le menton pour relever vers la sombre créature un regard coupable. Cela faisait déjà plusieurs heures qu’il la besognait. Il était absolument infatigable, et son sexe, vraiment très gros. Cette pause était bienvenue : elle commençait à avoir mal au cul.

— Je ne suis pas vierge, si c’est ça que tu demandes... tenta-t-elle.

En tout cas, après cette séance, c’était sûr qu’elle ne l’était plus. Baphomet l’avait prise dans toutes les positions imaginables. Présentement, elle était assise dos contre lui, les cuisses largement écartées, tandis qu’il la soutenait de ses bras puissants. De temps en temps, il lui mordillait le cou, ou lui pinçait un téton. Le rythme était devenu plutôt tranquille.

— Tu sais très bien ce que je veux dire. Tu t’es déjà donnée à un autre comme moi.

Un autre comme lui... Maelys prit la balle au bond.

— Qu’est-ce que vous êtes, exactement ? fit-elle en se retournant. Des djinns ?

Le rire caverneux de Baphomet fit résonner les ténèbres de la chambre.

— Je préfère le terme de démons, ricana-t-il. Ou d’anges : ça dépend quel genre de goûts tu as, et ce que tu mets dessus ! Toi, on peut dire que tu es une bonne cliente.

Demons to some. Angels to others. Une petite phrase bien familière...

— Comme les Cénobites dans le premier Hellraiser, donc, interpréta Maelys, convoquant sa science des mauvais films de genre. Sauf que vous, vous baisez vraiment les gens, et que je n’ai résolu aucun puzzle... comment êtes-vous venus ?

— Tu nous as invoqués.

Maelys haussa un sourcil dubitatif.

— Avec des godes achetés sur internet ?

— Je ne peux pas t’en dire plus, grogna Baphomet. Je suis tenu par les liens du contrat.

— Le contrat ? Quel contrat ?

— Je peux rien dire. Je suis tenu par les liens du contrat, répéta-t-il en la repoussant sur le lit.

La créature s’était redressée de toute sa stature. Debout, avec ses immenses cornes, elle touchait presque le plafond.

— Uluvinexëgura a imprimé sa marque en toi, insista Baphomet. Il a inséré un de ses œufs dans ton ventre.

— Uluvinexëgura ? C’est le nom de l’autre démon ?

Ça sonnait comme le nom d’un méchant dans Sailor Moon.

— Il ne te l’avait pas dit ?

— Non. Et toi ? Tu t’appelles vraiment Baphomet ?

— Je ne donne pas mon nom aux femelles dont le ventre est déjà plein de la semence d’un autre, grogna-t-il.

— Mais ça ne t’a pas dérangé de me faire le cul toute la nuit... bougonna Maelys, vexée par ce slut-shamingmalvenu.

— Tu ne demandais que ça. Et c’est mon rôle de réaliser les désirs des invocateurs.

— Je suis donc votre invocatrice, à Ulumachin et toi ? Ça veut dire que vous devez m’obéir ?

— Ne te réjouis pas trop vite, humaine. Visiblement, Uluvinexëgura a pris l’ascendant en déposant son œuf dans ton utérus.

— Mouais... et qu’est-ce que je suis censée faire de cet œuf extraterrestre, moi ?

— Je t’en débarrasserai. Et ensuite, je t’inséminerai.

— Je doute qu’Ulumachin soit d’accord...

— Ce n’est pas mon problème, grinça Baphomet. Quand je le verrai... je le détruirai !

Une bataille de monstres, à la Mothra contre Godzilla ! Voilà tout ce qu’il manquait à la vie déjà compliquée de Maelys. Mais avant qu’elle ne puisse protester — après tout, elle n’était autre chose qu’une poule convoitée par deux coqs ! —, Baphomet avait déjà disparu, se fondant comme à son habitude dans les ombres.


*


Le lendemain, Hichem lui téléphona. Il lui transmit le nom d’un taleb qui officiait à Paris, et qui était prêt à examiner son cas.

— Il a une dette à régler avec les sheitan, lui assura Hichem. Il est prêt à aller jusqu’au bout pour sauver ton âme.

Mais le scénario ressemblait trop à un film d’horreur américain des années 2000, et Maelys doutait qu’un savant de village puisse faire quelque chose pour elle. Uluvinexëgura et Baphomet étaient bien trop incrustés dans sa réalité, désormais. Il aurait fallu plus que quelques récitations de textes sacrés pour les renvoyer d’où ils venaient. D’autant plus qu’ils avaient l’air déterminés. À quoi ? Il fallait absolument le découvrir...

Et Maelys avait une autre idée.


*


La résidence de sa grand-mère en Haute-Savoie n’était qu’à une vingtaine de minutes de Genève. Et dans la capitale helvète vivait une personne qui pouvait l’aider : Agnezschka Manoukian.

Maelys l’avait connu lors de ses études d’anthropologie. Agnezschka — surnommée Aniouschka pour plus de commodité — était une journaliste issue du monde des fanzines alternatifs qui avait entrepris, à plus de quarante ans, des études d’anthropologie, alors qu’elle avait déjà un boulot très rémunérateur. Ses articles, qui parlaient de pratiques sexuelles extrêmes dans le monde, paraissaient tous les mois dans le très respecté magazine à gros tirage Révolution(s), et ses livres abondamment illustrés par les derniers artistes queer à la mode se vendaient comme des petits pains. À son grand regret, et malgré toutes ses connexions, Aniouschka n’avait jamais réussi à faire carrière dans le milieu universitaire, mais Maelys l’enviait. Aniouschka, elle, avait toujours suivi son instinct, et travaillé exclusivement sur ce qui lui faisait plaisir. Elle était boudée par les intellos obtus — qui, de toute façon, ne reconnaissaient personne d’autre qu’eux-mêmes — mais appréciée de tous les éditeurs parisiens, ceux-là mêmes qui refusaient de répondre aux mails de Maelys. Et surtout, pour avoir écrit de nombreux articles sur le sexe underground, elle connaissait le milieu des fabricants de sex-toys comme sa poche.

C’était le moment de reprendre contact avec elle.

En dépit du silence de plusieurs années de Maelys, Aniouschkha se montra ravie de la voir.

— Tiens ! Je me demandais ce que tu devenais, depuis le concours CNRS.

— Je l’ai pas eu, bafouilla Maelys en poussant sa porte.

— Mais tu as été auditionnée. Pas moi.

— De toute façon, ils ont préféré prendre une nana qui bossait sur le kintsugi. Les chamanes qui couchent avec les dieux, ça leur parlait pas. Pas assez « global ».

— C’est des idiots, grogna Aniouschka en s’allumant une clope. C’est le cul qui fait tourner le monde ! Je t’offre du thé ? Genmaicha, comme d’habitude ?

Maelys hocha la tête machinalement, puis prit place sur le canapé moelleux que lui désignait son hôte. L’appartement était lumineux, avec une baie vitrée qui donnait sur le lac Léman, magnifiquement ensoleillé. On aurait dit que des diamants brillaient à sa surface. Visiblement, Révolution(s) payait bien.

— Dis... tu connais une boîte qui s’appelle Pleasure Vault ? demanda Maelys en laissant son regard trainer sur un original d’Araki, qui couvrait presque tout un mur.

— Pleasure Vault ? Pas personnellement, mais j’en ai déjà entendu parler. C’est pas eux les pionniers du dildo alien ?

Maelys hocha la tête.

— C’est une boîte US qui a commencé sur Etsy il y a dix ans, si je me souviens bien... reprit Aniouschka en posant une petite théière tokoname sur la table. À l’époque, personne ne s’intéressait à leurs produits, mis à part quelques geeks tordus du bulbe. Puis GEAR Paris a commencé à vendre certains de leurs dildos, et là, ça a explosé.

— GEAR Paris ?

— Un magasin gay qui vend du matos pour les pratiques extrêmes... couplé avec The Gauntlet, le tout premier shop de body-piercing de la capitale.

On se rapprochait des Cénobites. Le milieu gay, le piercing... Aniouschka pianotait sur son ordinateur, ouvert sur la table. Du coin de l’œil, Maelys reconnut le thème sombre du site, l’énorme pentagramme qui se déroulait en fond comme une invocation cosmique.

— On dirait un vieux thème MySpace, ricana Aniouschka. Mais c’est bizarre, ils n’ont pas d’adresse... normalement, c’est obligatoire, pour un site commercial. On peut les contacter, mais seulement avec un formulaire de réclamation.

— Tu peux peut-être leur demander une interview ? tenta Maelys.

— Peut-être, à condition qu’ils acceptent de le faire en distanciel... Le journal me donne des fonds pour aller au Japon ou en Corée, mais je doute qu’ils me payent un aller-retour aux States seulement pour interviewer un obscur fabricant de godes. Ouah, ils font des trucs vraiment chouettes... tu les as essayés ?

Maelys s’efforça de ne pas rougir. Parfois, elle souhaitait être aussi décomplexée que son amie. Elle, elle avait un mec...

— Ils sont vraiment... bizarres, répondit-elle sans oser regarder Aniouschka dans les yeux.

— Je vois ça... c’est pas trop mon kif, mais je dois avouer que ça a de la gueule ! Bon, j’envoie ma demande à Pleasure Vault. On verra bien ce qu’ils me répondront. Tu veux aller faire un tour en attendant ? On peut aller manger des ramens au Yukiguni, puis aller faire un tour au musée d’ethno... il y a une expo sympa en ce moment. Gab ne rentre pas avant ce soir.


*


Lorsque les deux femmes revinrent, un message attendait dans la boîte mail d’Aniouschka. Pleasure Vault avait répondu.

— Alors, voyons ce qu’ils me disent...

Maelys fut heureuse de constater que son amie avait l’air aussi excitée qu’elle.

Dear Ms. Manoukian,

Thank you very much for your interest. We would be very pleased to meet you for a talk about our products. Unfortunately, we are sorry to announce you that such an entrevue is currently impossible, our manager being away for an undetermined time. Please renew your request sometime later. We are glad to offer you a – 25% off ticket for any purchase on our website with the code below : SORRY2023.

The staff

Aniouschkha resta silencieuse un moment.

— Bizarre, ce message...

— Oui, l’anglais est tout cassé. On dirait que ça a été écrit par une machine...

— Ou par Dracula ! Et cette « entrevue »... en tout cas, c’est bien la première fois qu’un professionnel refuse de me rencontrer ! Même Ted Tow a accepté.

— Ted Tow ? Le mec qui organise le Fuck Club ?

— Lui-même. Première règle, ne jamais parler du Fuck Club... et pourtant, j’ai réussi à l’interviewer !

Aniouschka avait l’air presque vexée.

— Il n’y a plus qu’une seule solution. Il faut le leur demander là-bas.

— Là-bas ? tu veux dire, aux States ?

— Au Gear. Ils doivent forcément avoir une adresse, puisqu’ils reçoivent leurs colis...

— Et ensuite ? Je ne vais pas faire le trajet jusqu’aux États-Unis... objecta Maelys, tout en songeant que si elle le pouvait, elle le ferait.

Il fallait qu’elle sache d’où sortaient ces créatures, ce qu’elles étaient, et pourquoi elles étaient là.

— Et pourquoi pas ? Je veux en savoir plus sur cette boîte, tu as réussi à m’intriguer. Je vais avec toi : le journal paiera nos frais.

— Je croyais que ça ne les intéressait pas ?

— Je peux réussir à leur vendre le truc... tu me connais ! répondit Aniouschka avec un clin d’œil.

Maelys avait réussi à l’accrocher.

— Mais ça va prendre du temps...

— T’as raison, on n’en a pas. Je vais t’avancer le billet d’avion. Mais d’abord... il faut savoir où aller. (Aniouschka regarda sa montre.) On a un train pour Paris dans... 45 minutes. On le prend ?

Maelys n’avait pas quitté sa campagne depuis le début du confinement, deux ans auparavant. Cependant, malgré son agoraphobie et sa peur des aventures, il lui fallut moins de cinq secondes pour se décider.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0