
Noan Gouliet
Un jour, je ne sais pourquoi, j’ai posé mon balluchon sur cette planète et j’ai respiré son air. Un air vif, descendu des grands glaciers alpins qui existaient encore en ces temps reculés. Je n’étais pas seul, loin de là. Ma mémoire n’est pas extraordinaire, mais je me souviens de la faune animée qui débarquait aux heures des pauses dans la cuisine minuscule de ma grand-mère. Tout le canton semblait se donner le mot pour venir de temps à autre prendre un café ou se joindre à la tablée bruyante du midi : « Tu vas bien rester dîner avec nous ? » disait-elle au visiteur inopiné, qui en général, les faux-fuyants évacués, ne se faisait pas prier longtemps devant un sauté de veau aux carottes. J'ai endossé le rôle de mascotte locale, et j’ai décidé de rester un peu plus longtemps sur cette fameuse terre. Depuis, les décennies se sont égrenées dans le vent comme des grains de sable. Les cheveux blancs parsèment aujourd’hui mon crâne déplumé. « Ce n’est pas parce qu’il y a de la neige sur le toit qu’il n’y a pas de feu dans l’âtre ! » prétend Douglas Preston. Certes, mais est-il toujours aussi crépitant ? Quoi qu’il en soit, je suis toujours là, à observer l’immense cuisine du monde qui m’entoure sans prétendre en être un acteur assidu. Et je souris, et je pleure. Il m’arrive aussi de rire, devant ce théâtre vivant qui met en scène la condition humaine et nombre de ses tragédies.