Recueil de nouvelles

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Je me souviens. J’étais avec Calliopée autour d’une table à discuter dans un café populaire du quartier, le Beauty’s. La belle vie. D’autres groupes, plus nombreux, nous entouraient dans un joyeux boucan. Soudain, un grand cri s’était élevé :

- Incroyable ! Vous imaginez, on va officiellement pouvoir vivre dans l’espace ! Qui veut venir avec moi ?

Curieux, j’étais allé demander de quoi retournait exactement cette affaire. J’en avais déjà entendu parler à de multiples reprises de vivre dans l’espace, donc cela n’était pas si incroyable que ça, à moins d'être le dernier des idiots ou encore de vivre comme un ermite. Et encore, c’est un fort sujet d’actualité donc impossible de l’avoir raté. Il s’agissait en réalité d’une nouvelle merveille scientifique. Incroyable en effet.

- C’est impossible, ai-je alors rétorqué. Aller sur la Lune, vivre sur une autre planète passe encore mais vivre dans l'espace comme ça, naturellement au milieu de rien ? Ça dépasse la raison !

- Crois ce que tu veux, en tous cas c’est pas moi qui vais pourrir ici en attendant un miracle qui n’arrivera jamais. Écoute-moi bien, si tu restes ici, tu es d'ores et déjà un homme mort. Notre planète, la Terre, c’est un chaos total.

Pensif, je ne réussissais pas à m'ôter cette idée de la tête. Voici maintenant plus d’une semaine que j’y pense… Et pourquoi pas ? Cette personne que j’avais rencontrée, Ethel, m’avait laissé son journal, en signe de fraternité m’avait-il dit. Enfin ce n’est pas exactement ce qu’il avait dit avant de partir. Je crois me souvenir qu’il avait dit que l’humanité, c’est deux hommes assis sur un banc et qu’il fallait s’entraider, se serrer les coudes comme dirait mon grand-père, pour réussir à avancer. Ça me fait penser à du Paul Valéry, un poète mort aujourd’hui. Peut-être bien que je me trompe, je n’ai jamais été doué pour retenir les noms des gens, d’autant moins s’ils sont morts. Tout le monde meurt un jour, mieux vaut profiter de la vie tant qu’elle est présente. Certainement la raison pour laquelle ses propos me hantaient jour et nuit. Je n’en avais pas encore parlé à Calliopée, persuadé qu’elle me dirait d’y aller même si cela revenait à renoncer à notre amour.

Une enveloppe était glissée à l’intérieur du journal. Je décide de l'ouvrir. Après tout, c'est comme s'il me l'avait donnée en même temps que le journal, non ? À l'intérieur, je trouve deux billets pour le tirage au sort qui sourira aux chanceux qui auront l'opportunité d'aller vivre dans le vide, l'espace. Une lettre accompagne ces billets, je ne peux m’empêcher de l’ouvrir et de la lire :

“Ethel, voici des billets pour toi et la personne de ton choix. Choisis quelqu’un de fort qui saura t’assister, une personne de confiance. À bientôt. Marx Bloomer, ministre de la Défense spatiale. “

Je n’en revenais pas, ce que je tenais était un passeport pour l’au-delà. Je décide de finir d’ouvrir le journal, et j’y découvre dans les détails l’opération qui sera menée avec un million de personnes tirées au sort ou directement désignées. Que faire ? Devrais-je rendre à Ethel ce qui lui appartient ? Mais comment le retrouver ? Ou devrais-je en profiter ? C’est un coup du destin, il ne peut en être autrement. J'en ai par la suite longuement parlé avec Calliopée, arrivée par surprise derrière moi en même temps que je découvrais les détails de l'opération, billets à la main.

On décida d’essayer de retrouver Ethel au Beauty’s, par mesure de sécurité. Après tout, on risque gros si la supercherie est découverte. L’enjeu est bien trop important. Agréablement surpris, on le retrouve assez facilement, comme s’il nous attendait tranquillement. Après une longue discussion, et de nombreux chocolats sucrés, Ethel nous expliqua sa situation particulière. Et la raison de ses actes : il ne voulait pas y aller. Je pense que c’est surtout parce qu’il manque de confiance en lui, parce que s’engager dans ce projet implique énormément de responsabilités. Calliopée est alors intervenue de vive voix :

- Non ! Sois un peu égoïste ! Tu te rends pas compte de la chance incroyable que tu as !

Elle lui tira une réplique tellement longue que je ne m’en souviens plus, je me rappelle simplement qu’elle était pleine de bonnes intentions et que cela nous a permis de parvenir à un accord. Ethel prendra un des deux billets tandis que je prendrai l’autre. Avec Ethel, on se promit de se voir le plus souvent possible une fois embarqués dans ce voyage. Lorsque la mission sera achevée, Calliopée, qui aura fini de régler ses affaires personnelles, nous rejoindra. On sera un trio, rien ne pourra nous arrêter. On finit la soirée à plaisanter, ce fut une belle rencontre orchestrée par les coups du destin.

Et maintenant, me voilà sur cet engin mécanique. Tout était calme au début, en dehors de l’agitation du départ avec les séparations, les promesses. On nous avait promis que si l’opération se déroulait sans encombre trois mois durant, nos familles et nos amis pourraient facilement nous rejoindre. C’est une occasion qui ne se présente pas deux fois dans une vie, autant en profiter étant donné que l’air atmosphérique terrestre devient de plus en plus rapidement irrespirable. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais autant hésité, c’était la meilleure option qui s’offrait à moi. Et à Calliopée. Une fois qu'elle m’aurait rejoint sur le vaisseau, je la demanderai en mariage. C’est mon rêve, vivre avec elle dans de bonnes conditions, fonder une famille heureuse et en bonne santé. Le temps passe vite, bientôt je pourrai la revoir.

Deux mois plus tard, tout se déroulait à merveille. J’ai recroisé Ethel à plusieurs reprises, il est devenu le commandant secondaire de l'équipage B16. Dommage qu’on ne soit pas ensemble, je suis dans le A13. La dernière fois qu’on s’est recroisés était hier. Sur le coup, je ne m’étais pas inquiété de le voir si fatigué et préoccupé mais en fait, et s'il y avait un problème et qu’on ne pouvait plus accueillir de nouveaux arrivants le mois prochain comme il avait été promis ? Comment pourrais- je faire avec Calliopée ? Ça fait tellement longtemps que je n’ai pas eu de ses nouvelles… Son absence me pèse tellement, elle que j’ai laissée seule au départ. Sans un mot. Sans un geste.

Je demanderai à Ethel la prochaine fois qu’on se recroisera, si je le revois d’ici là, s’il a plus d’informations. Je ne m'entends pas avec le commandant secondaire de mon équipage, un certain Jacob qui est prétentieux. Il se croit roi du monde, comme si c’était grâce à lui que l’appareil sur lequel je vis à présent fonctionne. Et comme si c’était lui qui avait tout accompli. N'importe quoi.

L’équipage est agité, de ce que j’ai pu entendre, le gouvernement a une annonce à nous faire. J’essaye d’en apprendre plus, en vain. Au bout de plusieurs jours, la rumeur se confirme. Une visite officielle du ministre de la Défense spatiale est prévue dans l’après-midi pour revoir les fonctions de bord de chacun d’entre nous. Il a annoncé de nouvelles restrictions de travail, rien de bien gênant. Que du blabla. En le voyant frontalement, un frisson m'a parcouru. Je ne le sentais pas, comme si on nous cachait quelque chose d'ultra important. Ce ne doit être qu'une impression, tout va bien. Il nous a sauvés, il va sauver nos proches. On peut lui faire confiance.

Chacun de nous se sépare et retourne vaquer à ses occupations respectives. Je suis désormais chargé d'assurer la sécurité, le bon maintien des consignes, dans mon équipage. Quel plaisir de voir Jacob descendre de son piédestal, je ne le supportais vraiment plus. Je vais pouvoir être avec Ethel plus souvent. Il n'a pas été promu commandant général mais au moins, on partage désormais le même dortoir. N'empêche, je comprends enfin sa constante fatigue et le peu de temps libre pour venir discuter. Plus qu'un mois et je pourrai enfin revoir Calliopée. Je compte les jours comme un enfant en attente du père Noël. Le temps passe inlassablement, sans grandes nouvelles. Enfin le dernier jour d'attente. On nous regroupe à la salle commune. La tension est à son comble, avec l'impression qu'on va nous annoncer une bonne nouvelle. Ou une mauvaise.

Marx Bloomer arrive. Un décompte est lancé sur un écran. Il nous fait part directement de ce qu'il va se passer d'un ton grave. Cent. Quatre-vingt-dix-neuf. Quatre-vingt-dix-huit.

- Bonjour à tous, mesdames et messieurs. La mission de préparation est désormais achevée et je vous félicite pour votre investissement sans faille. À présent, vous allez assisté au final de notre ère qui marquera le commencement d’une nouvelle génération. De ce que j’ai pu constater, chacun d’entre vous ici présent s’est familiarisé à ce lieu et aux personnes qui vous entourent, certains ont même déjà commencé le prochain processus qui vous sera demandé sous peu, c’est-à-dire de fonder de nouvelles familles. Là n’est pas encore le sujet, ne vendons pas la peau de l’ours avant même de l’avoir tué. Pour reprendre là où j’en étais donc, notre merveilleux navire Etoile lunaire va briller pour de nouveaux horizons; Or, l’espace est pollué par ce qui était notre lieu de survie antécédent, la Terre. Ce n’est pas l’idéal, de vivre avec ce risque, vous comprenez ? Pour notre bien-être à tous, grâce à vos magnifiques travaux, nous allons tout simplement rejoindre la Terre pour la détruire.

J'aperçois Ethel, terrifié. Le discours continue mais on n’y prête plus attention. Ethel n’était pas au courant de ce qui nous arrivait. Moi non plus. J’ai de la peine pour lui, il était tellement fier de son poste, de ce qu’il accomplissait pour tous. Je pense ensuite à Calliopée, cette belle histoire d’amour qui n’aura pas de fin. Tous les projets qu’on envisageait ensemble, au clair de lune, il y a des années de cela. Je ne la reverrai pas, plus jamais. Plus jamais je ne pourrai la voir, l’entendre me parler de sa douce voix. Plus jamais je ne pourrai lui dire je t’aime. Plus jamais. Je ferme les yeux fort.

Le temps passe au ralenti, comme le générique d’un film. Un fond noir avec des écritures blanches. Quelques animations parfois. J’entends le décompte. Cinquante-deux. Cinquante-un. Cinquante. Quarante-neuf. J’entre-ouvre les yeux, j’ai encore le temps. Je ne sais pas ce qui va se produire mais quelque chose est en attente. Je décide de garder les yeux ouverts au moins jusqu’à dix. Ce que je vois m'émerveille. Le monde autour de moi, à droite et à gauche, est rempli de couleurs flamboyantes. On dirait des ailes. Mais c'est impossible, je suis dans un navire spatial. Et qui n’a pas d’ailes, j’ai souvent vu les maquettes de cet engin donc je peux le certifier. Je n’ai pas changé d'endroit non plus. Je réfléchis à la structure du vaisseau spatial qui m’abrite depuis trois mois. De haut en bas, tout me fait penser à un cocon. C’est l’effet que cela donne, nous sommes abrités, à l’abri de tout, nourris royalement et choyés dans nos moindres désirs, à quelques exceptions près. Comme une chenille dans sa chrysalide avant de se transformer en un magnifique papillon. Vingt-neuf. Vingt-huit. Vingt-sept. Le temps presse.

Non, c'est impossible. Ça ne pouvait pas… Je réalise l’ampleur de la situation, me retourne face à ce qui me semblait être des ailes. Je les observe quelques secondes durant. Ça bouge. Rapidement. Comme un battement d’ailes. À l’arrière, il y a comme une trainée d’étoiles, de la poudre. Ce qui permet aux papillons de prendre leur envol. Ce que j’avais patiemment trié avec mes compagnons, des gaz sous forme de poudres, chacun pensant que c’était pour préparer l'arrivée de nos proches, se révèle être la source d’énergie qui permet de se déplacer rapidement. Onze. Dix. Neuf.

J’aperçois à présent la Terre face à moi. Je repense à Calliopée. Je suis désolé, sincèrement désolé de t’avoir abandonnée dans l’espoir d’un monde meilleur pour nous deux. Je ferme les yeux. Sept. Six. Cinq.

Une annonce retentit. “Merci à vous tous. Grâce à votre participation active au sein de l’Etoile lunaire, il nous est désormais possible de se projeter dans un futur où l’humanité sera composée d’une seule et même identité. À très bientôt pour de prochaines nouvelles.”

Un.

C’est fini. Un énorme bruit surgit de nulle part, transperçant le froid glacial de l’espace. Le papillon s’est posé sur la Terre, la recouvrant de ses larges ailes. Comme lorsqu’un papillon se pose sur une petite fleur. Le monde entier est en proie à de violentes secousses durant plusieurs longues minutes. Comme un violent coup de vent, faisant plier la petite fleur. À bord du vaisseau, on se regarde tous. Des larmes coulent sur nos joues, on ne dit pas un mot.

La voix de l'annonce retentit de nouveau. "Je vous félicite, la manœuvre a été réalisée avec succès.". Le discours se poursuit mais je n'écoute plus. Il doit certainement nous demander de retourner travailler. Comme avant. Le papillon prend de nouveau son envol, tourbillonnant vers de nouveaux horizons.

On nous a bien eu, avec les belles promesses d’un monde meilleur, vivable. On a nous-mêmes anéanti tout espoir de vivre avec nos êtres aimés, on les a tous tués indirectement. Calliopée, Gemma, Sohail, et tous les autres. Sans scrupules. Et moi je vis. Ethel aussi. Les autres membres de la sélection aussi.

Je regarde Ethel, il est pétrifié sur place. On se regarde, et hoche la tête d’un commun accord. On a été manipulé, ni plus ni moins. Ça ne nous plaît pas, et on va le faire savoir. Notre papillon lunaire fonctionne à partir de nos différentes missions effectuées depuis notre arrivée, on ne va pas tout détruire. D’un regard on l’a décidé. On se sépare en deux groupes distincts vers les issues de secours. Comme si on retournait à nos activités, comme si rien ne venait de se produire à l'instant. Après tout, c'est ce qu'ils veulent. Quitte à mourir, autant le faire pour une bonne cause.

Je suis désolé Calliopée, je n’ai pas su être fort. Ce sont mes dernières pensées. Dans le vide glacial de l’espace, j’ai sauté. Les autres aussi. Notre belle vengeance, laisser des fous incapables d’agir seuls dans un endroit hostile et qui, finalement, n’a pas autant d’avenir que prévu.

Il fait froid et sombre, c’est silencieux. Je relâche mon dernier souffle.

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Texte sur les migrants.Chapitre1 message | 2 ans
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