Parfois, je me dis que ce métier est vraiment pourri, que cette ville est pourrie que ma vie est pourrie et je me demande à quel moment tout cela a mal tourné.
Il pleut tellement que je ne vois même plus le bitume sur la route, seulement une couche d'eau martelée par les gouttes de pluies incessantes.
Je suis trempé, frigorifié, cela fait trois plombes que je guette la sortie, planqué derrière une poubelle remplie de je ne sais quoi, je n'arrive pas a en identifier l'odeur... il vaut peut-être mieux d'ailleurs.
J'ai du mal à distinguer l'entrée de l'immeuble de l'autre côté de la rue. La porte est restée entrouverte, me laissant voir un peu le hall éclairé par une vieille ampoule jaune à la lumière vacillante.
Les fenêtres du rez de chaussée sont elles aussi eclairées. il y a certainement du monde la dedans, mais pas un mouvement. Pas même une silhouette derrière les rideaux.
Je tire une latte sur ma vaporette à la menthe. Je suis tellement gelé que je ne suis pas certain d'en sentir encore le goût dans ma bouche.
J'écoute la radio dans mes airpods, ça m'aide à passer le temps. Je ne suis pas certain que cela soit une bonne idée. J'ai déjà le moral à zéro et le journaliste annonce d'une voix monocorde trois nouvelles exécutions. Un boulanger clandestin, un fabricant de sirop d’érable et… une vieille dame qui avait caché des carambars dans ses chaussettes.
La routine.
Je regarde ma montre. 06:17. Il sort toujours vers cette heure-là. L’info du voisin était fiable.
Et il n’avait pas pu s’en empêcher.
Un type comme lui, c’est plus fort que tout. Le sucre, c’est comme la poudre, mais en pire.
J'entends un grincement.
La porte de l'immeuble s'est ouverte entièrement.
Silhouette trapue, imperméable beige, sac plastique froissé.
Je mets la main dans ma poche. Le taser.
Il ne m’a pas vu.
Je sors doucement de derrière la poubelle, talons discrets sur le bitume detrempé.
Il s’arrête sous le lampadaire, jette un œil autour de lui — et là, il le fait.
Il sort un donut.
Pas un petit, pas un discret. Un California Ice Cream avec glaçage au chocolat et crème pâtissière.
L’odeur sucrée traverse la rue comme une balle.
Il le porte à sa bouche, met un grand coup de machoir dedans ...
« HALTE ! Bureau de Contrôle Nutritionnel ! Posez ce beignet ! »
il semble surpris et un moment petrifié.
mais avec une rapidité incroyable, il me lance le donut à la figure, j'ai à peine le temps de me baisser pour l'eviter qu'il se met à courir.
C'est à chaque fois la même chose, Ils se mettent tous à courir.
Je sors le taser et lui balance une décharge dans le dos.
J'ai juste oublié de régler l'intensité.
Avec la pluie je vois le bonhomme entouré d'un halo bleu électrique et puis cette odeur de caramel qui m'envahit les narines.. ce ne devait pas être son premier donut de la journée.
je me rapproche de l'individu qui gît maintenant dans le caniveau, à moitier sous l'eau. je lui tâte le pouls... il est mort.
le sucre c'est vraiment dangereux pour la santé.