S*x , drogues and tisane

de Image de profil de Alexandre26Alexandre26

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Prologue

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »

— A. Einstein

Le cliquetis des talons d’une femme résonnait sur les pavés comme des coups de marteau donnés par un forgeron en manque de sexe. Il faisait nuit, la ruelle se vidait, et les lampadaires clignotaient comme une boule à facettes dans une boîte de nuit des années 80. L’humidité tombait doucement. C’était l’heure où les gens bien rentraient chez eux après leur sortie hebdomadaire, et aussi l’heure où les mauvaises personnes se réveillaient, tels des rats flairant un cadavre à dépouiller.

Une brise légère s’éleva au moment où une femme traversa la place à toute allure. Elle se dépêchait, comme si les fouets de Satan lui lacéraient les talons. Elle passa devant moi sans même me regarder. Pour ce genre de bourgeoise, je n’existais pas. J’étais une ombre, un rebut, une erreur du décor. Un parasite à éradiquer.

Et pourtant, j’étais bien là. Calé sur mon banc préféré. Ce n’est pas que je tiens un répertoire de tous les bancs de la ville avec une note pour chaque, mais celui-là… celui-là, je l’aimais bien. Il était parfaitement placé, juste à la sortie du métro. D’un côté, les gamins bien propres, pleins d’avenir, insouciants, persuadés que le monde leur appartient. De l’autre, les gars de la nuit. Ceux qui attendent. Attendent quoi ? Que le temps passe, que leur souffle s’épuise, qu’un jour de plus s’efface sans douleur supplémentaire.

Et moi, j’étais là. Fidèle à mon poste, mon putain de trône. Ma bouteille de Clan Campbell déjà bien entamée posée à côté de moi, un paquet de roulées rempli de restes de tabac séché qui ressemblait plus à de la paille oubliée dans un vieux grenier. Et dans les oreilles, The White Buffalo.

Depuis la Grande Dépression et les guerres qui ont suivi, le monde avait changé. Les riches étaient devenus plus riches, et les pauvres… encore plus pauvres. Ils nous avaient appelés à nous battre pour de grandes idées : la liberté, l’avenir, la justice. Des mots creux. Des illusions. Ceux qui sont revenus en un seul morceau de ce bourbier n’ont rien gagné. Rien. Seulement tout perdu.

Nous étions les oubliés. Ceux dont on cache l’existence parce qu’on a honte de ce qu’on leur a fait. Pour nous convaincre d’aller mourir pour eux, ils nous avaient promis monts et merveilles. À notre retour, nos dettes seraient effacées, on aurait des logements, on serait des héros.

Mais au final, tout ce qu’on a gagné, c’est des souvenirs dont seuls l’alcool et quelques dépendances pouvaient nous libérer.

Le bruit des talons s’accéléra. Elle avait remarqué qu’on la suivait. Deux types. Ratés et affamés, en quête de monnaie facile et d’un peu d’occupation. De vrais gentlemen.

Qu’est-ce qu’elle foutait là, avec ses talons et son tailleur rouge flamboyant ? Sa sacoche en cuir de marque ? Elle voulait nous narguer ? Nous provoquer ? Ou elle s’était juste perdue dans un quartier où l’on ne se trompe pas impunément ?

Je ne savais pas. Et je m’en foutais.

J’étais pas là pour elle. Chacun sa gueule.

Mais je savais comment ça finirait, et ça… ça allait me faire chier. Si elle se faisait agresser, les flics rappliqueraient et moi, je devrais trouver un autre endroit pour me poser. Et ça, c’était hors de question.

Alors, ni une ni deux, je lâchai la tempête.

Je leur suis tombé dessus comme la foudre divine.

Pas le temps de jouer les justiciers de pacotille. Pas de discours moralisateur. Pas de menaces. Juste des coups. Brefs, violents, efficaces.

Quand ça s’est arrêté, mes poings étaient en sang.

Les deux gars gisaient au sol, écrasés par leur propre bêtise. La pluie tombait de plus en plus fort, et le sang qui s’écoulait d’eux se mêlait à l’eau. Comme si la nature elle-même venait nettoyer la crasse que j’avais engendrée.

— Qu’est-ce que vous avez fait ?!

Sa voix tremblait autant que ses jambes. Elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer.

J’ai relevé les yeux vers elle. Un ange rouge sous la pluie.

— J’ai nettoyé la saleté.

C’est tout ce que j’ai trouvé à dire.

Mais son regard changea. Sa peur devint froideur. Son ton, plus sec :

— Je ne vous ai rien demandé.

Elle me fixa avec une colère contenue.

— Vous pensez que j’avais besoin d’un super-héros ivre pour venir au secours d’une pauvre femme en détresse ?

Je n’eus pas le temps de répondre, ou même de l’insulter, que le patron du bar voisin était déjà en train d’appeler les secours. Et voilà ce que je redoutais le plus : l’arrivée des schmitts. La fanfaronnade, encore là après, mais jamais là avant. Et on devait leur confier nos têtes blondes et dormir sur nos deux oreilles ? Jamais de la vie.

Du fond de la ruelle, je m’éloignai. Loin du carnage de la bleusaille. Et de cette femme aux yeux verts.

Chapitre 1

J’ai toujours su que j’étais foutu.

Pas au sens dramatique du gars qui veut qu’on le sauve, hein. Non, foutu comme un vieux moteur qu’on continue de faire tourner avec un chewing-gum, un peu de rage et une bonne dose de malchance. Mon corps avait encaissé plus de bastons qu’un sac d’entraînement dans une salle de boxe municipale. Et ma tête… Ma tête, elle, c’était un champ de mines….

Chaîne d’information.

Le Dow Jones fait une chute spectaculaire.

L’économie mondiale atteint son plus bas historique.

Chute démographique sans précédent.

Le président annonce l’annulation des élections présidentielles, invoquant le conflit armé imminent.

J’étais affalé dans mon canapé, dans mon appart miteux, une couverture sur les genoux, un bol de nouilles froides posé sur la table.

L’écran vacillait, les images passaient en boucle, encore et encore. Les visages des présentateurs, figés dans une fausse gravité, récitaient les bulletins comme des prières funèbres.

Je l’avais déjà vue au moins dix fois, cette émission.

Et pourtant, je la relançais encore.

Peut-être qu’à force de revoir les mêmes mots, les mêmes erreurs, je finirais par comprendre.

Comment on avait pu en arriver là.

À ce niveau de bêtise. De négligence. D’arrogance.

Puis, d’un coup sec : blackout.

Plus de lumière.

Plus de bruit.

L’écran s’est éteint dans un soupir électrique.

Encore un transformateur qui saute.

Ces vieux blocs bas de gamme n’étaient pas prévus pour alimenter des barres d’immeubles entières.

J’ai soupiré. Je suis resté un instant dans le noir, les yeux ouverts, à écouter le silence.

Puis j’ai murmuré, presque pour moi-même :

— On mérite ce qui nous arrive.

J’ai baissé les yeux vers la table basse.

Un vrai champ de bataille.

Deux choix s’offraient à moi —

Deux portes bancales, mal ajustées, grinçantes de conséquences.

Option un : me lever, aller trifouiller dans le local électrique, tenter de relancer le transfo. Peut-être qu’avec un peu de fil de cuivre volé et un vieux tournevis rouillé, je pourrais faire repartir la lumière pour quelques heures. Peut-être.

Option deux : la bouteille de whisky.

Ou plutôt ce qu’il en restait.

Ouverte depuis Dieu sait quand, collante, tachée de… quelque chose. Peut-être du sang. Peut-être pire.

Elle trônait comme une relique, entourée de mouchoirs froissés, de papiers gras, d’un cendrier rempli jusqu’à la gueule.

À mes pieds, des bandages.

Tachés. Rouges. Marron.

Odeur âcre.

Ils traînaient là depuis des jours, peut-être plus. Impossible de voir le sol sous tout ce bordel.

Je me suis penché légèrement. Une douleur aiguë m’a traversé le flanc.

J’ai grincé des dents. Pas le moment de rouvrir une plaie.

J’ai fixé la bouteille. Puis la porte.

Puis la bouteille.

Puis la porte.

— Fait chier.

Je me suis levé.J’ai enfilé ma veste. Celle qui pue la sueur, le tabac froid et le vieux chien crevé.

Elle tient à peine chaud mais elle est là.

Comme moi.

Encore là.

J’ai ouvert la porte de l’appart. Le couloir m’a accueilli avec sa moisissure et cette foutue ampoule qui clignote sans jamais mourir.

Comme si elle aussi s’accrochait à la vie.

On devrait fonder un club.

Je suis descendu lentement. Les marches grinçaient sous mes pas.

Chaque étage sentait une misère différente. Cuisine cramée, couche sale, solitude.

Arrivé devant le local électrique, j’ai poussé la porte du pied.

Un souffle de poussière et de vieux plastique brûlé m’a accueilli.

Je suis entré.

Une chaise en métal, bancale, traînait là. Je m’y suis assis.

Juste pour reprendre mon souffle.

Juste une seconde.

J’ai fermé les yeux.

Et là… ça a recommencé.

Le bourdonnement.

Pas celui du présent.

Pas celui de l’ampoule ou du néon mourant.

Non.

Celui du hangar.

Celui des files d’attente.

Celui des haut-parleurs, hurlant des noms, des matricules, des remerciements automatiques.

« CITOYEN RAPHAËL MONTELI , matricule 84729. Merci pour votre sacrifice. »

J’ai rouvert les yeux, mais j’étais plus dans le local.

J’étais là-bas.

Le sol en béton froid.

Les néons clignotants.

Les gars en rang. Silencieux. Éteints.

Des uniformes kaki mal taillés. Des bottes trop grandes. Des regards vides.

Tous attendaient leur tour comme on attend la fin d’un enterrement.

C’était pas la guerre qu’on allait faire, c’était la fosse commune.

Et au bout du hangar, un bureau.

Derrière, un mec. Trop propre. Trop bien coiffé.

La mine fatiguée d’un type qui a vu trop de misère, mais qui n’en ressent plus rien.

Je m’étais avancé.

Mon cœur battait fort. Je l’entendais dans mes tempes.

— Nom, prénom ?

— Monteli . Raphaël.

— Date de naissance ?

— 12 avril 1993.

Il tapait sans lever les yeux.

— Vous avez connaissance de ce que votre engagement implique ?

— Oui.

— Toute dette familiale, crédit personnel ou solde négatif est annulé à la signature. En retour, vous acceptez de servir au front pour une durée indéterminée, sans garantie de retour. Vous comprenez ?

J’ai hoché la tête.

Mais c’était pas moi que je voyais, là, devant ce bureau.

C’était Léna.

Ses mains tremblaient sur les relevés bancaires. Sa bouche qui murmurait “j’peux plus, Raph… j’peux plus respirer”.

Elle ne mangeait plus. Ne dormait plus. Juste des appels, des menaces, des huissiers.

Elle allait crever.

Soit la corde.

Soit la rue.

Alors j’ai signé.

Et je n’ai rien dit.

Pas à elle.

Pas à mamie.

Pas même à moi-même.

Je me suis menti comme on s’anesthésie.

Juste assez pour tenir.

Juste assez pour pas hurler.

Le stylo m’avait glissé entre les doigts quand j’ai posé ma signature.

Et le gars du bureau m’a regardé pour la première fois.

— Merci pour votre sacrifice.

Ses yeux ne disaient rien. Même pas de la pitié. Même pas du mépris.

Juste… du vide.

Puis on m’a donné une puce.

Un uniforme.

Et une date.

Je ne savais pas où je partais.

Je ne savais pas ce que j’allais faire, ni comment j’allais réagir.

Je ne savais pas…

Et en fait, c’est ça le problème. Ce foutu flou.

Je me lançais tête baissée dans une mêlée que je ne connaissais pas.

Le savoir… ça aurait pu sauver mon sommeil.

Et si j’avais été égoïste ?

Si j’avais tout laissé tomber, les sentiments, les proches, le reste ?

Mais ça, ça ne menait qu’à un verre de plus.

Juste un de plus pour anesthésier ce qui me restait.

Je m’enivre dans le plaisir du désespoir.

Cette sensation, quand tout va mal, et que tu sais que ça peut encore empirer.

Alors je bois.

Pas pour oublier. Pour ressentir.

Cette euphorie.

Ce calme avant une tempête qui détruira tout.

Alors ne jugez pas.

On ne sait jamais comment une personne peut réagir à de telles angoisses…

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Prologue + chapitre 1Chapitre1 message | 4 jours
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