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Jean-Christophe Heckers

Jean-Christophe Heckers
"Partita pour double Interligne" est une compilation de billets ornant un blog, remis quelque peu en ordre et réécrits (mais hélas point illustrés, c'est dommage). L'idée de faire de ces textes disparates un ensemble m'est venue après la lecture d'un manuel (sic) destiné aux romanciers en herbe, visant à leur apprendre comment boucler un roman en quelques étapes, et récolter de ce fait un succès bien mérité. L'ouvrage, vendu 3,99€ pour 80 pages recensées (calcul Amazon), m'a valu des aigreurs, faute d'aimer truismes et platitudes. D'autres existent, du même tonneau (moins cher). Plus rares sont les ouvrages réellement utiles. C'est en réaction à l'existence de pompeusités prétendant nous livrer quelques révélations sur l'Art de Pondre un Roman, vendues sans vergogne, que j'ai décidé de publier ceci, et ce gratuitement. Avec téléchargement possible. Notez bien, ce n'est pas un manuel. Loin de là. Disons, plutôt des méditations personnelles, distanciées et pas trop prises au sérieux, autour de sujets qui me tracassent parfois. Quelques points de méthode sont certes malmenés, mais j'espère surtout 1/divertir, 2/proposer (peut-être) quelques pistes de réflexion. Et si je parviens au moins au premier objectif, je serai déjà content.
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Jean-Christophe Heckers
Quinze nouvelles pour dire nos intimes métamorphoses en métissant les genres: ici une pincée de science-fiction, là un doigt de fantastique, et quelques chroniques de désillusions ponctuées de petits bonheurs, malgré tout. « Assis dans un escalier au béton glacial. Tout en bas une porte ouverte sur la lumière blafarde de néons scandant un couloir qui mène à un autre escalier, après une porte similaire, elle aussi ouverte. Du gris et du blanc. Des murs nus. Sur le linteau, comme peint à la hâte : Entrée interdite – danger –. Je descendrais volontiers en courant. Tentation dérisoire. Mon pouls s’est accéléré. Je sais que la porte ne s’ouvre que rarement deux fois pour chacun. Je sens leurs regards dans mon dos. Ils sont restés en surface, piétinent dans la neige, hésitent, attendent. Vaguement inquiets. Des entrées interdites, nous en avons franchi un bon nombre avant d’arriver ici. Mon souffle s’est fait court. Voulais-je vraiment venir ? Je ne sais plus. Sans doute, sinon je ne serais pas ici. J’enlève mes gants, effleure la marche, me penche en avant pour mieux voir. Il n’y a rien hormis du gris et du blanc, un couloir, un escalier. » (Œdipe au Labyrinthe)
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Jean-Christophe Heckers
Avec "Convergences", on devine qu’une robinsonnade sur quelque lointaine planète à peine explorée, ça peut être tentant.

Que se cache-t-il derrière le "Blok 61" ? Pour naviguer dans le multivers, il faudra bien le découvrir.

"De Profundis" : un conseil, méfiez-vous de la rénovation de certains bâtiments anciens. Pourraient bien y être dénichés de très malodorants secrets.

Avec "Ad Infinitum", il s’agira de répondre à la question : pourquoi n'arrive-t-on pas à revenir d'un univers parallèle ?

Enfin, quel peut être le destin d'un agent secret à la dérive? On le saura peut-être dans "Déserteur, pour toi ce labyrinthe".

Gratuitement téléchargeable sur
- Amazon : https://www.amazon.fr/Palimpsestes-futurs-Jean-Christophe-Heckers/dp/1521464944
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- Kobo (et autres Fnac...) : https://www.kobo.com/fr/fr/ebook/palimpsestes-futurs - https://www.fnac.com/livre-numerique/a10790999/Jean-Christophe-Heckers-Palimpsestes-futurs
Il sera seulement suggéré comme prix à payer de laisser une appréciation...
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Jean-Christophe Heckers
De "speed writing" je tire "SW", d'où "Short Waves", d'où le titre en français, Ondes courtes.
Ce sera la compilation des fragments rédigés en hâte lors des séances adéquates (même si en ce qui me concerne elles seront organisées hors-ligne et à un moment plus opportun - j'ai mes contraintes contraignantes...)
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Jean-Christophe Heckers



Dans le sommeil brillent les étoiles des profondeurs. Un ciel intérieur s’ouvre, explose, une nuit se déploie – autre. Le temps s’est dissipé, inutile, et les balbutiements de nos veilles cessent. Abolis par les songes : le langage est une vapeur. Quelque fée nous tend une fleur qui fond en lumière. Voici l’oubli. Lentement naît cette certitude : il faut savoir apprendre l’éternité.
Encore quelques rêves, et nous serons prêts.





La nuit prend soin de vos angoisses. Elle les rassasie patiemment. Mais aussi, pleinement. Angoisse, nuit : bientôt les deux ne font qu’une. Alors montent les brouillards. Vous vous retrouvez seul dans un monde qui n’est plus le vôtre. Les lumières rampent avec les ombres. Les blêmes torsades, les volutes lentes vous attirent en elles. Sans savoir pourquoi, vous vous arrêtez sur un pont et contemplez l’eau noire qui coule sous l’arche. Puis minuit sonne, qui vous laisse un goût de sang dans la bouche.






« Tu comprends », dit-elle, « tu comprends je t’aime bien, mais… », et son regard se détourne, elle baisse les yeux, le silence s’installe, une mouche va et vient dans l’air enfumé, les haut-parleurs vomissent soudain une musique aux accents rageurs, ça va petite, ça ne fait rien, j’ai compris, mais elle relève la tête et murmure « Excuse-moi », plusieurs fois et à chaque fois plus faiblement, quant à moi je songe que j’aimerais volontiers me noyer dans ma tasse de café et que malheureusement, non, malheureusement c’est impossible.





Le vent bouscule les préjugés du désir. Le vent pèse sur le front des dormeurs.
Un petit garçon tenait le vent entre ses mains, avec un air idiot. Mais le vent lui échappait et tournait autour des filles.
Désormais le vent s’est fait parole. Il ment sans jamais s’émouvoir.





Le spectacle étrange de mains croisées sur un espace vierge et closes sur leur secret… j’oubliai les mots que j’étais en train d’écrire et la lassitude qui tiraillait mon front. Restai sans bouger, comme en attente d’un ange. Les vitres éclaboussées de reflets me renvoyaient mon regard en crépuscules éclatés aux mordorures imprécises. Par-delà les rires somnambules je percevais le battement de mon cœur et, comme du bout des doigts je dessinais son visage sur la table, il m’apparut – par une étonnante conjonction – que l’amour avait saveur d’étoiles.





L’adieu aux horloges muettes sur les rivages désertés. Des mouettes fatiguent le dernier azur en criaillant. Blêmes parmi les vagues, des enfants piègent les crabes avec de grands rires.
Soleil mourant derrière les dunes, juste assez kitsch pour donner à la scène une ambiance douce-amère. Au creux des coquillages aux ressacs factices, j’écoute le désespoir, en souriant.





Penché à sa fenêtre, le torse dans la lumière. Il porte les mains à ses yeux comme pour un sanglot. Puis croise les bras et regarde le ciel.
Des nuages courent sur le plafond de sa chambre, ou des reflets. Il est peut-être midi. Le soleil explose dans les vitres. Lui regarde au-dehors, le visage tel un masque mortuaire.
Il finit par se retourner et disparaît dans la pénombre. Réapparaît un peu plus tard. La rue s’est emplie et charrie des foules. Il regarde.
Nul n’échappera à sa solitude.





Une odeur d’étincelles roule sur les miroirs décervelés. La pénombre du chant des sirènes. Vont et viennent des étoiles qui frissonnent. Nos rires mordent le crépuscule des roses. Les derniers souffles de l’été dansent sur nos paupières et balaient la lassitude. Au-dessus de nous palpite une attente bleutée, très lentement.





Tu peux toujours attendre, sa main s’est figée sur l’horizon, il ne viendra plus. Je le sais bien : ce n’est pas le désir qui te faisait pleurer au soir, mais la terreur des vitres creuses… Désormais tu mesures l’oubli à l’aide d’un métronome, fracasses son image irisée, écartèles les aiguilles des horloges osseuses et tournes le dos aux diaprures du soir. Je te l’avais bien dit : ses yeux étaient trop profonds et il n’y avait aucune étoile pour te guider dans ses caresses entrecroisées. À vouloir le trouver tu as perdu toutes les constellations.




(1986-1987)




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Défi
Jean-Christophe Heckers



Voici l'une de mes explorations théoricopragmatiques de ce curieux phénomène qui porte des êtres soi-disant intelligents à extraire de leur amas de neurones assez de matériaux pour constituer des accumulations de paragraphes lesquels mis bout à bout forment ce qu'on appellera pompeusement une œuvre littéraire. (Vous pouvez respirer.) Ce désordre mental, fort courant, frappe tôt et s'avère généralement incurable. Mais point n'est ici la question de savoir si on pourra un jour guérir les pauvres égarés dont je fais partie – et même assez fièrement malgré tout, ce depuis déjà une trentaine d'années.




En matière d’écriture, j’ai au fil des pages élaboré une certaine méthodologie, non, pardon, n’exagérons rien, plutôt une façon de procéder où se mêlent rigueur (espérée mais jamais atteinte) et fantaisie (ou je-m'en-foutisme). Ça semble devoir ressembler à quelque chose comme :
Une amorce (un début de texte, un fragment de brouillon, pas trop court, une taille de deux pages semble me convenir), dont
je commence par isoler les composantes premières – personnages, lieux clés, situations préalables –,
puis les implications de tout ça (par quoi le récit va devoir nécessairement passer, les potentialités de développement, comment untel ne peut pas se comporter, quelles sont les relations existantes ou à envisager entre les personnages, etc.),
ceci aboutissant à une pré-structure en forme d’arbre dont les ramifications possibles sont sujettes à un questionnement de pertinence, à base de « si, alors, mais pourquoi » et autres interrogations douteuses,
et menant après élagage des nombreuses branches pourries à l’élaboration d’une trame raisonnablement (sic) solide,
après quoi, il n’y a plus qu’à se lancer dans la rédaction (ce qui est plus facile à énoncer qu’à réaliser).


Il est fort courant que ce processus ne passe pas par le support papier. J’ai pris la très fâcheuse habitude de ruminer mes idées avant de les transformer en bouse. Un des points problématiques est que je suis capable de les oublier, ce qui doit certainement signifier qu’elles ne valaient même pas quelque chose d’invisible émanant d'un rongeur qui apprécie les carottes. Il reste un avantage : les repentirs sont ainsi moins douloureux, et je n’ai pas à me justifier de changements de cap qui pourraient paraître saugrenus.


Clarifions le propos en concrétisant.



Et prenons l’exemple d’un roman fictif dont le nom de code sera Zébulon. Ce sera plus pratique pour comprendre le mode de fonctionnement de la chose, et ce qu’on peut attendre comme résultat. (Pourquoi un roman ? Parce que c’est le fantasme de tout écrivassier, et qu’en l’occurrence c’est tout de même plus amusant que de vous parler de l'élaboration d'une nouvelle de cinq pages, j'aurais terminé en trop peu de lignes, ou d'une thèse intitulée Du Bonheur bouddhiste considéré au travers d'une Théorie submétaphysique du Marxisme post-freudien, ce qui deviendrait vite insupportable).




Au départ, le professeur A, marié, deux enfants, compte en banque respectable, épouse dévouée, calvitie en progression, tombe amoureux de la nouvelle laborantine, Priscilla[1], vingt ans affichés au compteur (trafiqué, car elle en a vingt-sept), libertine et mutine, qui est en concubinage avec un éboueur agrégé de lettres classiques. La première scène narre les émois du chercheur qui couve des yeux sa Priscilla pendant un pot de fin d’année, en plein cœur du labo, au milieu d’une impressionnante collection de virulentes et suspectes souches virales diverses enfermées dans des flacons bien fragiles ma foi.[2]


Nous pouvons d’ores et déjà estimer raisonnable que la situation sera source de tensions entre le professeur A et son épouse, que je prénommerai Hildegarde, et éventuellement entre Priscilla et Jean-Pierre de Taye, l’éboueur diplômé qui se trouve également être le digne descendant d’une noble lignée remontant à Louis le Pieux.
Il faut prendre en compte les différents caractères en présence :
le professeur A, soudain pris par la crise de la quarantaine alors qu’il va sur ses 57 ans ;
Hildegarde son épouse, délaissée (que voulez-vous, il court après le Nobel et n’a pas de temps pour des étreintes fiévreuses), mélancolique, qui rêve régulièrement du facteur, des pompiers de la caserne la plus proche, d’un légionnaire, et de son jardinier – un grand classique inépuisable – ;
Priscilla, qui trouve que son Jean-Pierre de Taye ne sent pas la rose en rentrant du travail, préfère de toute façon les hommes un peu mûrs capables de l’inviter au restaurant en moyenne cent-quatre fois par an, et a bien des difficultés à intégrer le concept de « fidélité » ;
Jean-Pierre, pour finir, ne rêve que d’une chose, faire du monticule de caillasses constituant les vestiges du château familial (situé peu importe où, mais loin et en pleine cambrousse au bout d'un long chemin empierré) la demeure de rêve pour lui, sa future épouse, et leur nombreuse progéniture à venir.
Il devient dès lors des plus probable que le professeur A finira par culbuter Priscilla sur la paillasse.
Que va-t-il alors se passer ?
Deux hypothèses alcalines, pardon, basiques, non, zut, simples :
c’est sans lendemain,
une liaison s’installe.
Dans les deux cas, Hildegarde et/ou Jean-Pierre peuvent avoir vent de l’affaire (par exemple via Gudrun, doctorante islandaise qui en pince pour son directeur de thèse, – le professeur A, qui voudriez-vous que ce soit d'autre ? – et les a aperçus alors qu’ils faisaient une expérience un peu bizarre dans la pénombre d’un début de soirée, au moment où elle se résignait à quitter sa blouse avant d’aller au cinéma regarder pour la centième fois son Godard préféré, Le Mépris, en compagnie d’elle-même).
L’option sans lendemain, quoique séduisante, me semblant moins riche en développements potentiels (sauf si Priscilla, par un funeste hasard, tombait enceinte), je décide qu’une liaison s’installe. Et que H et JP ne seront pas au courant tout de suite, car nos tourtereaux vont savoir rester discrets (aidés en cela par divers séminaires aux Antilles, conférences en Polynésie, et une table-ronde printanière sur les rétro-virus phosphorescents à Venise). Ceci étant en parfaite cohérence avec le caractère de nos personnages, je peux me permettre de considérer que mon choix est judicieux.
Toutefois, il advient que Gudrun (personnage marginal, mais décisif pourtant) décide à la fois de rentrer chez elle, à Stykkishólmur, et de faire payer au professeur A son mépris (c’est décidément un des mots de la langue française qu’elle préfère). Elle disparaît donc subitement, mais non sans avertir épouse et concubin. On appelle ça un coup de théâtre ou un rebondissement (mais vous pouvez appeler ça une biquette si ça vous chante). Lequel était pourtant inévitable (sinon comment justifier la présence de Gudrun ?).


La situation devient intéressante. Que va-t-il diable donc bien maintenant se passer juste après la page de pub ?
Hildegarde et Jean-Pierre vont-ils se rencontrer ?
Hidegarde, elle-même d’extraction à particule (on le découvre à l’occasion), succombera-t-elle alors au charme discret de Jean-Pierre ?
Divorcera-t-elle ? A combien se montera la pension alimentaire ?
S’arrangeront-ils pour que Priscilla la séductrice périsse dans d’atroces souffrances, après ingestion d’un plat de nouilles, nappé d’une délicieuse sauce au roquefort délicatement relevée d’arsenic et assaisonné avec une souche fabuleusement résistante de la peste noire ?
Que vont devenir Bobby et Pamela ? Et d’ailleurs qui ose espionner JR ?
Priscilla éliminée, sauront-ils garder assez longtemps leur terrible secret, ce qui leur permettrait de fuir en Patagonie ?
Ou bien, symétriquement, le professeur et sa bimbo lubrique se débarrasseront-ils de leur entourage (ils disposent pour ce faire des lots d’un vaccin mortel de chez mortel, fruit d’une erreur funeste alors qu’il était censé protéger de la grippe aviaire, gardés dans un coffre-fort ouvert au sous-sol juste à côté de la machine à café) ?
Fuiront-ils eux aussi en Patagonie (le pays des kangourous, selon Priscilla) ?
Durant combien de temps ladite Priscilla saura-t-elle cacher sa double vie (strip-teaseuse hard dans un casino clandestin auquel on accède par une porte dérobée dans la station de métro X) ?




Voilà beaucoup de questions ouvertes. Face à ce flot, toute réponse (justifiée) entraîne l’élimination des questions devenues superflues, etcetera. Naturellement, on peut encore chipoter et poser de nouvelles questions, mais si on continue comme ça, comme le bouquin ne s’écrira pas tout seul, il est préférable de réfréner les points d’interrogation et de faire des choix cruciaux autant que regrettables.
D’humeur peu morale, je décide que le professeur A et sa Priscilla d’amour vont, aveuglés par une passion meurtrière, éliminer consciencieusement leurs familles, voisins, amis, contrôleurs fiscaux, épiciers du coin, ainsi que divers propriétaires de bruyants deux roues motorisés parce que tant qu’on y est autant y aller franchement, et fuir à temps vers le pays des kangourous (entretemps devenu le Libéria), y fonder sous de fausses identités un hospice pour orphelins lépreux, y avoir un fils (qui sera lépreux aussi, mais pas tout de suite orphelin), lequel au soir de sa vie trouvera au fond d’une malle en carton les confessions de sa mère, écrites peu avant qu’elle succombe à une attaque foudroyante de fièvre ebola, et se suicidera de désespoir en apprenant du même coup que son père était en fait le professeur B (dont on n’aura pas entendu parler jusque là, mais qu’importe, n’avais-je pas dit que Priscilla était libertine et peu fidèle ?).




Ainsi notre roman est-il bouclé. S’il s’était agi d’une nouvelle, le déroulement se serait interrompu bien plus tôt, ou aurait été perturbé de sorte qu’une chute inattendue survienne avec la soudaineté de l’éclair dans un bas ciel d’orage au soir d’un été assommant de chaleur et grésillant d’insectes divers dont certains n’ont qu’une idée dans leurs trois neurones, vous pomper du sang, tandis que vous transpirez à grosses gouttes en maudissant la touffeur ambiante peu propice au moindre exercice physique ou intellectuel.
Il se serait interrompu plus tôt : laissant le lecteur en pleine perplexité au moment où, par exemple, Gudrun ayant tout dévoilé (zut !), Hildegarde s’apprête à dézinguer mari et maîtresse, on s’arrêtera juste avant l’instant fatidique, ce qui paraît-il se fait quelquefois (nonobstant qu’on a l’air de prendre le lecteur pour un con, ce qui est inconvenant lorsqu'on ne s'appelle pas Guillaume M., Marc L. ou Amélie N.).
Il y aurait eu une chute : Ingrid dévoile, Hildegarde et Jean-Pierre se fâchent, mais le professeur A se rend compte que c’est Ingrid qu’il désirait de tout son être jusqu’au bout de l’ongle sale du petit orteil droit, et ils filent à l’aéroport, s’étant enfin trouvés, direction le pays des kangourous qui se trouve, ça tombe bien, être l’Islande. (Les autres personnages et le lecteur en sont comme deux ronds de flanc, quand même, ne sont-ils pas gonflés ces deux-là ?) Oublions ça et conservons notre trame romanesque précédemment élaborée avec un soin pointilleux.




Maintenant, il va falloir trouver un titre à notre roman/nouvelle.
C’est le plus difficile. J’ai beau me creuser la tête, je ne vois pas. C’est dire si c’est difficile. J’en aurais bien un, mais il ne me plaît pas, finalement.
Ce serait Le pays des kangourous.[3]




Ici s’achève mon exposé. Je ne l’accompagne pas de schémas lacaniens biscornus, ça ferait trop, et puis j’ai une vraie histoire à écrire (parmi toutes celles qui frétillent). C’est l’histoire d’un professeur qui tombe amoureux de la toute jeune fille de sa logeuse, et qui alors…




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[1] Hommage à Pierre Desproges, qui aura une conséquence remarquable puisque Priscilla va devenir une héroïne romanesque à part entière, au sein d'un roman intitulé Vous Autres, dont vous aurez le plaisir de vous gausser lorsque j'aurai jugé bon de venir l'étaler ici.
[2] On ne voit ça que dans les films.
[3] Tout le monde sait que c’est le Mexique, cette île grande comme un continent, située au milieu de la Méditerranée – et j’espère ne rien vous apprendre, sinon ce serait très grave.


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Jean-Christophe Heckers

La première pensée que j'ai en la voyant, c'est « Merde, elle m'a repéré. » Réflexe habituel. Si je la croise, le premier mot qui me vient à l'esprit est toujours grossier. Malheureusement je la rencontre assez souvent. À croire que je suis maudit. Donc je suis repéré : elle met aussitôt le cap sur ma personne. Je me pare du plus pur sourire hypocrite, me prépare à saluer poliment en prononçant intérieurement « Alors connasse, toujours en vie ? ». Elle s’est enfilé une robe crème à paillettes qui la serre de partout, fait remonter sa poitrine jusqu’aux oreilles. Vêtement de chasse. Elle tient entre ses doigts une flûte qui doit contenir un liquide ayant bien peu de rapport avec le champagne, à part les bulles. Encore dix mètres, mais je n’ai plus le temps de me sauver. Elle rayonne parce qu’un vieux beau l’a reluquée. Elle joue la starlette après avoir croisé un altiste plutôt beau gosse. Petite, on ne t’a jamais dit que les altistes étaient pédés ? C’est un claveciniste qui m’a raconté ça. Il avait un coup dans le nez, mais manifestement il avait l’air bien au courant. Encore huit mètres.
Je suis habillé pauvre. J’ai une place éloignée de la scène mais où l’acoustique est bonne. Ça ne suffira pas à la dissuader de me mettre le grappin dessus durant les quelques (longues) minutes d’entracte. Je pourrais être encore plus mal habillé que ça ne la rebuterait pas. Les hommes sont ici denrée courante, mais elle n’a pas dû en trouver qui l’intéresse assez. Il faut qu’il soit raisonnablement convenable. Entre pas trop moche et franchement canon. Et seul, ou avec l’air de s’emmerder en compagnie d’une jeune fille fade. Et donnant l’impression de ne pas avoir un compte en banque de smicard. Je suis d’une caste inférieure à celle qui la titille habituellement, mais bon. Il faut que ça tombe sur moi. Et puis c’est une spécialiste des braguettes. Dès qu’elle en voit une, elle éprouve l’irrésistible besoin de savoir ce qu’elle cache. Or je manque à la collection. L’objet rare qui se refuse. Ça fait des mois qu’elle cherche à me choper. Essaie toujours, traînée.
Contact. La chose me tend ses joues. Bisouilles. C’est qu’elle me bave dessus, la catin de Neuilly. Je conserve mon sourire. Eh, ça va la vache ? Elle manque de renverser son verre et glousse. Je me demande ce qui m’a pris de lever mon cul du fauteuil. Sans doute le besoin de me dégourdir après une quarantaine de minutes de musique dépressive. Envie de prendre un peu de recul. « Tu vas bien ? Ça faisait un bail. » Tu parles. À peine une semaine. Mais à la dernière entrevue elle était complètement bourrée. Je ne dirai pas que ça m’a dérangé. Je préférais dix fois qu’elle pompât la bouteille plutôt qu’elle s’efforçât de m’explorer l’entrejambes.
J’avais été invité à l’anniversaire d’un peintre décadent, et naturellement il fallait qu’elle en fût. Je m’étais emmerdé ferme jusqu’au moment où Matthieu m’avait sauté dessus, après quoi nous avons joué les pépés du Muppet Show jusqu’à une heure impossible en nous gavant de trucs salés arrosés de jus de fruits. Il était habillé n’importe comment mais sexy comme à son habitude, les cheveux en bordel à première vue pas lavés (seulement une impression), et pas rasé depuis une semaine. Ça faisait tache. La troupe des artistes dégénérés était vêtue classieux et mode, ce qui en disait long sur leur esprit contestataire. Elle avait bu de quoi rendre un alcootest particulièrement cramoisi, mais l’arrivée de Matthieu l’avait dégrisée aussi sec. Elle a essayé de se le faire, et pas qu’une fois, mais lui ce n’est pas le genre à raffoler des poules de luxe. Il l’a prise en grippe tout de suite. Elle a fini par le sentir, au bout d’une centaine de remarques assassines.
Matthieu, si on veut le décrire brièvement, est une manière d’ange qui abuse du rock hardcore, auquel il eût pu être donné de devenir mannequin mais qui a toujours préféré renvoyer ce genre de suggestion avec la mention Je ne suis pas une pute. Il sort avec une fille improbable qui se prénomme Cécile et tient plus de l’hystérique hallucinée que du prototype féminin des magazines, du moins à première vue. Encore plus trash que lui, elle s’est offert une boutique de vêtements en cuir un peu genre sado-maso. Avec un troisième larron, ils ont monté un groupe dont un tiers des chansons est en grec ancien, un tiers en latin, et le reste en français. C’est elle qui écrit les textes. Imaginez Héraclite sur fond de guitares électriques désaccordées. Mais ce n’est qu’un passe-temps. Matthieu tient une petite librairie, elle sa boutique, et le troisième (dont je n’ai jamais réussi à retenir le prénom) sert dans une haute administration.
Bien. Je ne vois pas pourquoi je me mets subitement à évoquer Matthieu, hormis le fait que je comptais bien le trouver ici, prêt à être assourdi par la huitième de Chostakovitch. C’est ce genre de musique qui nous a rapprochés. Un jour nous étions en train de fouiner dans le même bac de disques et avons commencé à lorgner sur les choix de l’autre, moi me disant par ailleurs que le mec à côté de moi avait dû se gourer de rayon (le Death Metal était à quelques mètres), puis nous nous sommes mis à échanger nos impressions (Sanderling ? Ouais, parfait, mais le dernier Mravinsky est vraiment mieux. Non, pas Haitink, là il s’est planté. Prévin ? Tu as le Prévin ? Le premier ou le deuxième ?). Après quoi on a été boire un pot. Au début je me suis demandé s’il me draguait, et finalement non. Le lendemain soir j’assistais à un de ses concerts, faisais la connaissance de Cécile, et ainsi allais me retrouver avec deux amis supplémentaires. Peu à peu je me suis mis à l’entraîner dans certaines soirées qui pourraient s’avérer plaisantes à la condition que nous nous en amusions ensemble. Cécile est venue une seule fois. Elle s’était mise à psychanalyser l’ensemble des invités, ce qui fut considéré comme un peu déplacé. Mais passons et revenons-en à la pouffiasse.
J’avance un « Tu es ravissante. » Compliment facile. Elle est flattée. La flatterie, c’est toujours du haut vers le bas. Quelque chose qui lui échappe. Ce dont elle a parfaitement conscience en revanche, c’est d’être d’une plastique impeccable avec en sus un minois des plus ravissants. Bimbo du gratin. Je ne me souviens plus comment je l’ai connue, mais ce devait être lors d’une de ces soirées costumées, où il est convenu de s’habiller en croque-mort et de grignoter des petits fours en bavassant platement. J’en ai eu ma dose, mais c’était parce que ma frangine en organisait et qu’elle tenait absolument à ma rassurante présence. Elle continue sans moi. Je m’en suis tapé une bonne douzaine avant de prétexter avoir trop de travail pour me permettre d’aller badiner avec les mondains. Ce n’est pas de ma faute si elle a épousé un violoniste connu, mais au talent pas très incontournable, et si ça l’a propulsée dans des sphères inespérées. Quant à m’en faire profiter, merci bien, mais ce n’était vraiment pas la peine. Si c’était pour m’amener à rencontrer ça…
Bref. La conne glousse encore et manque m’étrangler en se pendant à mon cou. D’ici dix secondes elle va se frotter contre moi. Je me dégage vite fait. Elle minaude. Qu’il est timide, pauvre chou. Elle prend des nouvelles. Comment vais-je. Que fais-je. Que vais-je faire. Et les vacances. Et ma sœur. Je demeure concis. Les questions ne permettent pas de rester à de basiques oui ou non mais j’en dis le moins possible. Elle évite prudemment d’évoquer ma moitié. Ça lui a déjà coûté des baffes. La méfiance est de mise. Elle n’osera plus la trouver vulgaire, mal fagotée et inculte face à moi. Arguments d’ailleurs tout à fait fallacieux. Je vis avec une encyclopédie capable d’exhiber deux maîtrises et un doctorat, trop mignonne pour moi, et surtout trop bien élevée, qui ne connaît comme pire gros mot que zut et dont l’unique défaut est un manque cruel d’envie de bosser.
Je demeure distant, la seule question à lui poser qui me vienne à l’esprit étant de savoir si elle s’est bien remise de sa dernière cuite. Mon regard parcourt l’horizon de crânes grisonnants et de manteaux en peaux de bêtes. Pas de synthétique par ici. Ça ne se fait pas. Je commence à avoir envie d’appeler au secours. Je ne vois personne de ma connaissance, je veux dire personne de fréquentable. Vivement la petite mélodie qui nous précipitera tous vers nos inconfortables sièges. Dans une éternité.
J’essaie de m’en débarrasser en prétextant avoir besoin d’air. L’idée la séduit. Elle va m’accompagner. Espérons que l’air soit bien frais. Qu’au moins ça réfrène ses ardeurs. Ou qu’elle préfère vite retourner au chaud. Je consulte brièvement ma montre. Encore une petite dizaine de minutes. Quel calvaire. Nous commençons à nous extirper. La vicieuse me colle au train comme si elle espérait que son feu au cul soit communicatif. Espère donc, pauvre truie.
J’ai déjà oublié à quoi avait pu ressembler la première partie du concert. C’était assez lent et lugubre. Un concerto pour violoncelle. Ça au moins je m’en souviens. Pour le reste c’est le flou intégral. Salope. C’est de ta faute. Bon, c’est que ça ne devait pas être si terrible que ça. Alors que je joue des coudes au milieu des éternels endimanchés et des fourrures collées sur des pots de peinture, je la sème presque. Presque seulement, car les vieux se hâtent de s’écarter pour elle, sous l’œil éteint de leurs vieilles.
À peine sur le trottoir (sa seule vraie place) la charogne se jette sur ses cigarettes. Si j’ai du feu ? Non. Manquerait plus que ça. Et même si j’en avais, soudain je ne trouverais plus briquet ou allumettes. Elle est obligée de sourire à un type quelconque pour allumer sa clope. Le pauvre en salive déjà. Mais elle remercie brièvement et m’arrache le bras pour que je la suive un peu plus loin. J’essaie de nouveau de m’esquiver. Je m’inquiète faussement du manque de temps avant qu’il nous faille faire demi-tour. C’est que je suis tout en haut, et au fond. Rien n’y fait. Elle a décidé que nous avions le temps. Malheureusement c’est vrai.
J’essaie d’être perfide. Comment va son mec ? Elle grimace. Encore faudrait-il savoir duquel je parle. Le dernier dont j’aie eu connaissance a tenu quinze jours avant de se rendre compte qu’il était cocu dès les cinq premières minutes. Elle prend une pose pensive et déclare qu’elle l’a quitté. Je ne sais pas de qui elle parle mais peu importe, je hoche la tête avec un air attristé. Il en avait une toute petite. Voilà le prétexte principal de la séparation. J’en reste sans voix. Que répondre à ça ? Rien, et d’ailleurs elle est déjà passée à autre chose. Elle mate en se frictionnant les bras. Elle a repéré quelque chose. Ce sera peut-être l’occasion rêvée de m’en défaire. Et puis non, le poulpe considère finalement que ça n’en vaut pas la peine et se met à causer expos. Je ne l’écoute plus, me contentant d’osciller du chef comme ces chiens en plastique qu’on plaçait autrefois à l’arrière des voitures.
J’aperçois Matthieu qui a juste passé la tête au-dehors, a grimacé en voyant qui m’avait accaparé, et s’est replié prudemment. J’essaierai de l’intercepter à la sortie. Le trottoir se vide. La petite musique doit retentir. Sans rien dire je me mets en branle suivi par machine qui tire sur sa robe. Nous passons les portes, remettons nos petits cartons roses aux préposés au filtrage et je romps au plus vite la communication avec mon vampire, vu qu’il faut que je grimpe assez haut et que je ne voudrais pas manquer même le silence avant la première mesure. Elle n’a pas le temps de réagir que je m’enfuis déjà. Je l’entends bien vaguement dire « A plus tard », mais évite de me retourner. Il faut espérer que tout à l’heure je puisse trouver Matthieu avant qu’elle m’intercepte. Pari risqué. La crevure est tout de même assez subtile pour me tomber dessus au bas des escaliers, même si je me précipite dehors aux premiers applaudissements.
Je n’ai que quelques secondes pour m’asseoir et pour me remettre de l’entracte avant de plonger dans l’abîme. Le premier mouvement se passe bien. Je savoure. Ça se gâte au second. Il m’apparaît soudain comme son portrait tout craché. Le troisième évoque ce que je serais prêt à lui faire subir avec délices : la passer au hachoir puis étaler le résultat avec un rouleau compresseur. Le cinquième se termine sur la désespérante certitude que ça ne restera qu’un fantasme. Peu à peu mon humeur est devenue franchement maussade. J’ai envie d’aller en coulisses piquer de la corde à piano pour l’étrangler aussitôt que je la reverrai. Je n’ai pas réussi à me concentrer suffisamment sur la musique. Je ne vois pas comment j’aurais pu, de toute façon, cette garce m’a foutu en rogne.
Les applaudissements meurent. Je suis effondré. Elle doit patienter quelque part, dans un endroit stratégique d’où elle peut surveiller les mouvements et se laisser contempler. J’attends un peu pendant que le troupeau piétine dans les escaliers. Pourquoi me lever, puisque je ne suis pas pressé de retourner me les faire brouter menu par la pire nympho qui existe. Puis une main secoue mon épaule. « Je suis venu te sauver la vie. » Matthieu. Je ne cache pas ma joie de le voir. « Elle est en bas. » Je soupire. Il cligne de l’œil : faisons-la poireauter et laissons-la découvrir qu’il y a un intrus. Elle et lui, c’est l’antagonisme poussé à son paroxysme. Mettez-les ensemble assez longtemps et vous assisterez à une belle explosion. Je parie qu’elle va fuir. Surtout quand elle verra comment il s’est fringué. C’est moitié tenue spéciale salle Pleyel et moitié tenue je vais écouter Iron Maiden. Indescriptible. Je me demande si la veste en cuir usée par les ans va vraiment bien avec le nœud papillon, mais dans l’ensemble ça passe.
Nous descendons lentement. Poussons l’ultime porte. Rien du côté des vestiaires. Elle doit être dehors. Ce n’est pas le genre à lâcher le morceau comme ça. Nous avançons. Matthieu se compose un visage enjoué. « N’en fais pas trop », dis-je. Il hausse les épaules. Puis voilà la grue qui se dandine au bord du caniveau mais se fige aussitôt en nous apercevant. L’horreur se lit sur son visage. Regard de haine à mon encontre. Puis viennent les politesses d’usage. Matthieu propose que nous allions manger un truc quelque part, certain qu’elle refusera. Elle décline. J’accepte avec presque trop d’enthousiasme.
Nous nous écartons du bord du trottoir pour éviter une benne à ordures qui passe. « La voiture de Madame est avancée », fait Matthieu. Facile mais efficace. Elle tourne les talons et fout le camp sans répondre. Son bar préféré est à une centaine de mètres. On pourra vite l’y retrouver, vautrée sur le comptoir, en train d’emberlificoter quelque célibataire friqué. Façon de se remettre de l’affront.
Je demande : « Comment était le concert ? » Haussement d’épaules. « Sais pas. J’étais crevé, j’ai dormi tout le temps. » Nous rions. « Je vois », conclus-je sur le sujet. « Demain, même lieu, même heure. » Il acquiesce. Nouveaux rires. On se prendra deux places vraiment pas chères tout au fond, là où il n’y a personne, et on écoutera religieusement avant d’aller passer autant de temps à critiquer le concert dans un bistro. L’extase. Parce que tout de même, j’ai entendu dire que c’était fa-bu-leux. Autant revenir pour constater de soi-même. Mais c’est remettre les pieds sur un terrain de chasse giboyeux. Et le seul truc qui me gène, c’est qu’elle sera sans doute encore là.
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Jean-Christophe Heckers
Après-demain, il s'agira encore de rester diplomates.


(Couverture: illustration de Virgil Finlay - http://thevaultofretroscifi.tumblr.com/post/134430462802/vintagegeekculture-legendary-cover-artist)
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Jean-Christophe Heckers

C’est une très profonde forêt, demeurée ainsi depuis des temps immémoriaux, sillonnée de petits sentiers tortueux contournant d’obscurs et impénétrables taillis, parsemée de clairières parfaitement rondes recouvertes d’un épais et doux gazon. Au milieu de ces alcôves de verdure trônent indéfectiblement de grands pianos à queue blancs et mous, désuets vestiges du surréalisme qui, il y a de cela bien des décennies, dévasta la contrée. Toujours parfaitement accordés bien que personne n’y touche jamais, les pianos n’ont de cesse de se lancer dans de furieux arpèges ou de décliner les plus belles pages du répertoire. La forêt résonne ainsi souvent du fracas des collisions de Bach avec Chopin, de Scriabine avec Satie, funeste cacophonie qui fait taire les oiseaux exaspérés.
Il arrive qu’en cette sylve on rencontre des loups, mais ceux-ci sont fort craintifs – bien plus, croyez-moi, qu’ils le sont partout ailleurs. Il est vrai que d’ordinaire on ne les aperçoit ici que fuyant quelque princesse qui, bondissante, les pourchasse avec de petits cris excités. La raison de ce harcèlement est que, lorsqu’un loup heurte un arbre, ce qui est presque fatal au cours d’une fuite éperdue, il se métamorphose aussitôt en prince charmant, dans le genre beau ténébreux à la voix chaude et vibrante. Alors la princesse pousse un grand soupir extasié, puis le renverse dans les feuilles pour une sauvage étreinte à laquelle il est bien contraint de consentir, car hélas ! la tradition l’exige.
M’apercevant, l’un de ces loups s’est de lui-même jeté contre un tronc. J’avoue avoir été interloqué. J’ai désormais à mes côtés un prince qui me presse d’être son « compagnon d’âme ». Toutefois, ne sachant pas vraiment ce qu’il entend par là, je me tiens coi. Même lorsque, assis dans une clairière pour savourer quelque sonate de Haydn, il se met tout exprès torse nu dans une trouée de soleil, dévoilant des pectoraux admirables, des abdominaux spectaculaires et des bras magnifiques, je demeure sourd à son invite.
J’ai songé, au bout d’un moment, que peut-être si je le poussais assez fort contre un mur, il se changerait en crapaud. Or les murs font défaut, et d’ailleurs l’usage veut que seul fonctionne le processus contraire : les loups contre les arbres, ou les crapauds contre les murs, font aussitôt des altesses au port fier et superbe. Et puis, tout bien pesé, il est assez plaisant et ce serait fort dommage de le métamorphoser en bien vile créature. D’autre part, je n’ai jamais fréquenté de prince. Qui sait, il se pourrait que ce ne soit pas aussi désagréable que certaines mauvaises langues osent le prétendre.
Le soir descend. Il y a près d’une heure, pour autant que le mot heure ait encore ici un sens, nous avons croisé le petit Chaperon rouge et la fée Mélusine qui baguenaudaient tranquillement, bras autour de la taille, se chuchotant de douces paroles. L’air est chaud et délicatement parfumé. Les ruisseaux murmurent à l’unisson des poèmes voués à émouvoir jusqu’aux âmes insensibles. J’ai ouvert ma chemise et un vent coquin me chatouille la poitrine. À chaque pas, mon coude frôle celui du prince. Cela fait de curieuses petites étincelles et il parle vaguement de « différence de potentiel » avec un sourire étrange. Les pianos jouent de moins en moins fort des airs de plus en plus délicats.
Je me rends compte, quelque peu incrédule et à mon grand désarroi, que le contact de sa peau m’affole les sens. Je ressens des vertiges au moindre effleurement et le rouge me vient aux joues tandis que je défaille presque. Il se fait peu à peu plus pressant à mesure que mes résistances s’amenuisent. Et, alors que les premières étoiles scintillent entre les branchages, que le rossignol échappé du palais de l’Empereur chante à la cime d’un chêne, je lui accorde le « oui » qu’il attendait et entreprends, avec lenteur, de le dévêtir tout à fait sur l’herbe tendre.
 
 
 
juillet 1997
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Jean-Christophe Heckers

Les hommes avaient effectué un très dur labeur, toute la journée, et il était normal qu'ils fussent, pour la plupart, exténués. Ils avaient, aussi, extrêmement bien travaillé, et tout était maintenant fin prêt.
Désormais, tous attendaient que la nuit fût tombée, que la fraîcheur du soir les atteigne. Mais le soleil semblait les narguer en ne voulant pas plonger derrière les lointaines montagnes, aux portes du désert.
Samuel Cnox considéra longuement les trois astronautes qui étaient assis à côté de lui. Ils constituaient l'équipage de la fusée qui décollerait en premier. Holgerson, le visage grave, mâchait consciencieusement un chewing-gum. Werner lisait 2001, L'Odyssée de l'Espace. Et Sutland observait le sable qui voletait au dessus des dunes jaunes.
— Cigarette ?, fit-il.
Mais naturellement, personne ne lui répondit.

*

Le soleil était enfin passé au delà de l'horizon, et seule luisait encore une mince bande rosâtre sur laquelle se découpaient les pics déchiquetés.
Tous, ou presque, dormaient, allongés sur le sol encore brûlant.
Dans le ciel immobile, seule, Vénus étincelait.
Les fusées fines comme des aiguilles étaient pointées vers le firmament, comme autant de doigts qui semblaient dire : « C'est là qu'il faut aller ». Sous leurs coiffes luisantes, il y avait les vaisseaux de la forme d'une lampe torche qui iraient jusqu'à Mars. Chacun était pour l'instant logé dans un cocon métallique qui ne s'ouvrirait que lorsque les fusées auraient atteint le plein espace. Chacun attendait l'heure à laquelle il serait activé et bondirait vers les étoiles d'or.
C'était un soir nouveau sur un désert déjà glacé.
Le vent soufflait en rafales qui secouaient les fragiles mâts d'antenne, les poteaux supportant les fils électriques et les haut-parleurs.
Les tentes aluminisées sous lesquelles s'étaient réfugiés les techniciens frissonnaient, fouettées par le sable. Tout était immobile sur les neuf pas de tir.
Cnox se secoua et se retourna. Il regarda longuement les parois vibrantes de la tente, puis s'extirpa de son sac de couchage et se leva. Il faisait frais. Réprimant un léger tremblement, il alluma le radiateur électrique et jeta un coup d’œil au dehors. C'était une nuit comme toutes les autres. Enfin, pas entièrement… Car, à tout moment, on pouvait l'appeler et lui demander de faire décoller les fusées le plus rapidement possible.
Il sourit et entreprit de s'habiller. Puis, engoncé dans son anorak, il sortit. Le vent lui arracha un hoquet de surprise et d'indignation. Comme d'habitude, il ne s'était pas attendu à ce qu'il fasse aussi froid. Mains dans les poches, il marcha longuement et inspecta soigneusement les neufs tours de lancement. Les câbles d'alimentation étaient encore reliés aux fusées, et les pompes prêtes à remplir les réservoirs.
Soudain, une voix l'interpella.
— Cnox ! Eh, Cnox !
Il se retourna : c'était son adjoint, Spaulding. Celui-ci le rejoignit en courant et lui tendit une enveloppe. Cnox la saisit et la déchira.
— Qui vous l'a remise ?
— Le radio.
Cnox grimaça, lut, et d'un pas rapide se hâta vers le camp.

*

Le personnel de la base était au complet dans la grande salle de réunion.
Spaulding nota avec amusement que beaucoup somnolaient sur leurs chaises. Debout sur l'estrade, Cnox parlait.
— … Les Russes peuvent faire partir les leurs d'une minute à l'autre. Peut-être même est-il trop tard. C'est pourquoi nous devons faire vite.
Un brouhaha général suivit, noyant ses dernières paroles. Mais l'essentiel avait été dit.
Vers minuit, une agitation fébrile gagna le camp. Les tours de lancement furent inondées de lumière par une multitude de projecteurs dissimulés dans les dunes, et les techniciens procédèrent aux ultimes essais et vérifications. Les tentes furent démontées à la hâte et chargées sur des camions qui les emportèrent, ainsi que tout le matériel inutile, à plusieurs kilomètres de là. Enfin, le personnel, à l'exception des techniciens travaillant dans le blockhaus de contrôle, s'éloigna lui aussi loin des fusées.
Les astronautes prirent place dans les vaisseaux.
Samuel Cnox resta un peu plus longtemps pour contempler une dernière fois la réalisation dont il avait été l'auteur. Puis, quand les lumières baissèrent, il sauta dans sa Jeep et partit loin des colosses éclipsant les étoiles.

*

« Encore deux heures », songea Spaulding. Il se versa un autre café, bien fort, qu'il avala d'un trait. Combien en avait-il déjà bu ? Une dizaine, peut-être. Mais c'était sans aucune importance. Cnox n'avait, lui, aucunement besoin de café. Il était déjà bien assez nerveux comme ça. L'impatience le rongeait, et il regardait fréquemment sa montre. S'il eût pu faire avancer le temps…
Mais tous étaient comme lui, impatients de voir les flammes jaillir des tuyères, la poussière et la fumée former un nuage opaque sur un bon kilomètre de diamètre.
Encore une heure.
Spaulding lisait, pour tuer le temps. Cnox, de plus en plus impatienté, faisait les cent pas sur le sable froid.
Plus que trente minutes.
La voix d'un des techniciens enfermés dans l'abri de béton jaillit avec force dans les haut-parleurs.
« Décrochement de toutes les alimentations énergétiques externes. »
Cnox serra les dents : tout allait bientôt se jouer.
— Un peu de café ? lui proposa Spaulding.
— Non merci.
Spaulding hocha la tête, et s'en servit une pleine tasse.
Quinze longues minutes encore. Vers l'orient, en direction des fusées, un dégradé rose annonçait la venue prochaine du soleil.
Cnox regardait fixement les tours de lancement rendues minuscules par la distance. « Bientôt », se dit-il. « Bientôt ».
Cinq minutes. Attendre, toujours attendre.
Au moment où l'astre flamboyant parut, à l'instant précis où brilla le premier rayon, un torrent de flammes jaillit du dessous des fusées. Elles hésitèrent un moment, accélérèrent doucement, et se perdirent dans le ciel pur, laissant derrière elles neuf sillages d'or.
Un instant oublié, le silence retomba sur le désert.
Cnox murmura quelque chose et se tourna vers Spaulding.
— Venez. La journée va être longue.






Première publication : Association mulhousienne de Science-Fiction (AMSF), anthologie Jeunes Auteurs alsaciens, novembre 1984.
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Jean-Christophe Heckers







Sur la peau
un petit sillage pourpre


lui me regarde avec
des yeux de poisson mort
promenant ses doigts
sur une aube dégoûtée




– Riez ou criez criez criez jusqu’au
summum de la douleur – m’aimes-tu
alors hurle toute ta crasse –




le soudain visage
éclairant la nuit
lui me regarde
avec des yeux d’étoiles pourrissantes
pleurant toutes leurs étincelles


sur la peau des orages
magnétiques
ses doigts
de silicium et d’amiante




– Ne tourne pas la tête ou
ils nous tueront
nous nous tuerons
nous sommes eux toi moi VOUS –




jouissance rafales de mitrailleuses
pleurerons
en éclaboussures noires
le vol anéanti
des aubes d’été


(tu es plus belle et plus douce)




– Criez jusqu’à la limite
de vingt-quatre fois par seconde
puis alternez vos cris
des mots jailliront d’eux-mêmes
suinteront de vos rictus –




des images scintillent
sur le
petit sillage pourpre
des images
de vols anéantis aux étoiles pourrissantes
d’orgasmes




(Ses yeux ne sont pas ouverts.
Il craint d’avoir mal
et se reflète dans un chant obscur.
Il se rappelle l’aimé
qui le délivra l’espace d’un soir.
Et ses paupières tressaillent
sous la morsure absente du baiser)




dénouant ses cheveux
avec un rire de muraille le vent
délié
replié entre ses seins


paysage sous le tonnerre




– NE VOUS OPPOSEZ
EN AUCUNE CIRCONSTANCE
AUX FORCES ARMÉES –




(Dame des aurores
Dame des silences
J’ai cru pouvoir aimer
La belle Dame sans merci)




ils brûleront nos livres
pas notre jouissance
il n’y aura JAMAIS de formulaires
pour le plaisir


(Prenez la position F-129-3 et tenez-la
pendant un quart d’heure
puis retirez-vous et éjaculez
dans le mouchoir sanitaire
fourni par nos services)


elle colle mon visage
pardon mon oreille
contre son cœur – je n’entends rien


sur la peau une lame de rasoir
en zigzag traçant des figures
incompréhensibles il me regarde
avec une aube d’été




– Ne crie pas laisse-toi aller
les larmes et le sang
départagent l’innocence et la traîtrise –




il me regarde
avec un sourire de fouine


parmi les ombres réfutées
et les éclats de musique
nous passons en tremblant
et nos mains dispensent des brasiers
d’améthyste sur la peau


elle lâche ma main et
se détourne pour pleurer
se met
à courir


(détonations sèches
à quelques rues
de distance)


il me regarde avec une
aube d’été
dans les yeux


je ferme les poings
sur la lumière
la nuit mordille mes veines


il caresse mes cheveux sous
les étoiles pourrissantes


il n’y a pas d’échappatoire




– VOUS NE DEVEZ PAS

FRANCHIR CETTE LIMITE –




crissement d’aiguilles
sur la vitre


elle sourit
au sang d’offrande


ongles grattant
les murs


les bandes magnétiques
tournent à vide




– Ce n’est rien calme-toi
il va pleuvoir –




paysage sous le tonnerre en négatif




– Rien que toi et moi mon amour
je t’étranglerai –




enregistrement d’explosions
joué à l’envers
puis ralenti maximum
(des râles)


je fourbis des mots orgasmes
caquetant comme des compteurs Geiger




– Tourne-toi je veux te baiser –




il acquiesce en se dévêtant


elle pâle
et nue
attentive
au paysage piqueté d’aiguilles
évanescentes


la nuit grouillante de rires abjects
à moitié ivres se tenant par la taille
et hurlant bestiaux pour l’abattoir


je ferme les poings
sur la lumière




– NOS ORDRES SONT DES VÉRITÉS –




elle lisse ses cheveux d’algues
au parfum d’explosion son sourire
écrasé contre une vitre
son sourire de glaire


il acquiesce en se dévêtant
sous le
tonnerre en négatif


sommes-nous prêts pour le
cri du violon sur négatif en tonnerre
à moitié ivre


elle nous regarde faire en souriant




– Maintenant à moi de te prendre
chacun son tour –




odeurs de pluie
de muqueuses tièdes
d’abattoirs grouillant d’étincelles
roses et vertes




– SAUVEZ VOTRE PEAU

NE PENSEZ PAS –




des rats à toute allure
sur le charnier
des abjections
et des mots doux


l’aurore écartelée
en place publique


je fourbis mes
perversions
pour les mots de tes orgasmes




– L’ORDRE DES SENS DOIT ÊTRE

LA CONDITION DU DÉSIR –




il pleut sur les
cadavres exquis
des anges écartelés


algorithmes du plaisir enfournés
dans les calculateurs


ne vois-tu rien venir le ressac des
cités anéanties vibre
dans nos fureurs imbéciles


elle offre sa nudité aux charniers
en riant


crissement d’aiguilles


tenir bon jusqu’au paroxysme mathématique


vos nudités confondues
pantins désarticulés
aux râles de sclérose il acquiesce


tonnerre en flocons d’images
la structure câblée de la réalité
saute en flashes au ralenti


corps brisé immolé par
les animaux fascisants




– Crève pédale –




je cours vers
ses mains dévorantes
ses hanches d’obsidienne


ses cheveux de névrose
s’entortillent
en flashes
autour des volontés mécaniques


claquements d’armes à feu
calmant
les souffrances magnétiques
en va-et-vient vitesse maximale
les lèvres retroussées




– VOTRE  SEUL DROIT EST LA SERVITUDE –




illuminés d’orgasmes numériques
cris à quatre cent trente hertz


retour à zéro


pause
puis effacement


annulés les programmes
de torture sexuelle


Hélène de Troie au pilori


il me regarde en acquiesçant


répétition générale
avant exécution
du programme de
décérébration


DIEU EST MORT


à votre tour prenez place dans la file
des tonnerres verts et roses


remise à zéro


néant


les bandes magnétiques tournent à vide


le vent délie
néant
l’Âge d’Or
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Jean-Christophe Heckers

La mort au regard perdu
au regard de lune et de sang frais
danse sous les oliviers


(Et les étoiles se taisent)


Il y a dans l’air un goût
de verre pilé et de pharmacie
un goût de sexe et de café


(Et les amants se détournent)


Rien ne sert de dormir
toutes les colombes sont égorgées
les chasseurs traquent la mélancolie


(Et les espoirs se craquellent)


Un baiser marque l’emplacement
du coup à porter d’un geste sûr
une caresse l’angle sous lequel frapper


(Et les yeux se ferment)


Ciel clair ciel noir ciel tranché
mêlé à l’eau noire du désir amer
au rire obscur du désespoir


(Et saignent les lys)


L’air est plein d’odeurs de terre sèche
de métal et d’herbe grillée
la mort danse sous les oliviers




(1992)
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