
Michto
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de toujours
Ces écrits sous forme de nouvelles décrivent des moments de ma vie. Une vie dirigée par un pervers narcissique pendant dix-huit années. Il n'y a que quelques mois que j'ai appris, grâce à mon cher mari, à mettre un nom sur ce personnage qui ne sort pas des méandres d’un esprit malade et paranoïaque d'une quelconque légende ou d'un énorme débordement de mon imagination. Non, ce n’est pas une fiction montée de toute pièce, mais bel et bien la narration d’une réalité (pas des plus drolatiques, ça je vous l’accorde aisément). Je souhaiterais en faire un livre pour que mes enfants puissent me lire un jour. J'aimerais qu'ils comprennent un peu mieux pourquoi , moi, leur mère, traîne des casseroles, voir même des batteries de cuisine depuis toute une vie.
Mettre un nom à un problème ne veut pas dire le résoudre mais il m'aura permis de décoder et de mieux connaitre indirectement celui qui aura réussi à broyer quatre vie dont la mienne.
Je tenais également à m'excuser à l'avance du non respect de la chronologie de mes nouvelles. J'écris des instants de ma vie qui me reviennent au fur et à mesure et de ce fait laissent un pseudo livre décousu. N'étant pas bonne couturière les retouches se feront au fur et à mesure de mes nouvelles, avec votre aide si le cœur vous en dit.
En vous souhaitant bonne lecture.
Michto
Mettre un nom à un problème ne veut pas dire le résoudre mais il m'aura permis de décoder et de mieux connaitre indirectement celui qui aura réussi à broyer quatre vie dont la mienne.
Je tenais également à m'excuser à l'avance du non respect de la chronologie de mes nouvelles. J'écris des instants de ma vie qui me reviennent au fur et à mesure et de ce fait laissent un pseudo livre décousu. N'étant pas bonne couturière les retouches se feront au fur et à mesure de mes nouvelles, avec votre aide si le cœur vous en dit.
En vous souhaitant bonne lecture.
Michto
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Défi
Toutes les semaines un rituel s'était amorcé entre cette serrure et moi. Une invitation à l'indiscrétion en quelque sorte.
Il avait fallu un certain temps pour qu'entre nous une évidente fusion ne se révèle. Elle autorisait quelque chose de mal et moi je réalisais ce mal.
Qui n'a pas entendu, au moins une fois dans sa vie, que regarder par le trou d'une serrure ne se fait pas, que la curiosité est un vilain défaut,...
Je me retrouvais donc encore devant cette porte , n'hésitant plus à coller mon œil dans le trou et à regarder.
Au départ, je n'étais pas à l'aise puis, petit à petit, j'éprouvais dans cette appétence un plaisir, un bien-être à la limite de l'addiction.
La curiosité et le courage l'avaient finalement emporté sur l'indiscrétion et l'interdiction.
La porte elle-même au départ avait contribué à cette frayeur. Une porte sans numéro, verrouillée, et dont l'entrée m'était refusée.
Cette serrure paraissait ancienne, comme marquée par le temps et les tours de clés. Elle avait l'air solide et incassable. La porte en bois sur laquelle elle était fixée était d'un bois robuste et verni. Assurément ce devait être une porte de notables ou encore d'un petit château caché au fin fond de la France.
La pièce que j'observais était abondement décorée: tapisseries anciennes et grands miroirs ornaient les murs, l'immense escalier circulaire que j'arrivais à voir, semblait être sans fin. Le carrelage en damier contrastait avec le reste de la pièce et donnait une sensation de froideur perceptible. De là où je me tenais, je pouvais voir en arrière plan une autre porte, ouverte, donnant sur un jardin. Je ressentais presque la chaleur hésitante d'un printemps naissant. L'herbe était verte et parfaitement taillée. Je voyais des personnes paraissant s'amuser. Placé trop loin, je ne pouvais les distinguer et déterminer leurs âges. Qui sont-ils? Que font-ils? A force d'observations, ces questions ne s'avéraient plus aussi importantes qu'au début. Je connaissais toute leur histoire. Parfois, il m'était arrivé d'assister à des scènes terribles entre eux. C'était notre secret. Une sorte de contrat tacite. Elle me laissait regarder et je gardais le silence.
La curiosité avait ses limites. Si je voulais continuer mon impudence je ne devais pas exagérer et m'attarder trop longtemps. "Peut-être qu'ils vont me surprendre" pensais-je, les yeux rivés à la serrure...
D'un pas chassé, je m'étais décalé et éloigné du tableau, ne laissant dans l'air que la trace invisible de mon imagination et cédant la place à de nouveaux curieux.
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Défi
« L'étiquette n'est pas assez grosse ?!!!!
J'ai dit pas de pub !!!! »
Je marmonne encore toute seule. La prochaine fois que j'irai chercher le courrier ce sera avec un sac poubelle, zou direct aux ordures les cartes de voyants experts, les catalogues et leurs soldes, les relevés bancaires (c'est bon je les ai en ligne), le. Tiens une lettre.
"On ne se connaît pas encore mais tu as le choix entre continuer à lire cette lettre ou stopper net. Dans le deuxième cas, si c'est celui que tu choisis, alors tu remettras la lettre dans l'enveloppe , la refermeras et la reposeras dans la boite la plus proche à ta droite. Ne t'inquiète pas pour le nom et l'adresse nous nous occupons du reste.
En revanche, si tu décides de continuer à la lire et ce à partir de maintenant tu t'engages jusqu'à la fin et à faire ce qu'il sera écrit dessus."
Machinalement je me retournai pour voir si je n'étais pas observée. Personne de suspect dans les parages. Une caméra peut-être ? Pffff arrête ça tout de suite.
Tout semblait normal autour de moi sauf cette lettre. Je repris l'enveloppe que j'avais ouverte machinalement pour bloquer un peu plus sur l'expéditeur. Rien, pas un tampon, ni une adresse au dos, juste mon nom écrit entre lettres rondes et soignées...Un drôle de timbre était collé sur presque toute la longueur de l'enveloppe, pas très large mais très coloré . Il représentait un chemin avec des croix comme pour marquer une sorte de parcours, et finissait par un point d'interrogation.
J'allais me remettre à lire quand je la lâchai soudainement. C'est quoi ces conneries ???
Ma curiosité me poussa à ramasser ce qui commençait à paraître comme un torchon et un tissu de bêtises. Tu veux que je te lise eh bien je vais te lire et jusqu'au bout !!! Ma conscience se rebellait.
"Il semblerait que ta curiosité l'emporte sur le reste. Est-ce que tu as bien réfléchi aux conséquences? Tu seras seule juge de ta décision mais sache que tu ne peux en aucun cas revenir en arrière."
Il vont réussir à me faire sérieusement peur ces imbéciles … L’idée de terminer la lecture ne m'emballait plus tant que ça. Mais quand je voulu le remettre dans l'enveloppe, mes doigts ne pouvaient se séparer d'elle.
"C'est trop tard, tu as lu plus que ce que la limite ne te l'autorisait.
Te rappelles-tu du vœu que tu as fait lorsque tu t'es penché par dessus ce puit?"
Oui forcément, je fais le même depuis des années et alors ? Tout cette histoire commençait sérieusement à m'agacer. J'avais l'air belle avec ce papier collé aux doigts. Je décidai de finir cette lecture chez moi. Impossible. Mes pieds eux aussi étaient comme prisonniers du sol.
Soudain ma voisine sortit de chez elle et se dirigea vers moi. J'ai l'air fine !!! Elle arrive à ma hauteur, sa clé à la main.
« Salut ! »
Elle ne me répond pas
« Salut voisine !! » Rien venant de sa part, elle ne me regarde même pas. Elle prend son courrier et retourne chez elle.
Il faut en finir ou je vais exploser. La colère mélangée à de l'inquiétude nourrissait mon stress grandissant.
"Personne ne te voit ni ne t'entend. Tu as désiré changer de vie alors accroche toi."
C'était les derniers mots.
Mes mains disparaissaient dans la lettre puis ce fut au tour de mes bras. Je ne pouvais rien faire, à part assister impuissante à toute la scène. Mes épaules...la lettre lévitait devant moi pendant que mon corps en entier s'engouffrait entre les phrases de cet auteur inconnu.
Pas vraiment inspirée, je fermai mon ordi et sombrai dans un profond sommeil.
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_«Tu as vu?»
_«Non, quoi?»
Je tiens un livre que j'ai récupéré à la bibliothèque du collège. Allongée sur le ventre, je bouquine dans mon lit histoire de faire passer le temps. Ma sœur est en face de moi, assise à son bureau, studieuse. Je lui tends la page qui m'interpelle.
_«Tu connais les pendules?»
_«Pffff quelle question!!»
_«Nan, pas celles pour lire l'heure!!! Le Pendule! Celui qui te répond à n'importe quelle question!»
«_Ha oui....»
_«Il paraît qu'il dit la vérité et qu'il ne se trompe jamais!» insistais-je en voyant que, comme d'habitude, nos centres d'intérêts et notre pseudo-complicité s'éloignaient.
_«Tu crois que ça peut marcher avec n'importe quoi?» reprenais-je.
_«Je sais pas, j'ai jamais essayé...»
Comme tous les mercredis après-midi ma sœur était plongée dans ses devoirs et ses leçons. Les cours tout juste terminés, le repas avalé, elle se précipitait sur sa plus grande passion: l'école.
Moi ça me dressait les poils sur le dos et de la voir aimer ça, me plongeait dans une incompréhension la plus totale mais essentiellement dans une admiration des plus moqueuses. Bien plus tard je compris que c'était une échappatoire.
Ce que je redoutais le plus par dessus tout, c'était le premier jour des vacances. Ma sœur adorait jouer à la maîtresse et dans l'histoire j'étais forcément l'élève, la mauvaise élève. Peu importait lesquelles d'ailleurs, Toussaint, Noël, Pâques. Les grandes d'été j'y échappais un peu ou disons que, c'était moins concentré sur une petite période. Au final, j'étais obligée d'y passer quand même avec en prime les cahiers de vacances!
Il fallait bien s'accrocher à quelque chose; Céline c'était les études.
Je réfléchis un moment. Je me levai pour fouiller toute notre chambre, les tiroirs du bureau, dans ma grotte, rien. Le tour était vite fait, notre chambre était plus que modeste en objets de décoration ou même en meubles. Rien qui pouvait faire office de pendule....Je retournai bredouille sur mon lit.
Si! Ma chaîne de baptême!
Je me redresse, me tiens en petit tailleur sur mon lit dos à ma sœur. Je la détache de mon cou et la referme. Je la tiens désormais par les deux extrémités liées entre le pouce et l'index de ma main droite. Je glisse enfin mon autre main dessous la médaille, paume vers le haut laissant deux centimètres entre elle et la vierge Marie, qui se balance tranquillement pour finalement s'immobiliser.
_«Et qu'est ce que tu vas lui demander à ton pendule?» Me demande ma sœur sur un ton ironique. Je distingue tout de même dans son intonation sa curiosité à se frayer un chemin.
_«Déjà, ils disent qu'il faut déterminer le «oui» du «non» avec des questions dont tu es sûr de la réponse. Genre: «Est ce que je suis une fille?»
Ma sœur s’esclaffe!
_«Avant ou après ta nouvelle coupe de cheveux?» Me nargue t'elle.
Très drôle....Nous sommes mercredi et l'après-midi des règlements de comptes entre sœurs va certainement commencer. Un jour normal je me serais jetée sur elle, poings en avant et je lui aurais mis une bonne raclée.
Je ne relève cependant pas son attaque et laisse la hache sous terre. Trop impatiente de connaître enfin les réponses à mes questions, je continue à me concentrer sur mon pendule de fortune.
Il me semblait tenir entre mes mains la solution à nos problèmes, la porte ouverte à un avenir moins noir, à un avenir tout simplement. Mais la crainte aussi de ne pas avoir les bonnes réponses freinait mon enthousiasme et le doute s'installa...
Et si ce qu'il allait me révéler était encore pire que maintenant?
Et si je ne formulais pas bien ma question?
Et si il ne me répondait pas oui lorsque j'allais lui demander si l'autre allait bientôt mourir?
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J'avoue que Marseille me manque depuis quelques jours. J'ai envie de revoir certains amis, ma mère, mon frère et ma sœur. Ça me rend dingue de savoir que mon frère grandit sans m'attendre.
Tout va tellement vite. C'est dur ici. Un mois c'est écoulé depuis nos « au revoir » sur le quai de la gare. Ma mère m'avait suivi du regard jusqu'à tourner la tête pour ne pas dévoiler ses larmes. Je cachai les miennes aussi.
Mais rentrer et retourner à la vie normale me fait aussi peur.
À mon retour je n'arriverai sûrement pas à raconter ce qu'a été pour moi Evian. Peut être même que je n'aurai pas envie de faire l'effort. Comme si c'était trop important, trop secret.
Ce que je crains le plus c'est d'être incapable de communiquer, d'être seule. Mais je parle de la mauvaise solitude, celle qui fait se sentir loin de tous. Celle qui te ronge tous les jours un peu plus. Celle que tu n'apprécies pas et que tu redoutes car elle est vide.
Revenir c'est risquer de retomber dans une vie pépère et facile, sans rien chercher de plus. Le "plus" c'est quand même le BTS au bout de ces trois années d'études dirait ma mère.
Mais le boulot était loin de ce que je m'imaginais. « Les déjà passés par là » avaient raison.
Les journées attaquaient avant le soleil et finissaient à l'heure où les jeunes de mon age partaient en boite. Je n'en voyais plus la fin mais surtout l'ambiance était à mourir...
Servir un grand Émirat Arabe, apporter les petits déjeuners des stars dans leur lit, accourir aux moindres claquements de doigts fut mon quotidien pendant presque deux mois. Je n'aimais pas cette abus de pouvoir de mes supérieurs qui ne respecter pas les règles. Je n'aimais pas non plus les comportements hautins et pointilleux de cette clientèle qui avait déjà tout.
Petit à petit je m'enfonçai dans un engrenage mental où mes questions restaient sans réponse, mes doutes grandissants, mes peurs suffocantes.
Les rendez-vous quotidiens avec mes nouveaux amis me reboustaient le temps d'une ballade ou d'un mini concert improvisé sur les rails inexploitées d'un terrain à l'abandon.
J’enchaînai les visites chez le médecin du village qui me découvrit une petite dépression sans doute dû à l'éloignement. Rien de grave apparemment et quelques anti-dépresseur feront l'affaire pour finir ce stage qui s'était transformé en peine de prison.
Je reçus quelques lettres de ma sœur. Je ne lisais plus les premières lignes d'introduction tellement elle était prévisible.
« J'ai un peu de temps devant moi et vu que ton courrier commence à s'empiler sur mon bureau je préfère te les envoyer. Tes factures de téléphone sont exorbitantes et je préfère que tu les gères maintenant avec ton propre compte en banque ».
C'est vrai que j'appelai beaucoup mes amis de Marseille. J'avais aussi besoin d'entendre des voix familières, des encouragements pour finir ce que j'avais commencé.
Ma décision était quand même enfouit au plus profond de moi. Elle attendait juste le bon moment pour sortir. Comme si je pouvais encore reculer... Est-ce que je m'endormais réellement assise de la fatigue engendrée par cette exploitation abusive de mes employeurs ? Au début peut-être mais par la suite ce fut mon cerveau qui n'arrivait plus à se reposer. Il était actif, trop comparé au reste de mon corps. A son summum, il en profitait chaque soir désormais pour me rendre folle avec ces propositions obscures. Je sortis de moins en moins. Cette solitude tant redoutée avait creusé ma tombe.
C'est facile. J'ai tout ce qu'il me faut.
Qu'est ce que j'attends au juste ? Je repoussai inévitablement mon geste mais ma décision était prise. Je m'endormis encore une fois, assise, toute habillée.
J'avais du mal à ouvrir les yeux ce matin. Mes paupières me brûlent, elles sont lourdes et j'ai un mauvais goût dans la bouche.
Mon lit est plus confortable que d'habitude. J'ai même un peu de lumière naturelle dans ma chambre. Il fait beau dehors.
J'ai du mal à émerger.
Je lève mes yeux devant moi. Je connais cette silhouette. Je ne reconnais pas ma chambre.
Petit à petit mes idées se remettent en place. Je me souviens. Je regarde la boite de cachets.
Maman se tient debout, au pied de mon lit. Elle affiche le même regard que sur le quai le jour de mon départ. Des larmes coulent sur ses joues, encore.
Nous ne parlons pas.
Mon sac de voyage est posé sur le seul fauteuil de ma chambre d'hôpital.
« Le train arrive dans trois heures. On rentre à la maison » me lance ma mère.
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_« Demande à ton père !!! »
Je retiens ma respiration le temps d'une réaction possible venant du salon. Rien ou presque, les bruits des dés lancés sur la piste sont amortis par la feutrine. Ils jouent au Yam's.
Je suis dans notre chambre, au quatrième étage sur cinq d'un des bâtiments militaires qui en font notre « cité ». La fenêtre ouverte, les cris et rires des autres enfants pénètrent autant que la chaleur en ce mercredi après-midi. Nous ne les envions plus je crois. Nous espérons de temps à autres. Nous avons surtout su nous habituer à vivre et passer du temps à deux dans la même pièce mais seule finalement.
Elle est assez grande pour deux, simple aussi. D'un regard extérieur, rien n'aurait laissé deviner que ce puisse être une chambre de filles. On y trouvait deux lits espacés de soixante centimètres, un bureau, un orgue, un rideau occultant cachant une autre petite pièce. Je l'appelais « la grotte », ou mon jardin secret, ou mon bureau aussi . J'avais posé une planche sur le lavabo qui s'y trouvait, rajouté un tabouret. Ça ressemblait plus à un placard sans porte, mais la présence de ce lavabo signifiait un coin d'intimité pour une chambre d'amis. Pas de fenêtre, une ampoule tenue par de fils dénudés, j'y passais beaucoup de temps. Cette grotte avait le pouvoir de me faire perdre la notion du temps et m'offrait une solitude qui me conférait des libertés immenses.
« Je vais me fabriquer des lunettes en papier ! »
Je m'applique, surtout dans le découpage parce que ça tourne et il faut aussi réaliser les trous à l'intérieur des ronds. C'est pas évident et c'est long...L'après-midi va l'être aussi.
Je ne suis pas très douée pour le dessin. C'est plus dans les cordes de Céline, ma sœur. Elle dessine vraiment bien.
Les voilà posées sur mon nez. Aucun mal à passer les branches, mes cheveux sont rasés de près! Le « paysagiste » de l'autre a encore joué de la tondeuse sur mon crane. La boulangère confirmera mon nouveau look bidasse en m'appelant « jeune homme » le lendemain...
Il était celui que nous avions nommé « l'autre ». Un surnom qui lui allait bien. Juste un mot vide de forme, qui n'avait aucune valeur à nos yeux. Surtout nous devînmes incapables de l'appeler papa quand nous parlions de lui.
Elles claquent et je suis toute excitée de ma réussite.
L'autre et maman sont toujours dans le salon.
Je me précipite, mes nouveaux lorgnons sur le nez, fière de les porter. J'entends à peine les derniers mots de ma sœur « tu vas le regretter... » quand je suis déjà loin.
Trop tard.
La réaction de l'autre est aussi rapide et directe que la descente.
Son regard a cet effet comme un gros nuage qui assombrit soudain la partie la plus ensoleillée de la journée, le temps s’arrête et l'air manque. Les dés se sont tus. Ma mère est assise, dos à moi, figée comme une statue. Son regard la fixe aussi. Elle connaît plus ou moins la suite.
Sans m'en rendre compte c'est déjà tout chaud entre mes jambes.
Mon père recule sa chaise pour sortir de table. Ses genoux craquent sous les deux premiers pas. Ils ne m'alertent pas cette fois ci car je suis en face de lui. Il revêt son visage de bourreau pour moi, sa victime du moment. Mon enthousiasme est cassé.
Il arrive vers moi.
Il faut que je me sente coupable pour qu'il ne m'en veuille pas.
« Attends ! m'en vouloir de quoi ? » me murmurai-je en moi même.
_« Tu penses que c'est drôle de porter des lunettes de vue ? »
Les larmes coulent sur mes joues. Seule la voix hurlante de l'autre résonne dans l'appartement.
_« Tu crois que je suis content de porter tous les jours des lunettes pour y voir quelque chose? »
Je ne sais pas.
Je ne me suis jamais posée cette question ?
En même temps j'ai onze ans et ma vue se porte bien. C'est un monologue que je ne tente pas de couper ; je finirais par accélérer ma mise au rabais...
Je n'ai plus qu'un seul pied qui touche le sol. Il m’empoigne sous le bras et m’amène dans ma chambre. Ma sœur simule une occupation qui la fait se plonger volontairement dans autre chose que ce spectacle que lui offrait l'autre.
_« Celle là parce que tu ne dois pas jouer à ce genre de jeu et celle là parce que tu t'es encore pissée dessus ! »
La première me chauffa sérieusement les fesses, la deuxième engendrait des épines virtuelles mais plus douloureuses que jamais. Sa grosse main avait encore frappée...
J'avais « pissé » dans mon pantalon écossais !!! Dans mon malheur je repoussais de quelques jours la malchance de remettre ce pantalon que je détestais par dessus tout.
Ça pique.
Je n'allais sans doute pas m’asseoir de suite et de toutes façons ce n'était pas au programme. La sanction de l'autre n'avait pas l'air terminé.
Alors qu'il s'éloignait en direction de sa chambre, j'avais comme un mauvais pressentiment.
En short, chemise manches courtes avec poche sur le devant, très importante la poche, pantoufles qui claquent à chaque pas, il traversa le couloir. A n'importe quelle saison l'autre arborait toujours la même tenue quand il n'était pas en uniforme. La poche servait à mettre ses deux paquets de cigarettes et son briquet.
Il revint avec un rythme de marche identique, « le sûr de lui » dans toute sa splendeur.. Je pleurais toujours quand il passa devant moi avec une boite qui ressemblait à un étui à lunettes.
Il me fit signe de le suivre ce que je fis sans broncher.
Nous revoilà dans le salon.
Mes lunettes sont encore sur le sol. Ma mère n'a pas bougé. Mes fesses me brûlent toujours.
_« Tu vas porter ces lunettes de combat pendant un moment et on va voir si ça te fait rire !? »
Il me les positionne lui même. Les branches s'enroulent autour de mes oreilles. C'est douloureux...
Elles sont trop grandes et me tombent sur le nez. J'ai du mal à respirer et pleurer en même temps.
Je porte toujours mon pantalon trempé.
Je suis au coin avec cet objet de torture.
A onze ans tu ne comprends pas.
A trente huit ans tu cherches à comprendre.
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Regard fatigué
Tu te laisses dévoiler.
Mes formes se sont voilées,
Utopie d'un corps marqué.
Pétillante ou abattue
Moi le métronome de tes jours
Chante ou silence perdu
Toi l'amant qui passe son tour...
Comme un mauvais détour ,
Le temps me vole ton amour.
Et pourtant comme au premier jour
D'un weekend trop court.
Laisse le temps couler
Pour que je puisse le récupérer.
Alors ton regard fatigué
Sur moi plus jamais cerné.
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Rituel bien rodé, elle dévoilait ses formes dans le village comme à la campagne. Toutes les semaines, elle se rendait à son restaurant préféré. Si vous vouliez la croiser, elle faisait aussi des détours vers la rue centrale ou encore sur le grand parking du centre commercial. Mais elle passait le plus clair de son temps chez elle.
Elle était vraiment belle et rayonnante dans sa ligne exceptionnelle. Elle réussissait à mettre tout le monde de bonne humeur; vêtue d’une robe bleue nuit, elle ne laissait jamais personne indifférente à son passage, ça en devenait même vexant pour certaines. Des couples connurent quelques querelles engendrées par la jalousie de mesdames. Mais tous ceux qui la connaissaient savaient que son attitude n'était en rien exhibante et provocatrice. C'était une de ses qualités et elle l'affichait le plus naturellement possible. Elle en avait fait craquer plus d'un, sa fidélité n'avait jamais failli.
De même il y avait eu cet épisode où elle avait disparu. Tout le monde s'était affairé aux recherches tant elle était appréciée. Ses retrouvailles avait émoustillé la population. Elle avait eu le droit à des petits noms pour la décrire mais «Désirée» était celui qui revenait immanquablement depuis cette «fugue».
Et puis, curieusement depuis quelques jours, on ne l’apercevait plus. La rumeur, qui avait fini par se vérifier, parlait d'un malencontreux accident qui s'était produit une semaine auparavant...le dernier à l'avoir vu était le garagiste aux dires des habitants. Ce n'était pas un scoop! Tout le monde savait qu'ils avaient lié une relation sérieuse et qu'elle passait le plus clair de son temps avec lui. Il était fou d'elle.
Hélas, dés qu'elle reparut dans les rues, les stigmates du choc marquaient ses formes. Moins belle qu’avant certainement, aux yeux de tout le monde elle persistait comme étant la plus classe des toutes les berlines.
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Le décor s'expatriait régulièrement , terrains vagues, usines désaffectées, garages souterrains parfois même des lieux publics peu fréquentés mais c'était plus rare. Les spectateurs quasi inexistants comme à chaque fois n'étaient pas le but premier de ces combats.
Les adversaires eux ne se diversifiaient pas. Quelques nouvelles têtes faisaient leur apparition de temps à autre. Ce n'était pas sans me déplaire et ça pimentait les affrontements.
C'était un cercle fermé et ça n'était pas plus mal. Nous nous connaissions tous, nos points forts comme nos points faibles n'avaient plus de secret. Tout résidait dans la forme physique du moment, dans la concentration, dans l'effet de surprise, bref, l'entraînement régulier comptait énormément. Il fallait améliorer les tactiques de combats sans relâche , jamais de temps morts pour être le meilleur.
J'avais des heures de répétitions à mon actif. J'avais ressassé je ne sais combien de fois ma défaite antérieure qui m'avait bien marqué autant physiquement que moralement. Je n'aimais pas perdre.
Tout le monde était à l'heure excepté mon adversaire et le combat devait commencer.
Je portais mon kimono préféré , ceinture rouge soigneusement nouée, aucune mèche de cheveu rebelle en vue. Les conditions étaient parfaites.
Je sautillais , enchaînais quelques droites gauches avec moi même, attendant mon adversaire. Le stress et l'adrénaline faisaient palpiter mon cœur irrégulièrement. Je tentais de réguler mon souffle quand l'arrivée de mon concurrent le coupa net.
Une belle brune, élancée, vêtue d'un short et d'un débardeur s'avança et se posta en face de moi. Ses mains bandées soigneusement jusqu'à mi-bras répétaient les mêmes gestes dans le vent. En aucun cas je prétendis partir vainqueur à la vue de cette femme qui avait plus sa place, à mes yeux, sur un podium de mode que sur un ring. J'avais appris à me méfier des apparences.
Je respire, le décompte commence. C'est parti!
Sans que je m'y attende, celle qui me fait face m'assène une série de coups qui me couche par terre. Elle en profite pour remettre de la distance entre nous ce qui me laisse le temps de me relever et de pester. De rage je m'élance vers elle. Désorganisé je lui balance mes poings qu'elle esquive avec une souplesse et une rapidité surprenantes.
Mon énergie reste intacte et je décide de continuer à attaquer. Je multiplie mes directs, mes high kicks , mes coups de pieds retournés, et décide de sortir mon nouveau coup. C'est maintenant ou jamais. C'est efficace et la voilà au sol à son tour, inconsciente.
Victorieux et apaisé je brandis ma manette au dessus de ma tête et hurle : " youhouuuuuuu j'ai passé le dernier niveau!!!!"
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Cinq fois en deux jours.
Ma marche accélérée qui commençait à ressembler limite à ce que j'appelle de « la marche en colère » se ralentit progressivement. J'arrivais enfin à remettre ce visage. Petits à petits des flashs défilaient devant mes yeux, les souvenirs remontaient à la surface. Je n'étais pas très fière de ce moment de ma vie et c'est sans doute pour cette raison qu'il m'avait fallu plus de temps qu'à l'accoutumé pour que ça me revienne enfin.
Combien déjà ? Six ou sept années séparaient mes souvenirs et aujourd'hui. Que le temps file vite.
« C'est ta première fois ? »
Je ne savais pas si je pouvais ou devais répondre.
« Allo !!!C'est ta première fois ? »
« Oui »
Ma voix était à peine audible, ça coupait la poire en deux.
Elle était à l'aise sur son petit carré de béton délimité par deux bandes jaunes. Sa petite chaise vintage en métal, ma grand-mère avait la même dans sa cuisine, lui servait de repose sac à main.
« Si tu restes droite comme un I tu vas faire chou blanc ce soir ; et pour la tenue, je te filerai des conseils ».
Nous étions côte à côte ce qui m'évitait d'avoir à tourner la tête pour la regarder. Je faisais en sorte qu'elle comprenne que je l'écoutais mais je ne voulais avoir à faire avec personne, en tous les cas pas de ce côté ci de la ligne.
Elle excellai dans ce qu'elle faisait et pourtant ça ne lui allait pas. Ce style et cette apparence qu'elle prenait ne lui collaient pas franchement à la peau. Je baissa les yeux et mon regard remonta le long de mes pieds jusqu'à mes épaules. Ma pensée s'évapora en pensant à moi et à celle que je me donnais l'impression de au même moment.
« Comment tu t'appelles ? »
Elle insiste. Je me raidis encore davantage. Ce n'est plus un I mais un tuteur! J'ai envie de prendre mes clics et mes clacs et de revenir demain, plus loin. Je finis par répondre.
« Claire. Et toi ? »
« Marie . Si tu veux demain matin, on se boit un café au Rétro, au coin de la rue ? »
« Cool, pourquoi pas ?! »
Une voiture stoppa vers ma nouvelle copine. Elle se pencha vers la vitre ouverte. Échangea deux ou trois mots et disparut avec la voiture. On se revit comme prévu le lendemain au café. Et puis tous les jours.
Je n'étais pas en avance dans mon planning. Je relançai ma démarche et repris ma route. Je rencontrai encore deux ou trois fois Marie sur deux cents mêtres.
Sur le dernier poteau de la rue du Rétro sa dernière photo était déchirée sur le côté : « Disparue le 23/10/2010, si vous savez quelque chose composez le 17 ».
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La sonnerie me paraît lointaine.
Je rêve? Non, je suis tirée de mon sommeil par ce son que je remets bien maintenant. Je tends la main, tâtonnant sur la table de chevet jusqu'à intercepter cet objet de malheur. Pas assez rapide. Je jette un œil aux chiffres . Une heure du mat'!!! Deux appels masqués manqués consécutifs, avec celui ci ça fait trois. J'attends le quatrième comme si je devinais que l'autre importun n'allait pas en rester là!!! Bingo.
Je décroche et tache de parler la première histoire de couper court recta!
«Je ne sais pas si vous êtes au courant mais c'est 1h du matin et les ¾ des gens dorment à cette heure-ci!!!».
Mon ton quelque peu pète-sec et encore bien endormi ne perturba pas plus que ça mon interlocuteur qui ne m'écoutait pas du tout. Sa voix toute paniquée résigna mon attention.
«Je sais que c'est une heure du matin mais tu dois savoir.»
«Sav...»
«Cesse de me couper et écoute moi!»
J'écoutais et me redressais difficilement par la même occasion sur mon lit, regrettant déjà d'avoir répondu plutôt que de mettre mon téléphone en mode «avion».
«C'est très dur pour moi de te dire tout ce qui va suivre mais ne rien te dire est encore plus douloureux. Le temps passe et je ne veux plus attendre, je ne peux plus en fait. Tu sais comment je suis, tu me connais par cœur. Mais cette fois, c'est plus compliqué que ça...enfin compliqué c'est pas le mot, c'est plus...bref...
Vas-y, prends ton temps chouchou, j'ai toute la nuit!!
...J'ai déjà tout prévu et j'espère que tu ne m'en voudras pas. J'ai changé d'avis mil fois. Mais moi aussi je te connais par cœur. Alors tu verras, tout sera parfait, comme tu aimes. J'ai même mis des sous de côté pour que nous puissions rester un maximum de temps.»
«Mais de quoi»
«Chut ne me coupes pas, je t'en prie, mon amour.
Je t'aime.
Épouse moi.
Faisons notre vie ensemble.»
J’éclatai de rire. Ce ne pouvait pas être réel!!
«Tu te marres?!»
Je me calmai rapidement car j'éprouvai tout de même de la peine pour lui.
«J'avoue que c'est tentant et l'idée me plaît bien! Sauf que je ne suis pas celle que vous pensez Monsieur le romantique insomniaque! Va falloir reprendre son courage à deux mains ou à demain, et appeler la bonne personne. Bonne chance et bonne nuit!»
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