(Musique d'ambiance : Gloomy Manor, Luigi’s Mansion Dark Moon)
C’est en éternuant que je me réveille ce matin. Les écoutilles débouchées après le volume sonore que je viens d’infliger à mes voisins, je lève difficilement ma carcasse de mon lit. Quelle soirée… Je n’aurais pas dû autant picoler.
Machinalement, je me dirige vers la cuisine afin d’y faire couler un café. Liquide aussi obscur que mes agissements de la veille. Que s’est-il passé déjà ? Ah oui, Flavie a voulu m’embrasser et c’est dans le lit de Connor que j’ai fini. Sans Flavie, ni Connor. Avec Marie. Il va sans dire que je me suis carapaté le plus rapidement possible. Ensuite… ensuite quoi ? C’est le trou noir.
Lâchant un soupir, quelque chose me titille la narine. J’éternue de nouveau.
— Quelle merde.
Me mouchant dans mon bras, je renifle aussi bruyamment qu’il m’est possible. Putain, j’aurais chopé la crève ? Je ne suis pourtant pas sorti dans ma tenue d’Adam.
Le percolateur finit son concert infernal, m’octroyant enfin mon dû. Je m’en saisis nonchalamment et y trempe mes lèvres. Après quelques gorgées, je sens de l’humidité s’accumuler sur le haut de ma bouche. Cela fait trois jours que je ne me suis pas rasé, ça doit se voir. D’un revers de la main, je m’essuie et continue mon rituel café.
Cela fait, mes pas me dirigent vers la salle de bain. La lumière blanche, chirurgicale, me perce la rétine. C’est encore les yeux mi-clos, le regard ensommeillé, que je toise mon reflet. J’ai bel et bien une barbe naissante. Ainsi qu’une sale gueule.
Me munissant de ma brosse à dents, j’entreprends le nettoyage de ces dernières. Pensif, mon esprit se heurte à ma présumée fin de soirée. Je ne sais même pas pourquoi j’ai dit oui à cette fille, Flavie était bien plus mon genre. Et attentionnée par-dessus le marché. J’ai vraiment pas été cool.
Crachant pour la énième fois, je repose l’objet de torture de mes gencives puis inspecte ma pilosité.
Étrange. L’un des poils semble avoir poussé plus vite que les autres. Par réflexe, je l’arrache. Détournant le regard du miroir, mes mains cherchent mon matériel de rasage.
Mes doigts prennent la direction du haut de mes lèvres, ça me gratte. Lorsqu’ils terminent leur voyage, ce n’est pas avec de la peau qu’ils sont en contact, mais avec des poils. Irrité, je lance un regard noir à mon double et j’y vois une pilosité plus fournie que celle que j’avais remarquée quelques instants plus tôt.
Impossible. J’ai beau avoir la gueule de bois, ma barbe n’a pas pu pousser aussi vite. Me rapprochant au plus près de mon reflet, j’examine mon faciès sous toutes les coutures.
— Pétard. J’hallucine.
Ma barbe avait l’air d’avoir bien plus que trois jours, c’était plutôt un mois. Je passe une main sur ma pilosité : une drôle de sensation me fait frissonner. Comme si je venais de me brûler, je retire soudainement mes doigts.
C’était comme si mes poils ondulaient sous mon geste. Non, pire. Comme si je les avais sentis pousser.
J’écarquille les yeux, plus que jamais attentif à ce que je regarde. Ma vision ne me trompait pas, cette fois j’en suis certain : ma barbe pousse à vue d’œil !
Fébrile, je m’empare de mon rasoir et taille dans la masse. Les premiers coups sont fermes bien que maladroits.
— Aïe !
Je finis par avoir raison d’eux.
Mon palpitant bat la chamade. Je me suis ouvert comme le ferai un adolescent à sa première fois, mais je n’ai plus rien. Soulagé, je prends une inspiration et tente de me calmer. C’était quoi ça ? Nerveux, je mets ma main dans le lavabo, touche la toison que j’ai cisaillé. Ils sont bien réels. Le sang dessine une traîne lorsque mes doigts l’effleurent. Un instant, cela m’hypnotise.
Puis je sens une gêne de nouveau, ça me démange. Je lève les yeux vers mon double et aperçoit dans mon reflet que ma pilosité refait déjà surface. Pétrifié, je la vois se fournir de plus en plus. En quelques instant, elle devient une barbe d’un mois, puis de trois, puis d’un an.
La panique me gagne. Mon cœur reprend son rythme effreiner. J’empoigne mon rasoirs et tranche dans la crinière qui grossit plus vite qu’un haricot magique. Une pluie de poils déferle dans mon lavabo mais ça ne désépaissit pas. Je me coupe, m’entaille. Du sang se mélange aux restes de la toison. La taille devient grotesque. Certains commence à se répandre dans ma bouche, d’autres s’infiltre dans mon nez.
« Mphf ! »
Je tousse, mon arme glissant de ma main, sous la surprise.
Je peine à reprendre mon air. Comme mué par un esprit qui leur est propres, les filaments de cératine tapissent les cavités de mes muqueuses. Une douleur s’installe, serpentine, me faisant tomber à genoux. Ma vue se brouille alors que l’oxygène me devient vitale. Merde, je ne peux pas crever comme ça ! Dans un espoir vain de survie, je me tiens la gorge. La pousse continue, je les sens s’insinuer dans mon gosier. Mes yeux se révulsent, dû à la souffrance que j’endure. Des points noirs dansent dans mon champ de vision.
De l’air, par pitié.
Les battements de mon cœur se fond de plus en plus lourds. De plus en plus sourd. Et, alors que je sens une mon ultime souffle se frayer un chemin dans cette forêt qu’est devenue ma pilosité, une dernière pensée me transperce l’esprit. Plantant un point final dans mon âme.
Putain. Flavie.