Sayari
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Défi
C’était il y a vingt-cinq ans. J’avais onze ans. Ce jour-là, je quittais tout ce que je connaissais : ma maison, mes amis, mes repères, mes odeurs, mes mots. Je partais rejoindre ma mère en Belgique. L’aéroport reste flou dans ma mémoire, mais les visages sont nets. Ils étaient là pour me dire au revoir. Certains pleuraient, d’autres souriaient pour me donner du courage. Moi, j’étais entre les deux. Triste de partir, heureuse de la retrouver. Une émotion étrange, comme un fil tendu entre deux mondes. Ils m’avaient dit qu’ils regarderaient l’avion décoller derrière les grillages. Alors, une fois installée, j’ai collé mon front contre le hublot. J’ai cherché leurs silhouettes, scruté chaque recoin. Mais je n’ai vu personne. Juste le tarmac, les lumières, et ce ciel familier que je regardais pour la dernière fois depuis chez moi. Dans neuf heures, il ne serait plus jamais le même. À côté de moi, mon beau-père. Il essayait d’être gentil, je crois. Mais il ne savait pas comment. Il ne me parlait pas, ne me regardait pas vraiment. Il était là, mais absent dans tout le reste. Un homme chargé de m’accompagner, pas de me comprendre. Je ne lui en voulais pas, mais je ne me sentais pas en séc
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Défi
Quand devient-on adulte ? Peut-être ce jour-là. Pas à cause des rides, ni des vêtements. Mais parce qu’un voile s’est déchiré. Parce qu’un sourire, que l’on croyait bienveillant, s’est révélé mensonge. Parce qu’un corps d’enfant a su, sans mots, que quelque chose était mal. Parce qu’un silence s’est installé, lourd, pesant, comme une porte close sur l’innocence. On ne perd pas l’enfance d’un coup. Elle s’efface petit à petit, dans les interstices du non-dit. On comprends que les jardins sans barrières où l’on croyait pouvoir jouer librement n'étaient qu' illusion. On devient adulte quand on comprend que le monde n’est pas toujours sûr. Quand on porte un poids que personne ne voit. Quand on apprend à faire semblant, à survivre alors qu'on a à peine neuf ans. Mais ce n’est pas l’enfance qui disparaît. Elle reste là, tapie dans l’ombre, blessée mais tenace. Parfois, elle revient, pour nous rappeler que nous avons traversé l’indicible. Qu'on a survecu. Il ne faut pas redouter ce moment. Il faut le reconnaître, le nommer, le transformer. Car devenir adulte, c’est aussi retrouver sa voix. Et dire enfin, trente ans plus tard : ce n’était pas ma faute. Sayari
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Défi
Ce matin, le volet cassé s’est remis à grincer. Pas un petit grincement nostalgique, non. Un hurlement métallique, comme si la maison elle-même voulait me réveiller à coups de reproches. J’ai ouvert les yeux sur l’orange fluo du mur, cette couleur que j’avais choisie en pensant à l’énergie, à la joie. Aujourd’hui, elle me brûle les rétines. Elle me crie dessus. Elle me dit : "Tu n’as rien fait de ce que tu voulais faire." Le cactus sur le rebord de la fenêtre me regarde, imperturbable. Lui, il survit sans eau, sans attention. Moi, je suis là, à me débattre avec mes pensées, mes listes, mes envies qui s’effilochent. Il est vert, piquant, vivant. Je suis floue. Je voulais écrire. Créer. Ranger. Avancer. Mais tout semble me résister. Même la lumière qui passe à travers le prisme arc-en-ciel suspendu au plafond me paraît fausse. Trop belle pour ce jour. Elle danse sur le sol, comme si elle se moquait de moi. Comme si elle disait : "Regarde, le monde continue sans toi." Alors je reste là, au milieu du chaos organisé, avec ce foutu volet qui claque, ce mur qui hurle, ce cactus qui juge, et cette lumière qui parade. Et moi, je n’ai même pas l’énergie de leur répondre. Sayari
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Je marchais seule, tard dans la nuit, au bord de l’eau. Le vent piquant jouait avec mes cheveux. J’avais les pieds nus, et le sable froid s’immisçait entre mes orteils, me faisant frissonner. Le monde semblait suspendu, chaque instant s’étirait lentement. Le soleil venait de disparaître derrière la ligne d’horizon. Le ciel se teintait de mauve et de cuivre, les vagues chantaient doucement. Je ne m’attendais à rien d'autre que de marcher, de respirer, d'oublier un peu. Soudain, je la vis. C’était une silhouette féminine, assise sur un rocher, là où les vagues venaient mourir. Drapée d’un voile de lumière, sa peau paraissait faite de nacre et d’ombre. Ses cheveux flottaient autour d'elle comme des filaments d'argent, et ses yeux... Ses yeux laissaient entrevoir les siècles. La Lune. Non suspendue au-dessus de moi, mais incarnée. Présente. Réelle. Elle me regardait sans surprise, comme si elle m’avait attendue depuis toujours. Tu es venue. Je ne savais pas que j'avais ce pouvoir. Tu l'as toujours eu. Tu avais juste oublié comment. Je m’approchai, le cœur battant, les pieds engourdis par le froid. Elle ne bougeait pas, mais tout en elle semblait vivant. Elle respirait avec les marées, 
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Le pensionnat Saint-Éloi dominait les toits, sévère et glacial, figé dans ses traditions. À l’intérieur, les journées s’enchaînaient dans une rigueur silencieuse. Les enfants du personnel dormaient dans des dortoirs glacés, mangeaient les restes, lisaient dans des livres abîmés. Les héritiers, eux, bénéficiaient de chambres chauffées, de repas servis chauds, de pages intactes. Élise arriva un matin de novembre. Silencieuse, elle observait les visages, les gestes, les règles tacites. Très vite, elle comprit que tout reposait sur une hiérarchie muette, entretenue par l’habitude plus que par la raison. L’inégalité se lisait dans les détails : un regard, une place à table, un droit accordé sans justification. Un soir, alors que les cloches annonçaient la fin des cours, elle se leva. Elle traversa la salle, se tint droite et parla. - Ce pouvoir ne vaut rien sans ceux qui le subissent. Le brouhaha s’éteignit. Les gestes suspendus, les regards figés. - Vous vous taisez parce que vous avez peur. Ce n’est pas une faute de parler. C’en est une de se taire. Elle balaya la salle du regard. - Ces privilèges ne sont pas mérités. Ils sont hérités, imposés, protégés par des principes qui ne serven
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Défi
Pourtant me voilà, posé sur une pile de cartons humides, entre un grille-pain cassé et un vieux nounours sans œil. La déchèterie ne sent pas la fin du monde, elle sent l’oubli. Et moi, je suis oublié. J’ai été lu. Par des mains tremblantes, des doigts tachés d’encre et des enfants qui ne savaient pas encore lire. J’ai voyagé. Dans un sac à dos en Mongolie j’ai eu froid, dans une valise trop pleine à Naples j’étais à l’étroit, dans les bras d’un homme qui pleurait à l’aéroport de Montréal j’ai été bousculé. J’ai été un refuge. Pour une personne en deuil qui cherchait à arrêter sa douleur. Pour un adolescent qui se sentait seul. Pour un vieux monsieur qui n’avait plus personne à qui parler. J’ai été prêté, volé, retrouvé, brûlé par le soleil, griffé par des stylos, oublié sous la pluie. Et puis un jour, on m’a posé sur un trottoir. Sans un mot. Sans un regard. Je ne suis pas en colère. Je suis triste. Triste d’avoir tant donné, sans qu’on me dise au revoir. Mais si quelqu’un me trouve, là, entre les déchets, qu’il me lise. Même une page. Même un mot. Car je ne veux pas être oublié. Sayari
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Défi
Le ciel était gris, comme tous les matins depuis qu’elle avait cessé d’y croire. Sur l’écran de son téléphone, les notifications s’empilaient comme des injonctions à exister : publier, commenter, réagir. Elle les balayait d’un geste las, préférant le silence au brouhaha des réseaux. Dans son petit appartement, les plantes se penchaient vers la fenêtre, essayant de capter un maximum de lumière. Elle se leva, traînant ses chaussettes rose clair sur le parquet, et ouvrit le carnet qu’elle n’avait pas touché depuis des semaines. Les pages vierges semblaient la narguer. Elle y inscrivit un mot : Illusion. C’était ce qu’elle avait ressenti en croyant que l’art pouvait changer quelque chose. Que ses textes, ses coloriages, ses streams pouvaient réparer les failles du monde ou du moins, celles en elle. Mais l’Espérance s’était effilochée, lentement, comme un tissu trop lavé. Elle avait cru aux communautés sincères, aux amitiés numériques, aux likes porteurs de sens. Et puis, un jour, tout s’était effondré. Une déception brutale, sans cri ni fracas. Juste le silence d’un serveur Discord déserté, les regards absents dans le chat, les messages sans réponse. Elle avait voulu croire que c’était
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Moi c’est Léo. J’ai huit ans et demi. Et je vois les ombres. Pas les ombres normales, celles qui bougent quand on marche ou quand la lampe est allumée. Non. Moi je parle des vraies ombres. Celles qui restent collées aux grands, même quand ils dorment. Celles qui font pas de bruit, mais qui disent des trucs quand personne parle. Maman, elle en a trois. Y’en a une qui pleure tout bas dans son dos. Elle est toute petite, elle se cache. Je crois que c’est maman quand elle était petite. Elle tient un doudou et elle regarde partout comme si quelqu’un allait crier. Y’en a une autre qui marche devant elle, toujours un peu trop vite. Des fois elle s’arrête d’un coup, et maman tombe un peu. Je crois que c’est une ombre qui veut décider à sa place. Elle fait comme si elle savait tout, mais elle fait pas toujours bien. Et la dernière, elle vole. Elle a des ailes toutes froissées, comme mes dessins quand je les plie. Elle tourne autour de maman et elle lui chuchote des choses. Des choses que moi j’entends pas. Mais maman fronce les sourcils, alors je sais que c’est pas des trucs rigolos. Quand j’ai dit ça à maman, elle a rigolé. Mais pas avec ses yeux. Elle a dit : " Tu as trop d’imagination, m
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Défi
Disclamer : Je suis désolée je ne connais pas grand-chose au monde du sport et des championnats, mais j’avais quand même envie de participer. Le stade était plein à craquer. Le public criait, les arbitres sifflaient dans tous les sens, les poids faisaient un bruit sourd en s’écrasant sur le sol. C’était le grand jour : le Championnat national d’athlétisme. Parmi les athlètes, Élisa, jeune lanceuse de javelot, ajustait sa prise, concentrée. À quelques mètres, Thomas, spécialiste du disque et du lancer de poids, s’échauffait, le regard franc. Leur première rencontre eut lieu près de la barre de saut en hauteur, où ils s’étaient retrouvés par hasard, chacun suivant son programme. Une pointe d’humour, un sourire échangé, et le sport devint prétexte à conversations. Jour après jour, entre les entraînements et les compétitions, leur complicité grandit. Ils se soutenaient, s’encourageaient, partageaient les victoires comme les défaites. Trois ans plus tard, ils se marièrent, entourés de leurs amis et famille. Leur vie était rythmée par les championnats, les voyages, les rêves partagés. Mais un matin d’hiver, tout bascula. Un accident de voiture, brutal, injuste. Thomas ne survécut pas. Él
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