Mamo, ton visage m'apparaît, tes cheveux blancs coiffés en chignon encadrent ton visage aux yeux pétillants, à la bouche fine. Ton sourire lumineux fleurit alors qu'approchent ceux que tu aimes, tes lèvres s'épanouissent comme le jour se lève. Tes traits reflètent le bonheur, le bonheur de l'amour, de la vie simple, du partage, du don. J'entends ton rire discret, si spontané.

Mon adorable arrière grand-mère, ton amour, ta bienveillance m'entourent dans ces moments de réflexion. Je fais souvent appel à ton soutien pour orienter au mieux mes cogitations et en tirer le meilleur.

Ta vie ? Elle n'a pas dû être toujours très heureuse. Tu étais encore bien jeune lorsque ton mari est décédé à force de boisson ; tes deux filles à ta charge, tu t'es retroussée les manches — qui devaient déjà être retroussées — et tu as travaillé encore plus sans te poser de question, tu as fait tourner une maison que tu as emplie de joie et d'amour. Comment es-tu parvenue à tout gérer, seule avec deux enfants, dans ce début de vingtième siècle où les femmes n'avaient aucune reconnaissance ? Quel courage, quelle volonté ! Tu les as transmis à celles qui t'ont suivie : ma grand-mère et ma mère. Comment relever le défi et ne pas te décevoir ? Oh, je me doute bien que tu n'aurais pas de remarques négatives, que tu m'encouragerais d'une caresse sur ma joue, de ton sourire rassurant, m'insufflant ton pragmatisme et ta ténacité. D'ailleurs, parfois, je sens ta douceur sur ma tempe dans un filet d'air réconfortant et stimulant.

À divers moments, j'ai levé les yeux au ciel — comme si tu y étais vraiment —, je t'ai questionné : Que dois-je faire ? Comment m'y prendre ? Est-ce que je me trompe ? Et j'ai attendu. Certaines réponses me sont parvenues, d'autres non. Bien sûr, tu n'avais pas à me dicter mes décisions sans réflexion de ma part, ce n'était pas à toi de décider pour moi ; c'était à moi d'examiner la situation, de la comprendre et de délier le nœud compliqué qui me freinait.

Certains me croient passive, ils ne se rendent pas compte, ne connaissent pas tous les éléments qui constituent ma vie. Exister alors que ta vie est refusée, progresser même niée, avancer dans un océan de "non". Se taire, forcément. écouter, observer pour apprendre et comprendre puisque tout dialogue était proscrit. Essayer. Décrypter, tenter de comprendre le comment, le pourquoi des choses. En déduire ce qu'il est opportun de faire. Se tromper. Butter contre des murs, se mettre en colère. Chercher encore à comprendre.